Ninho : « Pour l’instant je suis toujours entre le 77 et 91, dans ma cité en claquettes-chaussettes »

Le succès se fait désirer. Tantôt ami, tantôt ennemi, il est parfois difficile à obtenir et nécessite une volonté inébranlable. Son enseignement se forge dans la patience, avant d’embrasser la gloire et une reconnaissance nationale. Ninho, rappeur à la croisée entre le 91 et le 77, vient tout juste de sortir sa nouvelle mixtape M.I.L.S, le 21 octobre dernier. Souvent catégorisé comme « freestyleur », Ninho comptabilise aujourd’hui plus de 2 millions de vues par vidéos YouTube. À vrai dire, il n’en est pas à ses débuts dans la musique. Ninho est un rappeur de longue date, expérimenté, qui ne cesse de faire parler de lui. En un clic sur YouTube, on retrouve des vidéos de lui datant de 2013 en train de freestyler dans une voiture… Aujourd’hui c’est dans nos bureaux qu’il vient nous rencontrer pour nous parler de son parcours, de son enfance entre Nemours en Seine-et-Marne et Yerres en Essonne puis de son dernier projet M.I.L.S.

Photos : @booxsfilms

Tu as commencé le rap très tôt, au collège. On a pu retrouver sur YouTube des vidéos de tes freestyles quand tu étais plus jeune. Tu avais déjà des paroles assez sombres pour ton âge… Dans quel état d’esprit tu étais à l’époque ?

J’étais juste un jeune passionné de rap, c’était vraiment un kiff pour moi d’essayer de faire comme les rappeurs. Je tentais de faire comme les grands de mon quartier qui rappaient eux-aussi. J’observais leurs façons de faire et en les écoutant rapper, cette obsession m’est venue. Je rappais avec mes potes pour m’amuser et petit à petit je commençais à développer mon propre style.

Tu t’es essentiellement fait connaître grâce à tes freestyles et remixes. Beaucoup de personnes ont donc eu tendance à te catégoriser comme un « freestyleur ». Ne penses-tu pas qu’on t’a sous-estimé à l’époque ?

Non pas vraiment, c’est l’image que je donnais de moi. J’accordais beaucoup d’importance aux freestyles. Je tenais à ce que mon public sache que je suis capable de « freestyler », de « kicker », avant de pouvoir m’attaquer à un projet et à des morceaux plus construits.

Tu voulais être sûr de maîtriser les bases ?

Oui mais j’étais déjà sûr de moi. J’étais conscient de mes capacités. Je voulais plutôt être sûr que les gens aussi prennent conscience de mes capacités en ne me percevant pas comme un rappeur limité.

Tu as l’air d’être quelqu’un de travailleur et de déterminé. Avais-tu déjà une stratégie, une vision à tes débuts ?

Non quand j’ai commencé c’était vraiment pour m’amuser. Je n’avais pas du tout pensé au concept : Ils Sont Pas Au Courant et Maintenant Ils Savent (I.L.S.P.A.C, M.I.L.S, ses derniers projets, ndlr). C’est au fil du temps que de plus grandes ambitions me sont venues, qu’on a commencé à réfléchir à des concepts avec mon équipe. Etant donné que je n’avais pas de visibilité, je devais réfléchir à des concepts originaux qui interpellent les fans et qui les fidélisent surtout. C’est l’un des avantages de mon public. C’est un public dont je suis très proche et qui me soutient beaucoup. Je pense qu’ils sentent que je suis quelqu’un de vrai, d’authentique.

« Je pense que le rap français fonctionne beaucoup par période. On a eu une grosse période 93, 94 et maintenant c’est au 91 de briller. »

À cette époque, tu faisais des allers-retours entre le 91 et le 77. L’Essonne est un département qui a une place particulière dans l’histoire du rap puisque les rappeurs du département ont souvent été dans l’ombre d’autres MC dont la visibilité était nationale. Comment peut-on expliquer cette situation ?

Dans le 91 on a toujours eu ce côté américain dans notre rap. On écoutait déjà beaucoup de trap et on s’inspirait beaucoup de la culture américaine, notamment celle d’Atlanta et d’autres villes du sud des États-Unis. Peut-être que les fans de rap français n’étaient pas encore prêts pour ce style de musique. C’est vrai qu’on n’était pas autant écouté que les rappeurs du 93 ou d’autres départements. On a une mentalité particulière. On aime bien rester entre nous et ne pas trop se mélanger.

Comment tu définirais le style du 91?

Je pense que c’est un style différent du reste. Notre musique ne sonne pas comme la leur. Prends l’exemple de Niska ou PNL, ils ont réussi à imposer leur propre délire.

