Anna Rose Holmer : « Pour moi Mad Max est un film muet de danse ! »

Née d’un père professeur de piano et d’une mère enseignante, on peut déclarer sans se tromper en quelque minutes passés avec Anna Rose Holmer que la pomme n’est pas tombée loin de l’arbre. Une sensation de savoir et de connaissance de son sujet s’émane d’elle quand elle parle du cinéma qu’elle aime et qui l’a inspiré, en même temps qu’une posture droite surement issu de vieilles leçons du paternel. Après avoir étudié le cinéma l’université de New York, Anna Rose commence sa carrière en tant qu’assistante camera, en charge de la mise au point. Elle parfait son art en étudiant la photographie, elle pense le cinéma comme un art collaboratif, car elle considère qu’un film n’est pas seulement aux mains du réalisateur.

Pour son premier essai en tant que cinéaste après avoir produit un documentaire sur le ballet new-yorkais, elle met en scène sa vision du film de danse avec l’histoire de Toni un garçon manqué de 11 ans luttant pour s’intégrer dans une troupe de danse avant d’être prise au milieu d’un phénomène étrange causant une vague inexplicable de convulsions aux membres du groupe. Grande passionnée de danse, l’américaine fan du français Robert Bresson mais aussi Steve Mc Queen, Jane Campion, Andrea Arnold, nous plonge avec The Fits dans une fable à la mystique exacerbée, poussant les limites du simple film de danse pour s’approcher du fantastique. Mais ne cherchez surtout pas de réponses, avec Anne Rose Holmer, il est surtout question d’interprétation.

Etes vous satisfait de l’accueil du film en France ?

Complètement, c’est vraiment la première interaction avec le public français et je suis vraiment excité à l’idée de présenter mon film ici. La France a une grande culture et une grande estime pour le cinéma et c’est vraiment excitant d’être ici pour ça.

Il y a un vrai jeu de mot à double sens avec le titre du film.

Même triple. C’est un titre parfait en anglais comme le film qui a ce coté ambiguë et de multiples interprétations, qui sont toutes correctes. Mais oui, le titre réfère aux épisodes de convulsions, ainsi qu’a être « fit » (être en forme, en anglais) car le film est aussi question du corps et le terme « misfit », être en dehors de son environnement, un « outcast ».

Comment vous ai venu l’idée du film ?

L’idée me vient du travail que j’ai fait sur Ballet 422, un documentaire sur la création d’un ballet. Mais j’ai aussi été vraiment intéressé par les mouvements violents et inopinées des convulsions, combinés aux mouvements de danse qui sont eux intentionnels et précis. Mettre ces deux éléments ensemble, les comparer, étudier leurs différences. C’est une façon intellectuelle de voir cela, et l’héroïne du film a développé cela.

« Je me considères comme féministe. Je ne veux pas que ça crée des barrières, je ne veux pas que le fim soit excluant car il est féministe mais je veux qu’il réunisse. »

Quel est votre rapport à la danse ?

Je suis tombé dedans très jeune. J’ai produit un autre film sur le ballet de NY et à chaque fois que j’ai travaillé avec eux j’ai beaucoup plus appris qu’autre part. The Fits est un peu ma première expérience hors du ballet. Quand on a écrit le script à l’origine on n’avait pas de groupe particulier à l’esprit. Mais je savais que je voulais que ce soit danse sous forme de compétition, ce que n’est pas le ballet. On a observé plusieurs formes de danses pour trouver ce qui correspondrait.

Pour ma part, J’ai dansé mais je n’ai pas eu de formation particulière. Quand j’étais petite j’ai fais de la danse et j’aime ça mais juste pour sortir et danser. Je pense que la danse est un art très puissant qui connecte les gens. Je ne pense pas qu’il y’ait autre chose comme ça.

Tu aurais pensé commencé ta carrière de réalisateur avec un tel projet ?

Non pas vraiment, c’est drôle. Les thèmes viennent en bossant chaque jour tu ne les prevoit pas. Tu fais au jour le jour, tu gravites autour des choses que tu aimes et des gens avec qui tu te connecte. Dans ce sens là, ce fut une surprise. Je veux continuer faire ça ainsi mais aller plus loin que le film traditionnel de danse, qui pour moi n’a pas à être forcément de la danse en soi. Je pense à un film comme Mad Max qui est pour moi quasiment un film muet de danse ! C’est une façon folle de le concevoir mais pour moi c’est ce que j’ai vu et compris. Je pense que ça peut émerger de pleins de façons différentes.

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« L’ambiguïté ne fonctionne pas quand ce n’est pas intentionnel, quand c’est vague. Nous avons du parfaitement savoir de quoi on parlait pour créer un espace ambiguë et clair en même temps. »

Pourquoi le choix d’un micro-budget pour réaliser ce film ?

