Kris Jenner, les yeux plus gros que le ventre

Keeping Up With The Kardashians rempile pour une douzième saison. Voilà près de dix ans que la smala donne à voir les coulisses de sa vie paillettée et régale le public de ses aléas, bouffonneries, tendresses et crêpages de chignons. E! aurait allongé 100 millions de dollars pour renouveler et garder les droits de diffusion de l’émission jusqu’en 2020. Mais KUWTK n’est que la face émergée d’un empire gargantuesque et glouton que Kris Jenner, la matriarche, s’est ingéniée à bâtir à la seule force de ses bras. Portrait de l’éminence grise de la fratrie la plus célèbre du globe.

 

Family Affair

 

Mary Jo Campbell est un drôle de personnage. Piquant et pugnace. À 18 ans, elle épouse son amour de jeunesse puis divorce deux mois après. Une hérésie pour l’époque, l’Amérique des années 50. Moins de dix ans plus tard, elle récidive avec son deuxième mari, Robert Houghton, qui lui aura donné deux enfants. Son aînée, Kristen, n’a alors que sept ans. C’est seule que MJ élèvera ses rejetonnes. Elle en fera des femmes indépendantes, au caractère trempé. La matrone subira et vaincra également deux cancers, l’un du sein, l’autre du colon. Les chiens ne font pas des chats. Kristen est un roc, chapeautant d’une main de fer sa carrière et sa famille. « Ma mère me disait que je pouvais accomplir tout ce que j’avais en tête, et elle m’a appris à mettre la barre haute, à voir les choses en grand. Elle me l’a montré à travers sa force et sa persévérance », dira Kris de sa génitrice.

 

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Lorsque Kristen Houghton tombe sous le charme de Robert Kardashian, frisant la trentaine, elle a 17 ans. Kris travaille un temps comme hôtesse de l’air avant de se consacrer pleinement à sa maisonnée, dans les hauteurs chics de Beverly Hills. La vie du couple Kardashian semble une capture de Desperate Housewives. Lui, avocat et “vieux beau”, gagne grassement sa vie. Elle, femme au foyer, choie sa nichée, fait la popote et tue le temps. Le week-end, la paire retrouve sur le court ses amis Nicole et O.J. Simpson, armée de raquettes et de survêt’ Fila. À 30 ans et quatre enfants – Kourtney, Kim, Khloé et Robert Jr – Kris tourne en rond. Et part s’étourdir en douce dans les bras d’un autre. Robert l’apprend, résilie sa carte bleue et la flanque à la porte. « J’ai perdu mon mari, mes amis, ma maison et presque la tête », larmoiera Kris dans ses mémoires, Kris Jenner … And All Things Kardashian. Elle accusera lourdement le coup jusqu’à sa rencontre avec Bruce Jenner, un ancien champion olympique à la bonne gueule et au grand cœur. Les deux s’amourachent mais sont ruinés. Avant Kris, Bruce vivait dans un bungalow une pièce. Mais la brunette n’est pas femme à s’abattre. C’est elle qui s’escrimera à promouvoir les discours de motivation et le livre du décathlonien, Finding the Champion Within, auprès de tout ce que le pays compte d’influenceurs. « C’était un mélange de sang, de sueur et de larmes, d’enthousiasme, de détermination. », rembobinera la businesswoman. Elle poussera aussi son homme à réaliser une série de vidéos de workout. De quoi mettre du beurre dans les épinards et lui faire prendre pleinement conscience de son potentiel. Bruce aura été son premier vrai projet. « La raison pour laquelle je travaille autant, c’est Kris. », confiera l’athlète. « Je me suis débarrassé de tous les agents, managers et étrangers qui voulaient profiter de moi. Kris sait comment garder les pourcentages que tous les autres essaient de récupérer, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien pour le vieux Bruce. Elle m’a refaçonné des pieds à la tête. » Le tandem enfantera deux bambines, Kendall et Kylie. En 2003, Robert Kardashian, l’ex, mourra d’un cancer de l’œsophage.

