Disiz La Peste, l’autre espèce du rap

Deux ans après son dernier projet Rap Machine (2015), Disiz La Peste revient avec Pacifique son onzième album. Onze albums pour un seul rappeur, on a compté et c’est bien un record détenu par Disiz.  Un mastodonte, une grosse pointure, un incontournable de ce rap-jeu. Disiz La Peste était aussi Disiz Peter Punk, puis il est devenu Disiz tout court et pour finalement revenir à son premier nom de scène, Disiz La Peste.

«  Avec tous les changements de noms que j’ai eu, je suis revenu à Disiz La Peste car sur les plateformes de streaming mes sons étaient référencés sous deux comptes. Il y avait Disiz d’un côté et Disiz La Peste de l’autre. Avec ma nouvelle signature chez Polydor, on a décidé de fusionner les deux comptes. On a choisi Disiz La Peste car c’est le nom qui a le plus marqué les gens, et c’est un bon choix car avec cette fusion j’ai explosé mes records de streaming. »

Disiz La Peste nous emmène avec son équipage à la conquête du Pacifique. On est emporté par des flots agités et des eaux troubles, on navigue sur des mers calmes et limpides. Vingt titres, aucun ne se ressemblent, aucun ne se rejettent, un mélange de sonorités aussi subtile qu’innocent. Accompagné du célèbre navigateur belge Stromae qui est derrière deux morceaux de l’album, la direction est choisie, la couleur est assumée. Disiz nous exécute là un plongeon risqué comme son album … et ça fait splash dans un carré bleu.

 


Photos : @TerenceBK

« Je viens ni du futur, ni du passé
J’viens tout simplement d’ailleurs » “Autre espèce”, Disiz La Peste

 

Première question : On voit que t’as complètement changé de style par rapport à ton dernier projet, pourquoi avoir pris cette direction-là ?

Quand t’écoutes l’album tu peux avoir l’impression que je ne sais pas où je veux aller. J’ai étudié la musique et avec ma connaissance de cet art, j’ai compris que les styles sont imposés par l’industrie et les médias. Les artistes ne s’imposent pas de styles, ils tâtonnent, ils cherchent des inspirations et parfois ils sont attirés par des mouvements ou des émotions. Tu prends l’exemple de Van Gogh ou Monet ils ne se sont pas dit, on va créer un style et ça va être l’impressionnisme, ça ne marche pas comme ça. Je ne me compare pas à ces artistes mais dans mon approche je veux illustrer des émotions de la manière la plus transparente et véridique possible. Si c’est une pulse électro qui m’inspire, je choisirai cette pulse pour illustrer mes émotions. Je ne veux plus me fixer de barrières à ce niveau, tu regardes les anglo-saxons, ils n’ont pas de complexes à passer du cinéma à la musique en passant par le stand-up. J’ai eu du mal à expliquer cette démarche aux personnes avec lesquelles je travaille.

 

As-tu eu l’impression de prendre un gros risque en choisissant cette direction artistique ?

Cette impression, je la ressens tout le temps, la dernière fois c’était pour l’album Dans le ventre du crocodile. Malgré tout dans ce projet, j’avais limité les risques, je m’étais laissé pousser les cheveux, je n’osais pas chanter, j’avais changé de nom, c’était plus du tout du rap. Par contre dans Pacifique, je me suis affranchi de toutes ces barrières et les choix sont entièrement assumés. Le risque était présent, c’était mon pote. Il était également présent lors des rendez-vous, lorsque je devais présenter les maquettes de l’album.

 

Y a-t-il eu des gens de ton entourage qui ont pu te décourager à faire ce disque ?

Dans ce long processus de travail, bien sûr j’ai été confronté à des personnes qui ont voulu me décourager, parfois même me dégoûter de l’être humain. La meilleure réponse que je peux leur donner serait que le disque cartonne. Vouloir me contraindre à réaliser ce que je n’ai pas envie de créer et me faire du chantage, c’est absolument déplorable.

 

 

Au contraire, y a-t-il eu des gens qui t’ont soutenu du début jusqu’à la fin dans ce projet ?

Oui bien évidemment, il y a ma chef de projet, Pauline. Je n’aurais pas pu faire ce disque sans elle. Il y a mes deux frères jumeaux avec qui je suis super proche, je leur fais écouter mes maquettes et ils me conseillent. Il y a aussi Amir de Street Fabulous, avec qui je bosse depuis longtemps et qui m’a beaucoup aidé. Et puis, je dirais Stromae qui m’a épaulé dans ce projet.

 

J’allais y venir, parle nous de cette collaboration entre toi et Stromae.

