L’appropriation culturelle selon Gucci

La formule a la côte. Elle dit le mépris, ou plutôt l’ignorance. Blâme le folklore qu’on marchandise et les clichés qui font joli. On la lit dans les dreadlocks de Marc Jacobs, la coiffe indienne de Pharrell et un peu tout des Kardashian. Il y a aussi de ça chez Gucci, avec la campagne de sa pré-collection Automne 2017. Une ôde maladroite à la jeunesse noire des sixties et à l’imagerie yé-yé de Malick Sidibé. 

 

 

Un grain vintage, des images léchées, une douce fièvre funky, une collection bariolée et un casting 100% noir. Baptisée « Soul Scene », la campagne inspirée des clichés de Malick Sidibé a belle gueule. Elle fait du bien même, en redonnant des couleurs à une mode trop livide. On voudrait l’adorer. C’est d’abord ce qu’on a fait. Et puis, à y voir de plus près, l’artifice est apparu, là, criard et grossier. L’ambiance façon Northern Soul manque d’âme, d’authenticité. La jeunesse capturée par Sidibé était drôle, insouciante et spontanée, pleine de rires, de vie et de sincérité. Celle de Glen Luchford a la joie un peu molle, l’ivresse forcée. Dans le film, ils sont une dizaine à chauffer la piste sans transpirer. La fête sonne creux. Le DJ joue le morceau « The Night » de Frankie Valli & The Four Seasons, un groupe pop-rock américain … iconique mais pas soul.  « Mettre un groupe de personnes noires portant des vêtements colorés dans une pièce et leur demander de danser ne suffit pas à faire une révolution », écrit R. Eric Thomas pour le New York Times. Pour un peu d’audace et de fraîcheur, Gucci a réduit le mouvement musical Northern Soul à des codes esthétiques visuels bien choisis. En fait de culture, la Maison met en scène une reproduction mal ficelée, des signes extérieurs de reconnaissance stéréotypés, des looks plus qu’une histoire. « Ça nous ressemble, mais ce n’est pas nous », résume Thomas. On ne célèbre pas, on mercantilise. Il y a un truc néo-colonialiste dans l’idée. Des blancs privilégiés qui s’emparent d’une culture qui ne leur appartient pas, celle d’une minorité. L’appropriation culturelle. « Je ne comprends pas cette récupération systématique pour tirer les grosses ficelles de la soi-disant suprématie blanche. C’est ridicule » conteste Nathalie Rozborski, Directrice générale adjointe du bureau de tendances Nelly Rodi. « Il faut arrêter avec l’idée de la récupération. Tout le monde récupère tout, c’est un cercle vertueux. » Seulement, transformer l’héritage culturel d’un groupe historiquement oppressé en objet de consommation et de profit questionne, dérange. La griffe s’engage-t-elle sincèrement ou saisit-elle l’envie et la tendance d’un moment ? Il y a ceux qui revisitent le wax, empruntent des bijoux Massaï ou dessinent des jupes à plumes, et puis ceux qui s’impliquent, vraiment. Comme Vivienne Westwood, qui confie depuis une dizaine d’années la fabrication d’une mini-collection de sacs recyclés à des kényanes vivant sous le seuil de pauvreté. « Ce n’est pas de la charité mais du travail », insiste-t-elle. L’appropriation devient alors un échange, un partage, un hommage véritable.

 

 

«Gucci mérite deux pouces en bas pour son manque de diversité», pointait le directeur de casting James Scully en décembre dernier lors d’une conférence organisée par Business of Fashion. La Maison italienne était alors une habituée des cabines et des publicités presqu’exclusivement blanches. Après qu’elle a dévoilé sa campagne Pre-Fall 2017, Scully a applaudi : « Ca pourrait réparer les dommages et remettre l’industrie sur le chemin de l’inclusivité. Bravo à Alessandro [Michele – le directeur artistique de Gucci]! ». En janvier 2015, Michele avait remplacé Frida Giannini au pied levé, après son départ précipité. Le créateur aux airs baba cool n’a depuis cessé de réenchanter le style Gucci à grands coups de pièces excentriques, décalées et flamboyantes. Un fourre-tout presque carnavalesque, nourri d’une foultitude de références historiques. Pour ses deux premiers défilés Gucci, Alessandro Michele n’avait retenu aucun mannequin noir. Ce casseur de codes qui prêche la diversité a depuis essayé de faire amende honorable. Un, puis deux, voire trois modèles à la peau brune se sont glissés dans chacun de ses défilés. Des progrès trop timides, jusqu’à la campagne de la pré-collection Automne 2017, révélée en avril.

 

 

 

Fière de son coup, Gucci publiait dès janvier des extraits d’auditions sur Instagram, pour teaser, évènementialiser. Dans les pastilles vidéos, la marque demande à ses futures recrues, toutes noires, ce que signifie « avoir de l’âme », d’identifier leur « animal spirituel » et puis de danser. « Ca fait partie d’une audition, bien sûr », commente R. Eric Thomas, « mais dès la minute où une marque met ce genre de séquence en ligne dans le cadre d’une campagne marketing, cela perd même l’illusion d’être désinteressé ».  Pourquoi brandir et faire valoir sa B.A. comme on veut monter un buzz ? Ce que Gucci vend comme bienveillant masque mal ses ambitions. Les acte sincères ne réclament pas la gloire, ne servent pas d’intérêts. Les images du lookbook de la collection, plus commerciales, moins grand public, figurent, elles, des modèles essentiellement blancs. Une couleur de peau ne s’exploite pas comme l’imprimé d’une saison ; on ne la remise pas au placard après qu’on l’a trop vue, trop portée. La campagne semble un joli cache-bite, un coup de com réussi. Derrière la photogénie, Gucci valorise-t-elle pleinement la diversité ? Se refuse-t-elle à toute discrimination ? Milite-t-elle pour les droits des Noirs ?

Dans la mode, les lubies s’interprètent sur des silhouettes, se figent sur papier glacé puis se consument et s’oublient. Alors avant de trouver que l’histoire est belle, on attendra le prochain défilé Gucci.

 

Dans le même genre