 

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Début 2007, les médias font leurs choux gras des ébats filmés du chanteur de r’n’b Ray-J avec sa petite-amie, Kim, une copine de Paris Hilton, jolie plante aux courbes voluptueuses. Kris, la mère de l’aspirante starlette, qui mûrissait depuis des mois l’idée d’une télé-réalité autour de sa tribu élargie, flaire le filon. Plutôt qu’une bévue, elle voit là une opportunité. Son concept d’émission a brutalement gagné en désirabilité. Rendez-vous est pris avec le producteur Ryan Seacrest. Hésitant, Seacrest enverra d’abord une équipe filmer le clan lors d’un barbecue, pour tester la « marchandise». « On a un show. Ça va être génial ! », s’écrira-t-il immédiatement après le tournage du pilote, conquit par la loufoquerie de la famille. E! a visé juste. Keeping Up With The Kardashians fera grimper la chaîne en orbite. Dans sa critique du premier épisode, diffusé sept mois après la sortie de Kim Kardashian Superstar, le New York Times décryptera : « En tant que parent, la mère de mademoiselle Kardashian, Kris Jenner, était préoccupée pour sa fille. Mais en tant que manager, elle s’est dit : ”Wow, c’est super.” » En apparence, Kris s’alarme. En réalité, elle boit du petit lait. Le sexe fait vendre et jamais une « celebrity sex tape » n’aura connu autant de succès. Dès le départ, Kim Kardashian s’est imposée comme l’attraction de l’émission.

 

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Keeping Up With The Kardashians décolle et explose. 1, 2, 3 … puis 11 saisons défilent. Kris Jenner rêve d’en faire 26. Le premier épisode aura ameuté 898 000 curieux, le dernier quelques 2 millions. Planquées dans les plafonds de la maison de la matriarche, les caméras tournent 10 à 12 heures par jour, parfois plus. La dynastie Kardashian est devenue la plus bankable du monde pop. Chacun de ses membres est multi-millionnaire. En créant la marque Kardashian, Kris Jenner a édifié un royaume. Très vite, elle s’est empressée de faire parapher à tour de bras des contrats publicitaires ou de licences à sa progéniture. Pour des bracelets, des chaussures, des sucettes, des vernis et autres produits de beauté, du prêt-à-porter ou même une liqueur, alors que Kim ne boit pas. Tous sont à la tête d’une ou plusieurs entreprises à succès. Y compris Rob, le mouton noir, avec ses chaussettes bariolées Arthur George. De son côté, Kris, la tête pensante, a la haute main sur sa société de production, Jenner Communications, sa ligne de bijoux en perles de Majorque, sa collection de vêtements, The Kris Jenner Kollection, la marque de soins Perfect Skin, la boîte de pilules de régime Quick Trim et les parfums de Kim et de Khloé. En septembre 2017, elle ouvrira aussi une école de commerce à Dubaï. Surtout, elle manage ses six poules aux œufs d’or et produit Keeping Up With the Kardashians ainsi que sa flopée de spin-offs, Kourtney and Khloé Take Miami, Kourtney and Kim Take New York, Khloé and Lamar et Kourtney and Khloé Take The Hamptons. Chacune des émissions à laquelle son nom s’inscrit au générique se pose en vitrine des produits griffés Kardashian/Jenner. Ainsi de la fragrance unisexe de Khloé et Lamar Odom par exemple, Unbreakable, dont KUWTK avait chroniqué le processus de création. De la même manière, Jenner avait malignement mis en avant ses petits-enfants Mason et Penelope au moment de l’extension de la ligne Kardashian Kids aux bébés. Peu de temps avant, Kourtney avait annoncé sa troisième grossesse. D’après The Hollywood Reporter, la nouvelle avait été vendue 300 000$ à la presse, sexe de l’enfant et photos à la clé. Kris est une communicante hors pair.

 


« Après la diffusion de la sextape, en tant que parent, la mère de mademoiselle Kardashian, Kris Jenner, était préoccupée pour sa fille. Mais en tant que manager, elle s’est dit : ”Wow, c’est super.” » New York Times


 

Jenner a compris avant tout le monde que l’hyper-médiatisation avait tué la notion de secret. Si tout finit par se savoir, mieux vaut en contrôler qu’en subir la divulgation. Alors elle montre et capitalise sur tout, les naissances, les mariages, les ruptures, l’alcoolisme, l’addiction au crack ou le changement de sexe des uns et des autres. Rien ne l’effraie. Sa fortune culminerait aujourd’hui à 40 millions de dollars. Pas folle, en 2012, elle dépose le mot-valise « momager » auprès du bureau américain des brevets et marques de commerce. À vrai dire, elle n’a pas inventé le terme, mais lui a clairement donné tout son sens. Elle cumule et entremêle plus que quiconque les rôles de mère et de manager. « Ce job requiert que je ne vive, respire, mange, dorme que pour ça, 24/7. », confesse-t-elle.