Je l’ai vu l’été dernier, ça faisait un an déjà que je travaillais sur le disque, je lui ai fait écouter quelques titres. Il a encouragé la direction artistique que je prenais, il a également apprécié les mélodies et mes performances de chant. On a fait une séance studio ensemble, on a bossé sur un morceau qui n’est malheureusement pas dans l’album. En rentrant je lui ai demandé s’il avait des instrus à me faire écouter, il m’en a fait écouter cinq. J’ai eu un coup de foudre pour celle de “Splash” et celle du morceau “C’est Compliqué” est super belle aussi. Dans le train du retour, j’ai appelé mon ingé son pour lui dire que je revenais de Belgique avec deux instrumentales de dingue. J’ai écrit dans le train “Splash”, je suis arrivé et je l’ai posé dans la minute. Juste après, j’ai envoyé le morceau à Paul [Stromae, ndlr], il était fan du refrain mais pas trop des couplets. Il m’a prouvé qu’il était un grand artiste car il m’a encouragé à garder ces couplets au lieu de m’imposer sa vision du morceau.

 

« Faut qu’je plonge dans la vie, dans l’amour, dans une fille
Ou je sombre, ou je plonge, pour toujours, dans l’abîme
Donc je plonge, je plonge, je plonge : splash
Je plonge, je plonge, je plonge : splash » “Splash”, Disiz La Peste

 

 

Peux-tu nous parler de la collaboration avec Hamza ? Il peut y avoir une opposition de style et d’univers.

Hamza a un côté un peu cru et frontale dans ses textes, ce côté-là je l’ai eu aussi quand j’étais plus jeune. On peut avoir l’impression qu’il n’y aura pas d’alchimie entre nous, pour être honnête, moi aussi je le pensais. Ce sont mes deux frères jumeaux qui me l’ont fait découvrir, ils sont fans. Ils voulaient absolument que je fasse un morceau avec lui, moi je leur ai dit : «  je ne peux pas il dit trop de gros mots ». Mes frères jumeaux ont insisté et je suis rentré en contact avec Hamza via Amir de Street Fabulous. On a fait une séance studio ensemble, j’ai apprécié ce moment car on apprenait à se découvrir l’un et l’autre. Hamza me dit : « t’inquiète pas, je ferais attention, je ne dirais pas de gros mot dans le son. » J’ai trouvé ça très touchant et le morceau “Marquises” est une belle réussite avec une forte musicalité.

 

« Je hais quand t’essayes de me tester
Laisse-moi prendre le temps de t’apprécier
J’suis tombé en love de ce fessier » “Marquises”, Hamza

 

Faisons un petit retour en arrière avec le titre “On se comprend pas” (2015). Ce morceau est sorti juste après ton dernier projet Rap Machine. Ce son est très chanté, très mélodieux, tu évoquais dans une interview le souhait de prendre une tournure plus chantée pour ton prochain projet. Deux ans se sont écoulés, quel a été le chemin entre ce morceau et Pacifique ?

J’ai toujours eu ces envies pop et chantées, c’est quelque chose qui est en moi depuis le début. Dès mon premier album, Le Poisson Rouge (2000), il y a un morceau intitulé “L’avocat des anges”. Dans ce morceau  il y a déjà une volonté de mélanger les textures et les sonorités, le son prend un caractère plus doux et surtout il est moins caricaturé rap. Sur mon troisième album, Les Histoires Extraordinaires d’Un Jeune de Banlieue (2006), Le morceau “Miss Désillusion” est clairement un son Pop. Ce morceau était pour moi un gros single, dans le sens où il était représentatif du projet, et qu’il pouvait fédérer un grand nombre de gens autour du disque. Je m’étais battu à l’époque avec mon ancienne maison de disque qui était Barclay pour garder le morceau dans l’album. Un peu plus tard quand je vois que le rap français a pris un aspect plus pop avec des artistes comme Maître Gims ou encore Black M. Même Booba qui est représentatif d’un rap plus terre à terre se met à chanter dans ses morceaux. Je me suis dit que j’aurais dû aller au bout de mon idée. Je ne dis pas que je suis un précurseur, c’est juste que j’ai osé chanter pendant que d’autres rappeurs n’osaient pas le faire. En réalité ces envies-là je les ai depuis que je suis dans la musique. Avant j’avais du mal à les imposer car l’industrie ne voulait pas d’un rappeur avec ces choix-là. Un rappeur qui prenait cette direction-là était difficile à vendre. Le chemin qui m’a conduit à cet album ne commence pas depuis le titre “On se comprend pas”. Aujourd’hui je fais la musique que j’aime, c’est ma principale motivation.

 

 

Finalement, ça te dérange peut-être qu’on te catégorise en tant que rappeur ?

