Laylow, le futur en temps et en heure

Dans la musique plus que dans n’importe quel autre domaine, tout est une question de temps. L’essentiel étant de parvenir à marquer le sien de son empreinte, histoire de ne pas finir sa carrière dans les mémoires, seulement crédité de fulgurances et de succès éphémères. Personne n’aspire à être “d’un autre temps”. Personne… sauf les premiers de la classe. Ceux à qui le présent réussit bien, trop bien. Ceux dont les disques se vendent sans moindre mal, dont les salles de concerts affichent complet. Quand vient le moment de justifier leurs triomphes, ils répètent à qui veut l’entendre qu’ils ne sont pas de leur époque. Ils sont en avance. Ils sont dans le futur. “Là où ces bâtards n’iront pas”.

Laylow n’a pas de telles prétentions. Lui privilégie volontiers la Murciélago à la DeLorean, carbure à l’essence plutôt qu’au plutonium. Le voyage spatio-temporel, c’est sa musique qui l’enclenche, “futuriste” étant l’un des qualificatifs qui revient le plus régulièrement au moment de la caractériser. Sur les dix titres qui composent son dernier effort, publié le 4 juillet dernier, la voix du toulousain s’élève, s’aggrave, puis se déchire sur des partitions hybrides et désarticulées, où les basses ronronnent telles le moteur d’une sportive. Digitalova, c’est un spleen lent et lancinant à bord d’un véhicule lancé à 230 kilomètres/heure. Et à en croire les auditeurs, c’est aussi ce qui se rapproche le plus du son de demain.

Avant de prendre la deuxième sortie sur l’autoroute de l’avenir, la trajectoire de Laylow est pourtant assez conventionnelle. Le truc, c’est que chaque étape de son périple semble avoir été effectuée depuis la salle du Temps, là où les années se comptent en journées, les heures en minutes. Les premières pages de l’Histoire s’écrivent auprès d’un grand-frère passionné – une figure bien connue du story-telling des rappeurs – qui l’initie à la discipline dès son plus jeune âge. Le jeune toulousain bafouille ses premières rimes au sein d’un collectif, collectif qui se recentre peu à peu sur deux individualités : Laylow et Sir’Klo. “J’ai très vite été dans l’optique de faire de la musique. Je ne suis pas comme ces mecs qui se sont d’abord bousillés au son et qui à 20 ans se sont dit ‘ok, je suis un expert en rap, maintenant je commence’. Non, j’ai commencé quand j’étais mauvais. Genre… vraiment mauvais”, concède t-il avec lucidité. Il est encore à la période où un artiste se cherche, explore, expérimente, mesure ses qualités, sa marge de progression. Sauf que dans son cas, cela aboutit sur une signature en major, chez Barclay. Déjà.

Un oeil sur le business, et pas que

À en croire toutes les légendes qui se racontent sur ces monstres de l’industrie, les majors ont de quoi être effrayantes pour deux jeunes talents issus de province. On imagine déjà les cadavres de buzz et de carrières embryonnaires s’empiler devant leurs portes. Qu’à cela ne tienne, Laylow n’en a tiré que du positif. Si cette expérience n’a finalement pas été le tremplin censé précipiter son ascension vers les sommets, elle a été une école particulièrement formatrice pour lui. Et pour cause, elle lui a enseigné les grandes règles du business. En observateur attentif, il analyse et décortique méticuleusement la manière dont sont développés, puis vendus ses EPs Roulette Russe et 310, sortis respectivement en 2012 et 2013. “C’est super intéressant de signer en major pour comprendre tout ça. Parce qu’il y a différentes étapes, et toi t’es là. Donc si t’es un peu malin, tu regardes les différentes étapes. Et tu te dis, ‘ah mais le chef de projet, en fait je peux prendre mon pote. Et mon pote, il est plus déter, il me connaît mieux…’ Puis tu te dis pareil pour le mec qui gère le marketing, et peu à peu, tu montes ta propre équipe.” Alors quand son contrat avec Barclay arrive à son terme, Laylow sait désormais ce qu’il veut. Son avenir se fera “loin des maisons de disques, près de [son] public avisé”, comme dirait Damso. Internet a redistribué les cartes, pour redonner le pouvoir à celui à qui il revient de droit : le public. C’est un peu ça, l’ère digitale. Laylow s’entoure de nouvelles têtes, à commencer par celles de TBMA, puis se refait une image, un son, une identité. Sûr de sa force, il reprend le chemin de l’indépendance à l’heure même où celle-ci à le vent en poupe, Jul et PNL étant les exemples les plus éclatants.

