Jérémy Chatelain, la pop(ularité) scred

« Je me rappelle ». Une brève suite de mots qui en appelle d’autres, dans une boucle infinie de souvenirs et de nostalgie. Les paroles du vieux sage, de celui qui a vécu, au moins assez pour avoir de belles choses à se remémorer. La trentaine tout juste passée, Jérémy Chatelain n’est pas encore de ceux qui récitent leur longue expérience de vie au détour d’un arrêt de bus. Mais il suffit d’observer son crâne, désormais rasé de près, pour comprendre qu’il s’en est passé des choses, depuis qu’il a été malencontreusement rangé dans la catégorie des étoiles filantes de la télé-réalité. Outre cette même voix nasillarde, l’homme qui nous accueille au second étage d’un immense building surplombant la ville de Puteaux n’a rien de l’ado aux mèches gominées que « ta grand-mère reconnait car elle [l’a] vu à la Star Ac’. »

« C’est comment qu’on freine », le tout nouveau clip de Jérémy Chatelain.

C’est qu’on croit naïvement les connaître, ces candidats de réalité télévisée. Pour les avoir scruté quotidiennement sur nos écrans de longs mois durant. Pour avoir infiltré leur intimité de notre oeil curieux. On en oublierait presque que quinze années se sont écoulées depuis la deuxième saison de la Star Academy. Et que les gens changent, pendant tout ce temps. Dans le cas de Jérémy Chatelain, il faut à peine quelques minutes d’entretien pour bouleverser toutes les certitudes, tous les a priori que l’on pourrait avoir sur sa personne. Car le pop-rockeur aperçu sur TF1 est en fait un grand amateur de rap, genre par lequel il a d’abord fait ses gammes.

« J’ai habité dans les maisons, mais pas assez loin des tours. » C’est en résumant sa jeunesse à travers cette phase de Dyda, du groupe Code 147, qu’il finit d’étouffer tout éventuel scepticisme. Il sait de quoi il parle, Jérémy. Sa jeunesse, c’est celle d’un gamin aisé de l’Essonne, soutenu par un père mécène de son activité musicale. Il grandit dans un jolie baraque située à Étiolles, « un espèce de petit Beverly Hills entre Evry et Corbeil », selon ses propres dires. C’est l’époque où le jeune A-Trak remporte pour la première fois le Championnat du Monde DMC, du haut de ses quinze ans. Équipé de platines et d’un Triton, Jérémy suit ses traces, et se lance donc rapidement dans le turntablism, puis dans la composition. Ou du moins, il essaye. S’il a beau accueillir dans sa demeure tous les emcees du département, qui viennent exercer leurs rimes avec son crew de DJs, ses productions ne sonnent pas comme celles des autres. Phénom, un de ses amis de longue date, ancien membre du posse en question, se souvient : « Tout le monde voyait bien qu’il était plus musical. Moi je n’avais pas de notions de solfège, lui en avait. Il savait aussi jouer du piano… Du coup, quand on faisait de la musique, et qu’il essayait de faire du rap, ça sonnait déjà trop varièt’. »

Le principal concerné raconte que c’est justement Phénom qui l’a poussé à s’affirmer dans la variété, après être tombé sur une de ses vieilles cassettes en piano-voix. Jérémy suivra son conseil pendant au moins une année, celle où il s’assume enfin en tant que chanteur. Il se laisse pousser les cheveux, troque ses vêtements amples pour des habits plus resserrés, découvre le clubbing dans la capitale. Puis vient la Star Academy. Quand il s’y inscrit en 2002, le règlement du télé-crochet stipule qu’il faut être majeur pour intégrer le casting. Lui n’a que 17 ans. Plutôt que d’écarter sa candidature, la production décide de faire du cas Jérémy Chatelain une jurisprudence, l’exception devenant règle avec une limite d’âge désormais rabaissée à seize ans. Les portes du Château des Vives Eaux s’ouvrent alors à lui, plus court chemin vers une hypothétique célébrité. « J’avais le fantasme de la télé, d’être connu. Fallait être connu. Toutes les années d’après, j’ai passé mon temps à déconstruire ça. Mais à l’adolescence, on voulait tous être connus. Pas forcément pour les bonnes raisons d’ailleurs. Ma principale raison, c’était d’arrêter l’école. »

Jérémy est finalement éliminé après douze semaines de compétition. Suffisant pour accrocher un contrat en maison de disques, chez Universal. L’aventure ne s’arrête pas là. Elle commence tout juste, à vrai dire. À sa sortie, il publie un premier album éponyme. Le succès est relatif, mais lui permet d’enchaîner les concerts. Une première partie de la Star Ac’ au Parc des Princes, une tournée des Zéniths avec les L5, entre autres : « Ca a été un accélérateur de particules à tous les niveaux. De curiosité, de culture. Tu te retrouves sur scène avec tes copains d’enfance en train de jouer devant des milliers de personnes. C’est incroyable. »