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On assiste à une montée en puissance du 91 dans le rap avec PNL, Niska et toi. C’est une évolution logique ?

Je pense que le rap français fonctionne beaucoup par période. On a eu une grosse période 93, 94 et maintenant c’est à nous de briller. C’est une des premières fois que les rappeurs du 91 sont autant exposés. C’est à nous de profiter de cette situation et de faire en sorte que cette « période 91 » dure le plus longtemps possible.

Par la suite tu as déménagé dans le 77 à Nemours. Quel impact a eu ce changement d’environnement sur ta musique ?

En réalité, je n’ai pas ressenti un grand changement. Ce sont deux villes totalement différentes mais la mentalité y est similaire, les gens sont dans le même délire. Tu vas toujours trouver un gars qui te ressemble, sur qui tu peux compter. Je suis un rappeur du 91 et du 77. Je ne revendique pas l’un plus que l’autre mais d’un point de vue rap ce sont deux départements qui ont des points communs. Par le passé, les rappeurs n’avaient pas une énorme visibilité mais aujourd’hui ils se développent dans ces deux départements.

Beaucoup te connaissent comme un « kickeur » pourtant tu es également capable de faire des sons beaucoup plus calmes comme « Dans les temps » ou encore « Bloqués en bas ». Pourquoi ne pas avoir fait le choix de rester fidèle à un style ?

Je pense qu’un bon rappeur doit être tout terrain. Je ne vais pas me cramponner à un style. J’essaye d’être polyvalent et proposer quelque chose de nouveau. C’est en s’ouvrant à d’autres styles que mon public s’élargit.

« À l’époque mes seuls fans étaient mes amis qui m’entourent. C’était grâce à eux que je faisais des vues. »

Néanmoins tu as tout de même une sensibilité au rap américain qui te caractérise : au niveau des clips, du « flow »… Ce style est également dû aux influences américaines du 91 ?

Ces derniers temps de plus en plus de rappeurs français veulent imiter ce que font les Américains. Pour ma part j’ai toujours eu ce côté trap dans mes sons. Comme tu l’as dit, le fait d’avoir grandi dans le 91 m’a permis d’élargir ma musique à ce que font les Américains. C‘est venu au fil du temps naturellement. En tout cas l’influence « cainri » est inévitable. Ce sont eux qui ont inventé le rap donc on est obligé de s’inspirer un minimum de ce qu’ils font.

Tu concilies cet aspect à un style d’écriture très français avec beaucoup de punchlines…

Oui je suis un grand fan de rap français. Vers 12-13 ans j’en ai écouté beaucoup. J’ai donc appris la mathématique du rap en écoutant la musique de mes rappeurs préférés.

Tu analysais les morceaux ?

Oui mais c’était quelque chose d’automatique. Je n’en étais pas forcément conscient mais je commençais à comprendre les changements de « flow », les manières d’utiliser les rimes… J’étais un élève qui cherchait à comprendre la mécanique. Avec le temps, je commençais à comprendre l’importance du changement de mélodie et d’autres aspects techniques. Je n’étais pas apte à comprendre ce genre de choses quand je débutais.

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Tu viens de sortir M.I.L.S, ta nouvelle mixtape. Peux-tu présenter le projet ?

C’est une mixtape dans la continuité de mes trois autres projets. C’est un projet qui vient boucler le concept Ils Sont Pas Au Courant, Maintenant IIs Le Savent. J’ai essayé de continuer sur la lancée de I.S.P.A.C volume 2. J’ai choisi ce titre parce qu’aujourd’hui j’ai un petit public qui s’est formé. Je suis plus attendu qu’auparavant donc je me dois de livrer un projet à la hauteur.

Ils Sont Pas Au Courant car à l’époque les gens ne me voyaient pas comme un gros « kickeur », ils ne savaient pas que j’étais prêt. Les choses se sont faites lentement… De fil en aiguille, ma musique a commencé à tourner dans les quartiers et je commençais à me créer une bonne « fanbase ». D’où le Maintenant Ils Le Savent… Parce que ce n’est que maintenant que les gens prennent conscience de mes capacités. Je me sentais prêt depuis longtemps, je n’ai juste jamais eu l’opportunité de le montrer. À l’époque mes seuls fans étaient mes amis qui m’entourent. C’était grâce à eux que je faisais des vues. Ce n’est qu’à partir de I.S.P.A.C volume 2 que mon public s’est élargi.

J’imagine que M.I.L.S est un aboutissement de longues années de travail pour toi et toute ton équipe. Pourquoi ne pas avoir fait le choix d’un album ?

