Justice pour Théo : Portraits de ceux qui ne veulent plus se taire

Depuis presque un mois les manifestations en soutien au jeune Aulnaysien se multiplient aux quatre coins de la France. Qu’elles soient organisées par des associations, des collectifs ou par de simples citoyens, ces démonstrations d’unité ont pour but de dénoncer les méfaits perpétrées lors de cette sombre soirée du 2 février. Mais pas que… Car derrière ce nom « Théo » qui aujourd’hui cristallise l’attention des médias et de la justice, il y aurait en effet des milliers de cas non recensés ou exposés au vu et au su de tous. C’est donc en marge de la manifestation ayant eu lieu samedi dernier à Bobigny, quelques mètres derrière le Tribunal et sous le pont reliant le Palais de Justice au reste du monde, que nous avons entrepris de recueillir les témoignages d’une partie de ceux et celles qui ne veulent plus fermer les yeux.

Photos : @HLenie

 

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«En terme d’investissement, chacun fait ce qui lui semble juste. Il n’y a pas de pression. »


 

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Issa : « J’ai décidé d’organiser ce rassemblement pour afficher notre soutien avec la famille des victimes mais aussi afin de réclamer justice pour toutes ces violences et bavures policières qui existent.
Lorsque j’ai lancé cet appel, je ne m’attendais pas à mobiliser autant de gens. Pas une seule seconde. La vérité, c’est qu’au début l’information n’a pas très bien tourné. Puis les jeunes ont commencé à relayer la date et enfin des rappeurs ont fait pareil. C’est là qu’on a compris que la mayonnaise avait vraiment pris. Finalement, pas mal de médias m’ont contacté et ce n’est qu’hier que j’ai réalisé qu’on serait beaucoup.
Le fait que ce soit moi et pas un artiste qui ait lancé cet appel ce n’est pas le plus important. En terme d’investissement, chacun fait ce qui lui semble juste. Il n’y a pas de pression.

À l’âge de 9 ans mon père a été victime de violences policière parce qu’il les a empêché de taper un jeune. Alors ils l’ont aspergé de bombe lacrymogène et l’ont emmené en garde à vue. À cet âge, quand tu vois ça, tu te poses beaucoup de questions. »

 

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Selim : « J’ai été interpellé de nombreuses fois, je ne suis pas un saint mais on n’est pas des animaux. Une fois par exemple, je suis dans ma cellule et un policier l’asperge de bombe lacrymogène. Je suis asthmatique et ils le savaient puisque j’avais mon traitement sur moi. Ils étaient au courant mais ils m’ont quand même laissé dormir dans la cellule qui est longtemps restée imprégnée.
Le plus triste ? C’est que c’est devenu le quotidien de pleins de jeunes. Ils s’y sont habitués et ils savent qu’en se faisant contrôler ça peut partir en couilles à tout moment. On a plus peur de ces choses là, malheureusement. Le fait que ça se soit banalisé dans nos têtes, qu’on soit aussi résignés…c’est pas normal ! Je vous jure que j’aimerai bien dire bonjour aux flics moi. Il y en a qui se sont plus occupés de moi que mes propres parents. Il y a des policiers, je les respecte. Les autres… je préfère me taire. Tout ça c’est dommage. Ils se familiarisent trop avec nous mais on n’est pas leurs amis ni leurs frères, ils n’ont pas à nous parler de la façon dont ils nous parlent. Ils nous obligent à les vouvoyer sous peine de se manger des baffes. Mais nous, quand on leur demande d’avoir le même traitement on se mange des baffes. Dans ce cas on passe par où, on fait comment ? Leur logique ne fonctionne que dans un sens… Dans le cas de Théo, si cela avait été trois jeunes qui avaient effectué la même ignominie sur un policier, vous croyez que l’IGPN aurait affiché autant de zèle pour nous trouver des excuses ? »

 

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Si aujourd’hui cela arrive à un mec de cet âge, demain ça sera quelqu’un de quoi ? 15, 16 ans ?


 

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Alexandre : « Si je suis là aujourd’hui c’est avant tout pour les jeunes et la jeunesse qui se fait clairement réprimer. À 22 ans ce n’est pas possible de vivre de telles choses. On parle d’une matraque télescopique. Si aujourd’hui cela arrive à un mec de cet âge, demain ça sera quelqu’un de quoi ? 15, 16 ans ? Je ne peux pas imaginer ça. Ma présence, elle est dûe au fait que je m’identifie à ces personnes même si j’ai 25 ans. Je suis donc ici pour exprimer mon refus, dénoncer cette injustice et pointer du doigt tous ces hommes politiques qui sont absents et qui ne réprimandent pas les auteurs des faits. »

 

 

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Anaïs : « Je suis là aujourd’hui parce que j’ai l’un de mes « frères » qui a été agressé lui aussi. Enfin, agressé…non, il a été violé par des policiers ! C’est une situation anormale, et comme je n’avais malheureusement pas pu assister à la manifestation pour Adama, je voulais absolument être ici pour apporter mon soutien pour que tout cela cesse. »

 

 

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Il faut que la justice règne : nous sommes dans un pays de justes, alors il faut que la justice soit là.