À l’ombre, par choix

« Pour mon deuxième album j’ai déjà la démarche de me dire ‘je veux quelque chose de plus produit’ mais je ne sais pas comment faire. Je le réalise avec Mitch Olivier et je l’écrit avec Jean Fauque, qui était l’auteur de Bashung. Mais j’ai su que je ne voulais plus faire de la musique uniquement avec des musiciens. Alors je suis rentré dans la prod et à partir de là, c’était fini. Je voulais tuer le studio. » Studio qu’il ne quittera plus pour les dix années à venir. Plus un jour ne passe sans que Jérémy Châtelain ne dissèque le fonctionnement de ses machines, ne tapote les touches de son clavier. Il devient un véritable homme de l’ombre, par choix. Surprenant pour celui qui aspirait justement à en sortir, quelques années plus tôt. « À ce moment là, c’était bon. Ce fantasme là était réglé. J’avais une fille, un bête de studio, donc tout ce dont j’avais envie, c’était de faire du son. »

Il pose discrètement son nom sur l’album d’artistes qui lui sont proches. Une académicienne de sa génération, en la personne d’Emma Daumas. Puis sa compagne Alizée, dont il réalise l’album censé faire oublier quatre ans d’une collaboration fructueuse avec Mylène Farmer et son parolier, Laurent Boutonnat. Intitulé Psychédélices, le projet fait apparaître des noms surprenants, comme celui d’Oxmo Puccino, à l’écriture, ou celui de Kore, dont Jérémy a été le voisin de studio pendant plusieurs années. Un casting ronflant pour une formule qui ne prend pas. Pas en France, en tout cas. Parce qu’à quelques milliers de kilomètres de l’Hexagone, au Mexique, Psychédélices est un succès retentissant. « C’était marrant parce qu’autant en France j’avais l’impression d’être un peu wack, autant là-bas j’étais genre Jay-Z : le producteur number one. On ne pouvait limite pas sortir. Je voyais des 20 000, 30 000 personnes, des stades quasi-remplis qui reprenaient mes chansons, alors qu’en France j’étais bidon », se remémore t-il, sans une once de rancoeur. En marge de cette tournée triomphante, Jérémy, soucieux de donner une autre couleur au projet qu’il a mené de main de maître, suggère au directeur artistique de Sony d’envisager de le remixer. Une lourde tâche qui revient aux talents du label électro Institubes. « Teki, Jean-René Etienne, Para One, Surkin… Ca a été un game changer pour moi. Les gars avaient un son énorme. J’avais ramassé un remix de David Rubato sur une de mes compositions, ‘Fifty Sixty’. Incroyable. Depuis, on s’est jamais vraiment lâché avec Institubes. » Pour preuve : c’est avec eux qu’il produit le quatrième album d’Alizée, Une enfant du siècle, sorti trois ans plus tard.

« Je vais te dire un truc qui est marrant : la plupart des mecs les plus pointus, ce qu’ils trouvent le plus fou, c’est que j’ai fait le générique du PMU sur TF1 pendant quatre ans. Ils ne vont jamais me parler de mon morceau avec Oxmo. Ce qui les impressionne, c’est le fait que j’ai été en couv’ de Voici et le générique du PMU. Parce que ce sont des choses auxquelles ils n’ont pas forcément accès. »

Oxmo Puccino, Jean Fauque, Kore, Institubes… La variété des artistes ayant apporté leur contribution à Psychédélices n’a rien d’anecdotique. Au contraire, elle témoigne de la pluralité des environnements que Jérémy Chatelain a côtoyé tout au long de son parcours. L’ancien académicien semble se positionner comme un trait d’union entre les cultures populaires et celles plus « underground », plus « nichées ». Des univers qui ne se croisent que rarement, autrement que par opportunisme. Mais n’allez pas moquer sa contribution à la bande originale française d’High School Musical 2, pour ensuite louer son travail sur le titre « Paris » du rappeur japonais KOHH. À ses yeux, l’un n’a pas nécessairement plus de valeur que l’autre. Pas de snobisme de sa part vis-à-vis de la culture populaire, pas question de la fuir, de s’en détacher dans l’optique de se refaire une image. « J’ai honte de rien et je ne suis fier de rien. J’apprécie tout comme c’est. Si quelqu’un me dit ‘oh bah maintenant c’est vachement bien parce que tu travailles avec Ed Banger et Bromance, mais avant c’était nul parce que tu faisais l’album d’Emma Daumas’, je lui répond que non… Toutes les machines qui sont là je les ai maîtrisées en travaillant l’album d’Emma Daumas avec Chris Coady qui était le mixeur de TV on the Radio, tu vois ? J’ai appris partout. Il faut tout respecter. » Et tant pis s’il reste connu comme Jérémy « de la Star Ac » ou Jérémy « l’ex-mari d’Alizée » dans les mémoires collectives. Tant pis si l’on retrouve plus souvent son nom dans les gazettes people que dans la presse musicale. Ça fait partie de ce qu’il est aujourd’hui.

