Rihanna, le renouveau de Dior

Un Versailles nocturne, brumeux, presque mystique où scintillent lustres à pampilles et robe pailletée. Une bande-son hypnotique, des talons vernis qui claquent le sol. Un déhanché envoûtant, une beauté qui magnétise. Nouvelle muse de Dior, Rihanna électrise l’impeccable collection automnale de la maison parisienne dans le quatrième volet de la saga « Secret Garden », capturé par Steven Klein. Un joli coup de maître pour une marque encline à prendre la poussière. Décryptage.

 

 

Girl power

 

Charnue et charnelle, Rihanna assume et affiche ses courbes voluptueuses à outrance, dispose de son corps comme elle l’entend, couche avec bon lui semble. Femme fatale et forte, farouche et culottée, la chanteuse se risque à toutes les audaces et excès stylistiques, jusqu’à parfois friser le mauvais goût. Elle change de coupe comme de string, se fout des conventions et crée ses propres codes. Là est sa liberté, son pouvoir, son féminisme, l’une des principales raisons qui l’ont propulsé égérie Dior. A propos de la collection « Esprit Dior Tokyo» dont Riri est la VRP, Raf Simons confiait en décembre dernier : « Tokyo a toujours été pour moi une source d’inspiration. Tout particulièrement pour les libertés que les gens prennent dans leur façon de s’habiller ; on trouve cela nulle part ailleurs : la liberté des styles, les nouvelles architectures vestimentaires que vous pouvez voir naître aussi bien dans la rue que dans la tradition de mode créative de la ville ». D’ailleurs, le DA avait baptisé « Liberté » sa première collection couture pour Dior. Il affirmait l’année dernière auprès de Libération Next : « Cette liberté est un état d’esprit absolument propre à la maison Dior ». Libre, indépendante et avant-gardiste, la bad gal colle parfaitement à la vision mode du couturier.

 

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Dans la campagne « Secret Garden IV », Rihanna déambule, déterminée et conquérante, en exagérant l’ondoiement de ses hanches et toise la caméra qui la filme en contre-plongée, exaltant alors sa grandeur et sa puissance. Et lorsque le film cherche à introduire de l’angoisse, alourdie par une musique intrigante et l’immensité déserte du palais, la belle ne se démonte pas, s’affirme et danse de plus belle. Pas intimidée pour un sou, elle s’impose comme la reine des lieux. Son assurance et son irrévérence font écho à l’image de la maison telle que Raf Simons cherche à la redéfinir. Exit la bourgeoise un peu coincée, la femme Dior 2.0 est moderne, émancipée et impertinente, a la démarche assurée, ose les looks futuristes, les cuissardes en latex, les couleurs pop, les mains dans les poches d’une robe de princesse ou les seins nus sous un haut transparent. Affirmée, libérée et parfois gonflée, elle malmène et s’amuse avec les codes traditionnels de l’élégance et du luxe. Et Rihanna cette princesse de la provoc,’ bien plus sulfureuse que les très proprettes Charlize Theron ou Marion Cotillard, lui donne encore davantage de piquant et d’aplomb. Les femmes powerful sont à la mode, Dior l’a bien compris.

 

Super-icône

 

Icône mode d’abord, et ce n’est pas le CFDA (Council of Fashion Designer of America)- qui la consacrait « Fashion Icon » en 2014 – qui nous contredira. La diva barbadienne, lookée jusqu’aux dents, a été l’ambassadrice d’Armani et Balmain et truste les front rows des défilés. Copine avec Anna Wintour, La belle a son rond de serviette chez Givenchy, Chanel ou Alexander Wang, dessine des collections-capsules pour River Island et joue les directrices artistiques pour Puma. Son pote Olivier Rousteing, DA de Balmain, disait d’elle auprès de The Independent : « Aujourd’hui, les gens regardent Rihanna de la même façon que Naomi Campbell ou Claudia. Je pense que l’avoir dans une campagne, c’est comme avoir Cindy Crawford ou Christy Turlington, mais pour ma génération ». Icône générationnelle ultra connectée et hyper populaire, Rihanna règne en monarque sur la webosphère people avec plus de 19 millions de fans sur Instagram et 46 millions sur Twitter. Benjamin Puygrenier, attaché de presse d’Instagram France, raconte au Elle.fr : « Rihanna est une des personnalités les plus influentes sur la plateforme. La relation qu’elle entretient avec sa communauté est très forte. A mi-chemin entre proximité et fascination, elle s’adresse aux gens de son âge, issus de sa génération ». « C’est une déesse, mais elle est accessible» confirme Sidney Toledano, le PDG de Dior. Et Sandra Sifflet, Responsable des Relations VIP chez Chloé, de renchérir : « Elle amène, selon moi, une certaine illusion d’accessibilité qu’une actrice ne pourra jamais apporter. Il est clair que Rihanna est plus populaire qu’une Marion Cotillard ou qu’une Jennifer Lawrence au vu de ses millions de followers. Je pense aussi que Dior a analysé le pouvoir d’une femme telle que Rihanna lorsqu’elle a posé seins nus en couverture de Lui. Bingo ! Des meilleures ventes et une couv qui a fait le tour des réseaux sociaux en quelques heures. »