“Je fais de la musique parce que je veux être libre. Pas pour suivre les règles, gros. Sinon autant que je devienne banquier ou trader, je ferais sûrement plus de bif.”

Le timing est parfait, et Laylow en est parfaitement conscient. Il n’y a pas que le business que l’artiste a pris le temps de passer au scanner. Le rap a aussi été scruté. Quand je lui demande pourquoi j’ai cette impression que les rappeurs français n’ont jamais été aussi tristes, il me répond qu’au contraire, les sonorités n’ont jamais aussi joyeuses, aussi dansantes. Ce qui est assez juste, en soi. Si le toulousain jure ne pas spécialement se sentir “à sa place” au sein de la scène francophone, il ne la dénigre pas pour autant. Lui que l’on dit “en avance” sur son temps n’a pas le sentiment que ses collègues soient particulièrement en retard. C’est pourquoi il partage régulièrement leurs morceaux sur ses réseaux sociaux. C’est aussi pourquoi il aime tant les inviter sur ses projets. “Quand j’étais petit, je kiffais trop les feats. Après, en grandissant, j’ai capté pourquoi il y en avait si peu, les problèmes d’égo, tout ça. Mais moi je m’en bats les couilles. Comme je suis libre dans ma tête, ça me dérange pas d’inviter une personne.” Laylow agit en passionné.

Quand j’évoque avec lui la question de l’écriture, il s’égare dans une longue digression, me parle de Dieu et de la tour de Babel, de l’âme qu’il met dans le choix des mots. Dur à suivre. “C’était technique ce que je viens de dire, hein ?” Lui-même s’en amuse. Ne pas être compris n’est pas une tare, selon Laylow. Ce ne sont pas tant les propos qui comptent, mais plutôt la manière de les dire. L’interprétation, l’attitude, l’émotion… voilà ce qu’il aime dans le hip-hop. “Je fais de la musique parce que je veux être libre. Pas pour suivre des règles, gros. Sinon autant que je devienne banquier ou trader, je ferais sûrement plus de bif. Ce côté ‘je m’en bats les couilles’, je pense que c’est ce que tout le monde aime dans le peu-ra. Quand tu te mets dans ta voiture et t’écoutes un son véner, c’est parce que ça te met dans un autre état. T’es pas docile. Et moi, je ne suis jamais docile. Même devant le photographe, t’as vu que je n’étais pas docile.”

Prêt à attendre son heure

C’est aussi cette manière d’être constamment à la limite de l’intelligible qui pousse les auditeurs à envoyer Laylow dans le futur. Quand une partie du public apprécie l’oeuvre d’un artiste qui ne parvient pas nécessairement à obtenir la reconnaissance, ni même l’audience qu’il mérite, le raccourci le plus évident consiste à dire qu’il est avant-gardiste. Comprendre : les autres auditeurs ne sont pas prêts pour ça, ils ne sont pas en mesure de comprendre le génie. N’attendez pas du concerné qu’il se cache derrière cette excuse. “Je ne suis pas en mode, ‘ouais les gens sont en retard’. Non, non, non. T’es fou ! Il y a des gens qui ont fait des trucs encore plus perchés et ça a marché. Pour ma part, j’ai l’impression que le public est prêt. Après c’est vrai que dans la musique, il y a des timings. Ça j’y crois, et c’est aussi pour ça que je continue.” Si Laylow s’avère bel et bien être le futur, alors il est prêt à attendre patiemment que son heure vienne. Ce qui ne l’empêche pas d’anticiper la suite. Tandis qu’il reste évasif sur ce qui viendra après l’ère digitale, il m’assure qu’un second opus sortira en 2017. Histoire que le monde ait au moins une petite idée de ce dont demain sera fait.

Photos : @lebougmelo

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