Sortir une mixtape avec autant de sons que j’estime « lourds » m’oblige à me surpasser pour mon album. J’aime bien quand les choses sont bien faites, je suis assez perfectionniste au niveau de ma musique. Ce sera un album très attendu donc forcément j’ai envie qu’il soit réussi.
J’aurais pu faire le choix d’un album. J’aime beaucoup les sons qui sont sur ce projet mais j’ai préféré me concentrer pour essayer de faire une première mixtape payante de qualité.

« Toujours rester vrai, ce n’est pas le succès qui va nous faire partir en couilles. »

En écoutant ce projet j’ai l’impression que les productions sont plus travaillées.

Effectivement, on a beaucoup travaillé là-dessus. On essaye vraiment de se prendre la tête sur le choix des productions. On reçoit beaucoup de demande de collaboration de « beatmakers », donc tu imagines bien que le choix n’est pas facile. On essaye vraiment de prendre notre temps pour sélectionner les meilleurs.
Je suis quelqu’un d’assez exigeant à ce niveau. J’ai mon équipe qui me suit depuis mes débuts. Ils sont à fond derrière moi et on se consulte souvent. Mais je reste ouvert à toute proposition venant d’un « beatmaker ».

La deuxième différence de M.I.L.S avec I.S.P.A.C sont également tes textes. Tu proposes ici une musique plus personnelle.

Je pense que j’arrive au bon moment pour parler de ma vie et proposer quelque chose de plus personnel. Je voulais exprimer ce que je ressens vraiment. C’est le bon moment parce que mon public a besoin de savoir qui je suis, d’où je viens… Cette mixtape, c’est un peu comme ma carte d’identité, ma carte de visite. Je pense que pour que mon public se sente encore plus proche de moi c’était important que je me livre un peu plus.
À 17-18 ans, je n’avais pas forcément la maturité et le recul pour parler de ma vie et me livrer autant. J’arrive à un stade où j’ai fait du rap mon métier. On peut dire que j’ai une situation stable. C’est le moment de m’ouvrir à mon public sans tout lui dire non plus. Il faut tout de même que je garde des cartouches pour le prochain album.

Je tenais à présent à me focaliser sur le morceau « Tout ira mieux ». C’est un titre assez sombre dans lequel tu dis que le diable entre dans ta tête, tu te décris comme perdu… Dans quel état d’esprit étais-tu quand tu as écrit ce morceau ?

Pour moi ce morceau est juste un constat de tout ce qui se passe dans ma vie. Dans la vie tu as des périodes où tu es triste, d’autres où tu es plus joyeux. Je me suis lâché sur ce morceau et je tenais à faire des titres qui peuvent toucher les gens. Quand tu es triste tu n’as pas forcément envie d’écouter des morceaux joyeux, c’est pour ça que j’ai écrit « Tout ira mieux ». La musique sert aussi à ça : émouvoir et dresser un constat. Dans mon cas le constat n’est pas très beau à voir mais je garde quand même espoir et je me dis que « Tout ira mieux ».

Cette tristesse tu l’as aussi retranscrit dans ton flow, avec un morceau beaucoup moins trap que les autres…

On a vraiment essayé de faire un album qui peut plaire à tout le monde. Les sons sont différents les uns des autres. Tu as des sons comme « Dis moi que tu m’aimes » et « Somnambule ». J’ai parlé de sujets différents : de ma famille, de mes proches, de mes potos… Je t’ai raconté toute ma vie dans ce projet.

Tu n’avais aucun blocage à te livrer autant ?

Si ! Je trouvais ça difficile de raconter ma vie et de me livrer autant. Parler de ma mère, des personnes auxquelles je tiens. J’étais peut-être pas assez mature pour en parler mais je suis arrivé à un point où je me sens prêt.

Quel est donc le terme qui définit le mieux cet album ?

Vrai, vrai, vrai ! « Sah to sah ». Toujours rester vrai, ce n’est pas le succès qui va nous faire partir en couilles. Pour l’instant ce n’est pas un gros succès. Le jour où j’aurais un gros succès ne t’inquiète même pas je vais te le montrer, d’autant plus que c’est un succès acquis de la bonne façon. Pour l’instant je suis toujours entre le 77 et le 91 dans ma cité, en claquettes – chaussettes…

Quels sont tes projets à venir?

Un album terrifiant sur lequel je suis en train de bosser en ce moment. J’espère qu’il va bien marcher et qu’il va plaire au public. Du moins, c’est ce que je me souhaite. On va continuer de charboner.

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