 

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Futée, la maison Dior a pris pour tête d’affiche une pop superstar qui transforme tout ce qu’elle effleure en or. L’objectif est de booster leur popularité et de les rabibocher avec les jeunes, ses clients de demain. La marque avait déjà tenté de draguer les teenagers avec son spot hallucinogène « Dior Addict » signé Harmony Korine (le réalisateur de Spring Breakers), ou une autre publicité rythmée par le super-tube EDM de Martin Garrix, « Animals ». Plus fort, « Secret Garden IV » tease « Only If for A Night », nouvel extrait du prochain et huitième album de Rihanna. Buzz assuré. Quinze jours après sa mise en ligne, la version courte du film dépasse les dix millions de vues sur YouTube, là où, par exemple, la dernière pub du parfum « Miss Dior » avec Natalie Portman, révélée en février dernier, plafonne à huit millions.

 

Brown sugar

 

Il aura fallu attendre 2015 pour que Dior, à presque 70 ans, ouvre les portes de son imaginaire blanc et aseptisé à une Noire. En matière de diversité, la maison n’a franchement pas de quoi la ramener. Aucune mannequin noire n’a foulé les podiums des sept premiers défilés de Raf Simons pour Dior (en comptant les pré-collections). En mars 2013, quelques semaines avant la fashion week haute-couture, James Scully, directeur de casting pour Tom Ford et Jason Wu, lâche une bombe : « Le casting de Dior est tellement blanc que ça me semble vraiment volontaire. Je regarde le défilé et il m’ennuie. Je ne peux presque pas me concentrer sur les vêtements à cause du casting. […] Natalie Portman peut se plaindre que John Galliano était raciste, je pense que Raf Simons envoie le même message. Je ne vois pas où est la différence ». Secoué et sûrement un peu humilié, le directeur artistique s’empresse de réagir en dégainant six belles « renois » pour sa collection couture hiver 2013. Alors oui, Rihanna est à Dior ce que l’auto-tune est au rap, un vernis qui camoufle ses failles, mais la maison a au moins le mérite d’avoir fait amende honorable, même sur le tard. Au regard de la suprématie « babtou » qui écrase la fashionsphère, avec une moyenne de 85% de blanches et 7% de noires ou métisses sur les défilés, c’est loin d’être le cas de tout le monde. En réalité, la mode assume un rôle de caisse de résonance de la société qui modèle elle-même ses idéaux de beauté. Le tout-puissant Occident a imposé au monde ses standards esthétiques, ses femmes grandes, skinny, blondes et diaphanes. Et puis au-delà des codes et des mythes, les designers se fantasment une clientèle exclusivement caucasienne, chinoise aussi maintenant, mais surtout pas noire. Donc ils bookent des modèles facilitant à leur sens la projection et l’identification. Les clichés ont la peau dure.

 

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Hasard ou non, le palais de Versailles avait été en novembre 1973 le théâtre d’un défilé mythique, la « Battle de Versailles » orchestrée en vue de lever des fonds pour la restauration du bâtiment. Cinq créateurs américains, Anne Klein, Halston, Bill Blass, Oscar de la Renta, Stephen Burrows, le seul Noir, et cinq autres Français, Pierre Cardin, Emmanuel Ungaro, Yves Saint Laurent, Hubert de Givenchy et Christian Dior, s’étaient affrontés de bon cœur à coup de créations extrêmement modernes. Mais les Amerloques avaient volé la vedette aux Frenchies en faisant défiler onze mannequins afro. Une première historique dans l’univers feutré de la mode, jusque là hermétique à la diversité, qui ouvrit ensuite la voie aux Iman, Naomi Campbell ou Tyra Banks. Plus de quarante ans plus tard, Miss Fenty prend possession des lieux pour Dior, en tant que première égérie noire. Un bel acte symbolique.

Elles sont rares finalement, les maisons de luxe à prendre des risques. La plupart rechigne à sortir des sentiers battus, à se débrider et se dérider, engluées dans leur puritanisme et conformisme. En portant les couleurs de la vétérane et sage Dior, Rihanna donne un sérieux coup de pied dans la fourmilière. Elle poussera peut-être les acteurs de la mode, les plus anciens surtout, indécrottables souvent, à chahuter davantage leurs règles. Intemporel le luxe ? Encore faut-il savoir vivre avec son temps, ce temps fugace en mutation. À bon entendeur.

 

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