 

 

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Alphonse : « C’est un jeune qu’on connait bien, il nous soutient depuis qu’on a créé notre groupe musical. Tout le temps là pour nous aider, savoir si on a besoin de quelque chose… On sort de l’hôpital, on l’a vu et on lui a dit qu’on ne lâcherait rien. Il faut que la justice règne : nous sommes dans un pays de justes, alors il faut que la justice soit là. »

 

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Wedek : « Je suis venu aujourd’hui parce que dans mon quartier à la Goutte d’Or dans le 18ème arrondissement, il y a beaucoup de bavures. Je me sens donc solidaire de tout ce qu’il se passe ici et je pense que tout soutien est bon à prendre. En tant que Blanc, c’est plus facile pour moi et j’ai envie de montrer qu’on soutient les Blacks. Depuis tout petit j’ai vu de ces trucs, des innocents se faire malmener par la police et moi ça ne me laisse pas indifférent…Voilà pourquoi je suis là. »

 

 

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On dénonce l’impunité de la police mais aussi sa structure. L’état raciste collabore à cette discrimination, qu’elle soit urbaine, sociale ou économique.


 

 

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Antonio : « Je fais parti d’un collectif qui s’est crée en 2009, à l’origine cela part d’une envie de dénoncer les crimes policiers qui sont aujourd’hui encore impunis dans notre pays. C’est pour donner aussi une médiatisation et une lumière à ces familles qui subissent tous les jours des violences policières. On dénonce l’impunité de la police mais aussi sa structure. L’état raciste collabore à cette discrimination, qu’elle soit urbaine, sociale ou économique. Aujourd’hui, je pense que c’est une date importante ne serait-ce que pour ce qu’on a peut être loupé en 2005. On peut renouer avec une conscience de classe et non de race, c’est important d’être ici et de se battre. »

 

 

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Aissatou : « Je suis là parce que je me sens concernée. Nous sommes des minorités en France et on sent un manque de justice, une injustice perpétrée depuis très longtemps. Il y a quelques temps il y avait déjà eu Adama, là c’est Théo… On attend que la justice remplisse son rôle. J’ai un frère de 16 ans et j’ai la boule au ventre à chaque fois qu’il sort. Et moi-même quand je sors il y a toujours ce sentiment d’inquiétude.
Nous sommes français, nous aussi nous avons droit à la justice. »

 

 

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Théo, c’est comme mon petit frère car je le connais depuis qu’il est tout petit, je connais sa famille, ses frères, sa mère…


 

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Nino : « Je viens soutenir mon petit frère. Théo, c’est comme mon petit frère car je le connais depuis qu’il est tout petit, je connais sa famille, ses frères, sa mère…J’ai été à l’école avec ses soeurs. Logiquement, je viens soutenir le petit. »

 

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S.B : « Nous on est là pour soutenir parce que c’est inadmissible de voir tout ce qui se passe. C’est bien de voir tout ce soutien matérialisé, tous ces gens…c’est juste énorme. Autour de nous on en parle, on sait qu’il faut se mobiliser pour que ce genre de choses ne se produisent plus. »

 

 

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Je ne suis pas jeune, je suis professeur à la retraite et j’habite Paris. Ok je ne suis pas d’Aulnay sous Bois mais je tenais quand même à être là.


 

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Anonyme : « J’attends avec impatience une re-qualification des faits qui me paraîtrait plus sérieuse. Je suis alertée par cette espèce d’incertitude et cette qualification de « violences » qui ne me parait pas du tout suffisante. Je suis plus convaincue par ces qualifications proposées par Jean-Luc Mélenchon ou cette avocate [Isabelle Steyer, ndlr] qui parlait de tortures et d’actes de barbarie. Je suis là pour essayer de faire entendre ma voix. Je ne suis pas jeune, je suis professeur à la retraite et j’habite Paris. Ok je ne suis pas d’Aulnay-sous-Bois mais je tenais à être là. J’ai rencontré d’autres gens, j’ai même rencontré des anciens collègues. Donc oui, j’espère qu’il y aura une prise de conscience et des prises de position de plus en plus nombreuses et claires dans cette affaire. En politique il y en a eu…mais où sont-ils aujourd’hui ? »

 

 

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