Deliveroo, UberEats… Carte blanche aux livreurs de la capitale

Légal ou illégal, argent sale ou argent propre, charbonner quarante ans à l’usine ou trois minutes pour braquer un Brink’s. Ces questions-là semblent lointaines pour certains et si proches pour d’autres. Les autres y apportent des réponses et certains y apportent des solutions. C’est vrai, l’argent est le nerf de la guerre, une guerre à toutes les échelles, qui ne respecte ni loi ni physique. Il n’y aura ni vainqueurs ni vaincus, il y’aura des pauvres et des riches.

« Tu ne sais pas à quel point je cogite, chaque nuit je m’endors avec une seule question en tête : comment faire des sous, vite et sans aucun risque ? ». Il est entre minuit et deux heures du matin, un soir d’hiver glacial dans le vingtième arrondissement de la capitale. On est coffré dans une 307, trois amis et moi, on discute de tout et de rien mais surtout de la vie et de sa réussite.
« Fais livreur Ubereats ? Y’a un gars il s’appelle César, il se fait sept cent euros par semaine. Sept cent fois quatre, deux mille huit cent euros par mois juste en livrant des repas en vélo. ». Des montants qui nous laissent rêveurs. Tout de suite on se voyait rider dans toute la capitale avec des sushis ou des fallafels sur le dos, mais la seule chose qui résonnait dans nos têtes c’était ces deux mille huit cent euros qui rentrent chaque mois « Ball ‘in ! ». On lui a tout de suite demandé où était la douille, le truc qui gâche tout dans ce plan, c’était trop beau pour être vrai. Il nous a répondu « Aucun, que du légal, je fais ça depuis un mois, je bosse quand je veux, pas d’horaires, pas de boss ». C’était vrai, il n’y avait rien de tout ça, il nous explique vaguement les rouages du statut autoentrepreneur, et les démarches à suivre pour pouvoir vendre nos services à Uber.

Tout paraissait simple, on savait qu’il fallait croquer dans le steak avant qu’il ne soit trop tard. Le lendemain j’ouvre mon entreprise en trois minutes. Deux semaines plus tard je reçois mon numéro de Siret. J’étais prêt, à mon tour à arpenter la ville avec mon sac isotherme sur le dos. Par manque de temps, je n’ai pas eu l’occasion de m’essayer au métier de coursier indépendant. Heureusement pour moi j’ai mis la clef sous la porte, j’ai fermé ma société qui avait à peine une semaine d’existence. J’ai échappé de peu à l’engrenage malsain et capitaliste que ce système cache. J’ai plus tard découvert que ce fameux César et son salaire étaient tout simplement une fiction.

Nous avons décidé de rencontrer ces livreurs, d’échanger avec eux et de leurs donner carte blanche pour qu’ils puissent s’exprimer sur leurs statuts. Ils sont de tous bords, de tous âges, certains livrent en vélos et d’autres en Tmax.
Qui sont ces hommes et ces femmes qui bravent vents et pluies pour satisfaire notre faim ?

Photos : @njeri_n

 

Arslan aka Domingo, 21 ans, Jaurès (Paris 19ème)
Livreur UberEats depuis 1 an

« Tous les mecs de mon quartier faisaient coursier, on m’a dit qu’il y’avait un petit billet à se faire. Je n’ai pas hésité, je me suis lancé directement dans ce game. C’est super simple de s’inscrire chez UberEats, après avoir créé ton statut auto-entrepreneur et récupéré ton casier judiciaire, ils te donnent le sac isotherme d’une valeur de cent-cinquante euros qu’il faudra rembourser avec ton premier chiffre d’affaire. Chez UberEats, t’es payé quinze euros de l’heure avec un minimum de deux courses par heure, c’est super avantageux. Par contre il n’y a pas de zones de livraison, c’est-à-dire que tu peux récupérer ta commande à Place d’Italie et la livrer dans le dix-neuvième. C’est pour ça que je livre en scooter, ça me permet d’être plus productif tout en étant moins fatigué à la fin de mes journées. Quelqu’un qui veut se lancer, je lui déconseille de collaborer avec Uber, tu t’investis trop pour au final gagner peu. Par rapport au statut auto-entrepreneur, je ne préfère même pas en parler, entre le RSI et tous les courriels que tu reçois, c’est un vrai bourbier. »

 

 

