Lettre ouverte à Christiane Taubira

Christiane,

Ils sont trop rares ces regards doux et tranchants qu’on croise et qui nous giflent, nous agrippent, nous enveloppent. C’est pas tous les jours. Tes billes cerclées d’azur m’ont attrapé il y a quinze ans. Il y a de la lumière, de l’assurance, de la grâce, quelque chose de presqu’insolent chez toi. On t’aime comme on te déteste. Tu fais la leçon, rappelle l’histoire et les lois, cite par cœur des poètes disparus comme des punchlines de Booba. Le bagou facile, le verbe bien tourné et la pique coquette. lls ne le supportent pas. Râlent que t’es laxiste, pleine de complaisance coupable, puis que t’es clivante, pas souple et défiante, que t’es de gauche quoi. Tu t’en cognes des bassesses des ignorants, t’as la peau dure, la haine ne filtre pas.

Qu’il aurait de la gueule le poster officiel encadré dans les mairies, avec toi, droite et fière, dame et noire, plantée devant une bibliothèque saturée d’épais bouquins que tu as vraiment lus. Oui mais tu n’y vas pas. Toi la femme de tête qui ne fléchit jamais, la femme d’idées qui guerroie. Pendant que les aspirants au trône jouent à qui a la plus grosse, tu brigues le bien commun. Et tu n’y vas pas. Est-ce qu’on ne te mérite pas ? Viens on s’en fout de tes soixante-quatre printemps que tu ne fais même pas, de tes défaites passées, de tes déceptions futures, des doutes et des risques qui t’étouffent. Viens on fait comme si c’était encore possible de changer, d’incarner, de rassembler. Viens. Je m’en fous des autres, tu sais, ils n’ont pas ton élégance, ton éloquence, ta morale et tes valeurs. T’es différente. J’aime quand tes yeux disent ta fureur, ta bouche ton dédain. J’aime quand tu pouffes comme une ado sur les bancs de l’Assemblée Nationale. J’aime quand tu tances et recadres les connards suffisants. J’aime quand tu jaillis en saillies sublimes et grands idéaux. J’aime quand tu fais voter de belles lois dérangeantes comme on lève son troisième doigt. J’aime quand tu claques la porte la conscience intacte. Ils me dégoûtent ces gras du bide qui distribuent de faux programmes, ces escrocs en costume qui sucent le peuple jusqu’aux os, ces ringards tout blancs qui croient en leurs pensées rétrogrades. Christiane, je te jure, y’a que toi.

Comme une mère trop poule, avec tes paroles moelleuses et ta douce autorité, tu t’oublies pour nous. Et tu n’y vas pas. Merde Christiane, pourquoi tu nous laisses là ? Couve-moi de ta bienveillance et berce-moi de belles promesses que tu tiendras, parle-moi égalité des chances, solidarité chérie et République tendre. Christiane, je te jure, y’a que toi.

Viens. Viens on pense un nouveau monde trop utopique et coulant. Viens. Viens on écrit une belle histoire à millions de mains. Viens. Viens on dessine un joli symbole, mettre au fascisme crasse ce qu’il mérite et n’attend pas : la banane du siècle.

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