C’était une réalité économique, c’est vraiment difficile aux USA de produire un vrai film indépendant. Je suis arrivé en tant que cameraman, avec un gros bagage de production, là il me fallait passer à la réalisation, je pense que c’était un challenge important pour moi de garder mon indépendance. Alors on s’est dit qu’il fallait faire un film qui peut être fait avec ces contraintes, le scripte prenait en compte au budget, car on a voulu rester petit et atteignable dans un sens. Le micro budget était surtout pour garder notre liberté artistique et ce fut un vrai défi, mais je suis heureuse car on n’aurait pas pu faire le film de la façon dont on la fait avec un gros budget.

On reste assez perplexe face aux indications et aux réponses troubles qu’apporte le film, c’était volontaire d’être si implicite ?

On pense le film comme une question, pas une affirmation. Dans beaucoup de moments du film on essaye de mettre le spectateur dans la réalité subjective de Toni, qui elle même est incertaine de ce qui se passe. Placer l’audience dans un territoire d’incertitude est vraiment difficile, c’est un vrai challenge tant dans la créativité que dans la narration car cela signifie ne jamais être sur d’ou on pose les pieds. Ce fut vraiment un parcours du combattant de mettre l’audience dans sa perspective. Toni ne sait vraiment quelque chose que dans les 10 derniers plans du film, donc oui cela peut être frustrant pour certains spectateurs mais si on accepte cette zone d’inconfort cela peut être amusant à regarder.

« Des gens m’ont dit qu’ils n’avaient pas compris le film au départ, avant d’en rêver plusieurs mois après car ça les tracassaient. C’est le meilleur compliment qu’on puisse me faire »

C’est important pour vous, de réaliser un film en tant qu’indépendant ?

Je cherche dans un film indépendant à ce qu’il pousse les limites de la forme traditionnelle du cinéma. Si tu vas tournes en studios il a des procèdes qui enlèvent aux rushs son naturel brut, alors qu’explorer de nouveaux lieux te permets de prendre des risques. Des fois cela fonctionne, certaines fois moins. Mais dans un contexte indé, c’est plus facile de prendre ces risques. Mais en même temps j’aimerais que mon travail soit accessible, je ne veux pas voir mon film dans un cinéma vide. Je veux continuer à me surpasser mais pour que les gens puissent absorber mon travail, et au plus grand nombre possible.

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Tu as déclaré être féministe et que The Fits était un film féministe.

Je me considère comme féministe. Je ne veux pas que ça crée des barrières, je ne veux pas que le film soit excluant car il est féministe mais je veux qu’il réunisse. Je pense que depuis longtemps les femmes se sont prises d’empathie pour des héros masculins, quand je regarde un film avec un protagoniste homme, je me mets dans son corps, dans sa perspective. Il faut demander la même chose aux hommes quand ils sont devant un film avec une protagoniste femme, de se mettre dans sa peau. C’est nécessaire pour construire un dialogue et un échange et il y a beaucoup à apprendre dans le fait de se mettre dans la perspective de quelqu’un d’autre.

Comment avez vous choisi le le groupe de danse des Q-Kidz, qui jouent les roles des danseuses dans le film ?

Dans mon idée originale, le personnage de Toni me ressemblait beaucoup plus. Mais à force de temps et de dialogue avec mes deux collaborateurs, on a changé de direction et voulu vers une danse plus compétitive. On a cherché sur Youtube sans succès pendant 3 mois avant de tombé sur un clip de ce crew. On est tombés amoureux d’elles. On les a appelés, elles ont dit oui et on a ensuite écrit le script avec elles en tête. On les a sondé, puis on a réécrit. C’était une vraie collaboration. Il y a cet élément de « danse-combat » qui s’apparente à de la boxe. Mais aussi de la fantaisie, de la parade, c’est vraiment cool.

« West Side Story est une grande influence a cause de sa connexion avec le NYC Ballet et la danse de rue mélangé avec du ballet. »

Comment c’est passée l’immersion dans le groupe, issu de la communauté noire de la ville ?

Ce fut une grosse décision. Mes deux co-scénaristes sont d’origines différentes donc le film a été une vraie expérience de partage. On a décidé de bosser sur un casting entièrement Noir, la première chose pour moi a été de les prévenir que je n’étais pas une connaisseuse ou experte de leur culture. J’ai habité 9 semaines à Cincinnati pour shooter les 3 derniers semaines de shoot donc j’ai passé 6 semaines à parler et partager et réécrire avec les filles. Il y’a eu beaucoup d’écoute.

Quelle serait pour toi la meilleure combinaison entre un film de SF et un film.

Je dirais « 2001, l’odyssée de l’espace » mélangé à Pina (2001) [ndlr : documentaire sur la danse] !

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