Sofiane, 22 ans, Barbès (Paris 18ème)
Livreur Ubereats en Tmax

« Ce n’est ni mon vrai nom, ni mon vrai âge, mais c’est bien moi sur la photo. Si je donne ces informations, je suis grillé. J’ai commencé Ubereats il y’a un an et ma particularité à moi, est que je livre les repas en Tmax. Il est formellement interdit de livrer avec un « gros » scooter, je le fais parce que j’en avais déjà un et investir dans un scooter plus petit serait une perte pour moi. J’y trouve mes avantages, cela me permet d’être nettement plus rapide et d’enchaîner les courses. Le mois dernier je me suis fait un peu moins de trois mille euros. Sérieusement, trouves-moi un métier ou tu peux gagner cette somme sans diplôme ? Il n’y en a pas. J’ai ouvert mon statut auto-entrepreneur que pour les formalités d’inscription, puis je l’ai volontairement fermé. Cela me permet de travailler sans déclarer aucun de mes revenus, c’est-à-dire je ne suis redevable d’aucun impôt. Tout le blé va dans ma poche. »

 

 

Wassim, 18 ans, fougères Paris 20ème
Livreur dans un centre de livraison de repas depuis un mois

« Moi aussi, je suis passé par UberEats, j’ai travaillé avec eux pendant six mois. Ce n’était pas les six mois les plus heureux de ma vie. Le statut auto-entrepreneur est un vrai casse-tête : tu reçois une tonne de courriels que tu ne prends même pas la peine d’ouvrir. Si tu es malade, pas d’arrêt maladie, pas de rentrée d’argent. En plus de ça, tu passes au RSI (régime social des indépendants) ; on a refusé à ma mère sa CMU à cause de mon affiliation à ce régime. Aujourd’hui je fais toujours de la livraison, mais différemment. Je travaille dans un centre de livraison de repas, les plats arrivent à l’entrepôt, ils sont réchauffés puis lorsque ma commande est prête c’est là que j’interviens. J’ai une dizaine de repas dans mon top-case et je dois les livrer le plus vite possible. Je cherchais une certaine forme de stabilité que je n’avais pas avec UberEats. Aujourd’hui j’ai des horaires fixes, un salaire fixe et des avantages sociaux. Ces droits sont inexistants avec l’ubérisation. »

 

 

Mansata, 18 ans, Stains (93)
Livreuse Deliveroo depuis janvier

« J’avais besoin d’argent, je m’y suis intéressée à ce phénomène des coursiers et je me suis dit pourquoi pas moi. On m’a appelé un lundi, j’ai signé mon contrat un jeudi et j’ai bossé le soir-même. C’est ce que j’aime dans ce job, pas de boss, pas de contraintes, pas d’horaires. Une totale liberté, moi j’adore trainer dans Paris, là je suis payé pour ça, c’est parfait. Mais quand il n’y a pas de commandes, il n’y a pas de courses, il n’y a pas de sous. Les trois premiers jours c’était l’enfer pour mes jambes, maintenant je suis devenu un vrai biker. Je travaille tous les soirs de dix-neuf heures à vingt-trois heures et les weekends de midi à vingt-trois heures, le mois dernier je me suis fait deux mille euros net dans ma poche. A côté de ça, je fais un BTS commerce internationale, c’est difficile d’allier les cours et Delivroo. J’ai croisé que quatre filles depuis le début, je les encourage à se lancer dans l’aventure. Les autres livreurs sont peace, on me donne pleins de conseils, pour l’instant j’aime bien ce job, je n’ai pas à me plaindre. »

 

 

Zghib, 21 ans, Gambetta (Paris 20ème)
Livreur Deliveroo depuis février

« Pour moi livrer à vélo est plus un amusement qu’un travail car à l’origine je suis un vrai biker. Depuis trois ans, j’explore la capitale à vélo donc je connais tous ses recoins et ses rues. Ce mariage entre ma passion et la livraison se concrétise par de bons revenus. Je travaille à pleins temps, c’est-à-dire de midi à quinze heure puis de dix-neuf heure à vingt-deux heure, et les weekends de midi à vingt-trois heure. Malgré tout je pense que ces structures devraient d’avantage favoriser les livreurs à vélo et leur offrir plus de primes afin de fédérer une grande communauté de bikers. D’autant plus, le vélo est un moyen de transport écologique, économique et pratique dans les grandes villes qui sont gangrenés par les problèmes de pollutions et de circulations. Un autre aspect négatif est l’augmentation de vols de vélos, j’en ai été la victime une fois car le concierge d’un bâtiment avait volontairement sorti mon vélo dehors lorsque j’effectuais ma livraison. Mon vélo étant dehors, on me la piqué. Cette histoire c’est très mal terminée pour le concierge qui a fini en sang et pour moi qui a fini en garde à vue. Si Deliveroo m’entend, il faut régler ce problème très vite. »

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