Non, ce n’est pas ça. Si on a une vision large du rap en France, ça ne me dérange pas d’être catégorisé comme rappeur. C’est tout le contraire, on a une vision étriquée de cette musique-là. Aux USA, ils n’ont pas cette vision bornée de leur musique. Est-ce qu’on a pris la tête à Kendrick Lamar lorsque sur To Pimp A Butterfly il choisit une couleur musicale très jazz ? Les seules questions qu’on devrait se poser sont : Est-ce que ça sonne bien ? Est-ce que ça me fait danser ? Est-ce que ça me fait pleurer ? Ces questions devraient être le curseur des artistes et de l’industrie. Ici on se pose en premier la question : est-ce que ça correspond à du rap ?  C’est fatiguant d’entendre ce genre de questions, encore plus en 2017, à l’époque de la révolution numérique avec internet. Le style musical est un enfermement et je déteste être enfermé que ce soit dans la musique ou dans la vie de tous les jours. Je déteste être enfermé dans mon quartier, enfermé dans une radio… Non je ne veux pas.

 

Quand t’as sorti le morceau Le Rap C’est Mieux (2015), tu vantais ce style-là, mais la si on comprend bien le rap ce n’est pas forcément mieux ?

Dans ce clip, je me mets dans la peau d’un présentateur télé qui est rempli de clichés sur le rap. Je rigole de ça, ce morceau-là il faut le prendre comme une moquerie des gens qui pensent comme ça.

 

« Leur son fait du contouring pour rentrer en playlist
Négro, t’as maquillé ton nez, ton morceau est très lisse » “Meulé Meulé / Aighttt”, Disiz La Peste

 

 

La façon d’écrire un morceau est différente en fonction de la nature du titre. C’est-à-dire pour un morceau rap il va y avoir plus de mots que dans une chanson. Justement est-il plus difficile d’écrire une chanson plutôt qu’un morceau rap ?

C’était un challenge qui m’intéressait, effectivement quand t’écris une chanson, tu dois mettre moins de mots. Du coup, avec le fait de mettre moins de mots, tu deviens moins subtile. Ce qui va jouer dans la réussite d’un titre chanté, ça va être la voix, la mélodie et donc l’interprétation. Dans une chanson tous ces paramètres deviennent aussi importants que le texte en lui-même. Il y a des émotions que je ne peux pas retranscrire en Rap. Tu prends le morceau “Qu’Ils Ont De La Chance”, je ne peux pas le faire en rappant. Le titre traite du deuil, et lorsque t’es en période de deuil pour ma part je n’ai plus de mots. Tu ressens que des émotions qui te submergent, tu pleures. Dans ces moments-là il ne faut pas beaucoup de mots pour exprimer ces émotions de la manière la plus sincère possible. Le curseur de ce disque est l’émotion, j’ai tout fait pour faire correspondre les sonorités musicales aux émotions. Tu prends le son “L.U.T.T.E”, c’est un son qui parle d’un aspect très combatif de la vie, tu donnes des coups, tu luttes. Du coup pour exprimer ces émotions agressives, c’est plus naturel pour moi de produire un morceau brut et très Rap. C’est l’émotion qui guide mes choix musicaux dans cet album.

 

J’ai entendu dire qu’il y avait des sons de prêt avec Damso, encore un belge. Il y’a une analogie dans la maîtrise de la langue entre Damso et le Disiz d’une certaine époque. Justement lorsque vous collaborez ensemble, redeviens- tu le Disiz de cette époque très Rap ou bien tu veux garder ton identité musicale actuelle pour collaborer avec Damso ?

Je ne peux pas trop parler de ce qui s’est passé avec Damso parce que la page n’est pas encore tournée. Ce n’est pas pour attiser le public et maintenir le suspens. C’est une collaboration très complexe et elle est également très représentative de ce qu’il se passe en off dans le rap français. C’est un artiste que j’aime beaucoup, pourtant c’est étrange car lui il est très cru, il y a pas mal de vulgarités dans sa musique. Mais on se rejoint dans l’excellence de l’écriture. Tous deux on aime atteindre la perfection au niveau de l’écriture mais également au niveau de l’interprétation et de la production de nos œuvres. On ne s’attend pas à voir nos deux univers ensembles mais le public s’est réjoui de cette collaboration. Mais bien évidement qu’on verra un Disiz actuel dans les titres avec Damso.

« Ma lutte est sénégalaise
Je leur laisse la gréco-romaine
Font du rap corps à corps, nus dans d’la terre glaise
Chacun son délire, chacun son domaine » L.U.T.T.E, Disiz La Peste

 

 

Le projet est tout frais, on va te laisser apprécier la réussite de ce dernier. Pour toi quelle est la suite ? Un nouveau projet musical ? Du cinéma ?

D’habitude, à la fin de mes projets je pensais directement à la suite. Je me projetais tout le temps dans de nouvelles réalisations. Mais aujourd’hui bizarrement avec ce disque, je me suis entièrement vidé, j’ai tout donné, vraiment tout. Du coup je ne me suis pas posé la question de ce que j’allais faire après ce disque, c’est la première fois que ça m’arrive. Mais j’ai bien envie d’adapter un de mes romans au cinéma, pourquoi pas.

 

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