 

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Kris est une bûcheuse acharnée. Elle s’évertue à transmettre son éthique de travail à ses enfants, qui suivent religieusement ses préceptes et ses pas. « Tout le monde dans ma famille se lève à quatre ou cinq heures le matin et travaille vraiment dur toute la journée. », rapporte-t-elle. Celle qui aime jouer les gourous publie à la pelle des mantras motivationnels sur les réseaux sociaux. « You did not wake up today to be mediocre » (« Vous ne vous êtes pas levé aujourd’hui pour être médiocre ») ou « Sometimes you have to stop thinking so much & go where your heart takes you. » (« Parfois vous devez arrêter de trop réfléchir & aller là où votre cœur vous mène ») peut-on lire sur son compte Instagram.

Le seul des projets de la sainte-patronne qui but la tasse, c’est son propre talk-show, Kris, stoppé net après un an de diffusion sur la Fox, faute d’audience. En réalité, Kris Jenner peine à exister par elle-même. Sur son Instagram à 12 millions d’abonnés, elle se fait l’attachée de presse de ses filles, en les « regramant », relayant leur actualité et leurs plus beaux clichés, qu’elle hashtague #proudmama. Sa propre vie passe en second plan. Si sa marmaille n’existerait pas sans elle, la réciproque est aussi vraie.

 

Machine à cash

 

En tant que manager, Kris Jenner empoche 10% du cachet de ses enfants. Plus ils concluent de deals, mieux elle est payée. Alors, tout est prétexte à faire du blé. A commencer par la sextape de sa fille. Dans son ouvrage Kardashian Dynasty, Ian Halperin clame que c’est bien Kristen qui aurait négocié un contrat avec Vivid Entertainment, magnat du X, pour diffuser ladite vidéo. Pas étonnant quand on sait qu’elle encouragera quelques temps après Kim à se dévêtir pour Playboy, alors que celle-ci se montre hésitante. De toute évidence, Jenner a fait de la plastique retouchée de ses filles son fonds de commerce. Et les pousse toujours plus vers l’hyper-sexualisation. Il n’y a qu’à voir sa petite dernière, Kylie, à peine majeure, dont les seins et la bouche déjà gonflés déjouent la norme. Bruce est lui-même monté au front pour accuser son ex de forcer ses filles à recourir au bistouri. Mais pour préserver les siens, Kris accepte volontiers d’endosser le rôle de mère avide que l’on veut à tout prix lui coller. Elle préfère de loin être la cible des attaques, au bénéfice de ses protégés.

 

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« Vous savez ce qui attire Kris? Le pouvoir, le pouvoir, le pouvoir. Et l’argent », invectivait Karen, la sœur de Kristen, dans une interview. Kris mercantilise tout ce qu’elle effleure. Elle fait notamment peu cas du romantisme ; les sentiments, elle les transforme en dollars. Kim’s Fairytale Wedding, émission en deux parties consacrée au mariage ultra-sponsorisé de Kim et Kris Humphries, fourmillait ainsi de placements de produits, du site LivingSocial aux hôtels Palazzo et Venetian de Las Vegas, en passant par la créatrice de mode Vera Wang. Pire, les Kardashians semblaient à peine connaître et considérer l’époux. L’union, qui sentait le préfabriqué à plein nez, n’aura pas tenu plus de deux mois. Kris aura aussi désespérément essayé de forcer le mariage de Kourtney et Scott Disick en vue de booster les audiences de KUWTK. En vain. Il y a certaines choses qui ne s’achètent pas.