Villejuif, fontaine de Jouvence

Tout comme Villejuif. Car sans que vous le sachiez, la commune val-de-marnaise a abrité ce qui était, d’après lui, « un des gros spots de la musique électronique et du rap entre 2012 et 2015 ». Le spot en question ? Sa propre baraque. Ni plus ni moins. Une immense bâtisse située au bord de la Nationale 7 que Jérémy regagne au terme de son idylle avec la plus célèbre des lolitas françaises. Le début d’une période de débauche, de frénésie créatrice et de laisser-aller. Celui qui vient se poser quelques jours à Villejuif est largement susceptible d’y camper pendant plusieurs mois. On s’y amuse, on s’y sent bien. C’est le genre de colocation libre et sans contraintes dont on rêve à l’adolescence. Jérémy en parle comme d’une « MJC pour adultes ». Son ami Svet, présent au cours de l’interview, évoque pour sa part « une annexe du Social Club ». Tout aussi juste, d’autant qu’on croise du beau monde à Villejuif : Brodinski, Sneazzy et Nekfeu, Boston Bun, Chassol, Club Cheval, Kore, Bellek ou encore Mos Def, venu bouffer des burgers veggies et écouter du free jazz. « On n’était régi que par le divertissement. Fallait monter une piscine, installer un panier de basket, faire un terrain de tennis. T’avais un practice de golf, deux billards au fond, un Hummer au milieu, une cuisine avec des paquets de gâteaux à l’infini. Les gars ne voulaient pas partir. » Tout ce qu’il faut pour prendre du bon temps. Tout ce qu’il faut pour composer, aussi : « studio » et « foyer » étant souvent deux termes synonymes pour Jérémy Chatelain.

À cette période, il travaille essentiellement en tandem avec Soufien 3000, connu pour avoir apposé sa patte sur les deux premiers projets d’A$AP Rocky. « Souf était un peu l’âme de Villejuif. On se suffisait à nous-mêmes. Tu ne peux même pas imaginer le matos qu’on avait dans cette maison. On n’y touchait même pas. Notre truc c’était de parler, c’était la poésie. Humainement, c’est sans doute l’un des mecs les plus brillants que j’ai rencontré dans ma vie », raconte Jérémy. Quand leur matériel n’est pas délibérément laissé pour compte, les deux hommes s’avèrent être étonnamment prolifiques. Il blindent leurs disques durs de maquettes, de squelettes de productions condamnées à ne jamais en sortir. Car c’est une règle implicite de Villejuif : rien ne sort, sauf cas exceptionnel. « Il faut savoir que Souf et moi avions de fortes exigences. C’était genre ‘Non mais là vous avez rendez-vous en maison de disques, il y a moyen que votre prod elle aille pour Shy’m’, et nous on répondait, ‘Ah non, nous c’est Rihanna ou rien. On est sur un gros coup là’. Donc les gars finissaient par abandonner avec nous. » Parmi les rares artistes à avoir pu bénéficier de leur travail, il y a les trois membres de la MZ, venus dans le 94 pour enregistrer le morceau « Bonbon », produit par le binôme.

« Même si c’était hyper riche artistiquement, c’était quand même bien que ça se finisse. » La maison de Villejuif détruite en 2015, il est temps pour Jérémy de passer à autre chose. Busy P l’embarque avec Boston Bun dans une cabine de la Folie Méricourt, où ils commencent à travailler sur des publicités. C’est plus discipliné, les morceaux ne tombent plus dans l’oubli. Pas cette fois. Écrit avec Soufien 3000 dans les cuisines de la demeure val-de-marnaise, « Je me rappelle » ne sort finalement qu’en 2017, après être tombé dans les oreilles de Lionel Dray, directeur du label HRCLS. Lionel était initialement venu au studio pour écouter des pubs. Le voici prêt à redonner un second souffle à la carrière protéiforme de Jérémy Chatelain. Malgré lui. « Ca ne m’a pas spécialement manqué. J’étais toujours au studio, j’ai jamais arrêté de taffer. J’avais posé des voix en français sur deux sons parce que j’ai eu une inspi qui m’est venue comme ça. J’ai senti qu’il y avait une bienveillance autour de moi, et c’est ce qui m’a poussé à revenir donner des nouvelles. Sinon j’aurais pu rester comme ça encore dix piges. »

Photos : @terencebk

Dans le même genre