 

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Obnubilée par les billets verts, affairée à gérer son business, Jenner n’entend pas toujours la détresse de ses enfants. Comme cet épisode de KUWTK où Khloé, éreintée par ses nombreuses obligations, réclame de souffler : « Qu’est-ce qui est le plus important, le travail ou la santé de ta fille ? ». Ou cet autre, où Kylie, souvent lésée, confie à Bruce ne pas avoir parlé à sa mère – trop occupée – depuis deux semaines. Entre la parente et la manager, Kris ne sait parfois plus qui elle est. « Parfois, je parle à Khloé comme sa mère. Soudainement, elle se retourne et dit : ”Je suis ta cliente, tu ne peux pas faire ça.” Même si ce sont mes filles, ce sont aussi mes clientes et elles méritent le respect.», livre-t-elle.

Kris est réputée dure, intransigeante. Despotique. Il y a trois ans, le magazine In Touch révélait ce qu’il présentait comme des extraits de journaux intimes du père Kardashian. « Kris était en train de frapper [Kim] et de la battre et elle disait qu’elle allait la tuer!« , aurait écrit Robert en août 1989. Un peu plus tard, il aurait évoqué un coup de téléphone de Kourtney, « en pleurs et hystérique« , se plaignant que sa mère lui tire les cheveux et lui torde les bras. Dans une interview au Vanity Fair l’année dernière, sa première en tant que Caitlyn, Bruce dépeignait à son tour une Kris castratrice, qui l’aurait maltraité et contrôlé durant des années. Il faut dire que KUWTK ne s’attachait pas à soigner son image. Bruce y apparaissait comme un homme apathique, vulnérable et dominé, dont l’avis ne comptait pas. Autant d’anecdotes qui nourrissent le mythe de Kris Jenner, figure aussi fascinante que détestable. « J’imagine que si je deviens un peu bizarre et râle à propos de quelque chose qui ne va pas dans le sens que je voudrais, ça s’appelle ”contrôler” », se défend de son côté l’intéressée.

 


« Vous savez ce qui attire Kris? Le pouvoir, le pouvoir, le pouvoir. Et l’argent » Karen, sœur de Kris Jenner


 

À la fois rivales et amies, Kris et ses filles entretiennent une relation ambigüe. Fusionnelle et pathologique. En fait, Kris projette sur ses héritières ses rêves et ses espoirs déchus. Elle vit à travers elles la jeunesse qu’elle n’a pas eue. Sous couvert d’agir pour leur bien, elle sert ses propres intérêts et désirs. Ses aspirations sont si palpables et pressantes qu’elles étouffent celles de ses enfants. Plutôt qu’encourager, Kris oblige, même à demi-mot. Inconsciemment, ses avortons absorbent ses ambitions. Kylie et Kendall, qui ont grandi sous l’objectif des caméras, n’ont pas eu le choix ni le temps de sentir et de savoir ce qu’elles désiraient, d’essayer, de tomber, de douter et d’apprendre. Soumises au régime médiatique imposé par Kris dès leur plus jeune âge, elles n’auraient pu échapper au même destin que leurs demi-sœurs, il était déjà tracé.

La momager admire ses filles, auxquelles elle se plaît à s’identifier, mais non sans un brin de jalousie. Difficile de le nier, Kris Jenner court après une jouvence éternelle. Ses nombreuses opérations de pimpage esthétique, incluant liposuccion, augmentations mammaire, rhinoplastie, botox et lifting, lui auraient coûté la bagatelle d’1 million de dollars. Kris assume, avait même invité les caméras de KUWTK à la suivre jusqu’au bloc pour sa deuxième chirurgie des seins. À 60 ans, elle ose les mini-robes, les maxi-décolletés, le moulant, le transparent, et chipe régulièrement dans la garde-robe de ses filles. Et alors qu’elle paonne aux côtés de Corey Gamble, son nouveau mec de 25 ans son cadet, la romance serait en vérité montée de toutes pièces. Il se murmure que le toy boy percevrait un salaire mensuel de quelques dizaines de milliers de dollars pour passer du temps et se montrer avec Kristen, s’occuper de ses petits-enfants et satisfaire ses desideratas. Quand on construit sa carrière sur sa propre image, rien n’est laissé au hasard. Tout est calculé et orchestré.

 

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« On dit souvent que la vie est une danse, et j’apprends en permanence de nouveaux pas. », professe Kris Jenner dans sa biographie. Quoi qu’il en soit, elle ne trébuche jamais.

 

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