Mouloud Mansouri : « Le rap en prison, un pas vers l’insertion sociale »

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Une décennie de concerts en prison. Mouloud Mansouri connait bien le système carcéral français, tellement qu’il y retourne fréquemment après y avoir souffert pendant dix ans. Il le dit clairement : pour lui, la prison n’a rien de bon. Et c’est pour ça qu’il s’efforce, avec ses armes – la culture et notamment le rap – et son association, de changer un peu les choses.

Mouloud Mansouri cumule les allers-retours en taule. Pourtant, il n’est plus derrière les barreaux depuis 2008. Condamné pour trafic de stupéfiants à 24 ans, il a lui-même passé dix ans de sa vie enfermé. Fondateur de l’association Fu-Jo, il organise depuis sa sortie des ateliers d’écriture et des concerts en prison, pour amener un peu de bonheur à des détenus oubliés, et faire entrer un peu de culture – une qui leur parle, qui plus est – en cellule. Il organise également des concerts hors les murs des pénitenciers français, afin de récolter des fonds pour l’association, sous la bannière Hip Hop Convict. À l’occasion du dixième anniversaire de l’initiative, Mouloud organise un concert événement à la salle Pleyel le mardi 20 février avec Nekfeu, le S-Crew, Georgio, Dinos Punchlinovic, Phénomène Bizness et Luxe comme invités.

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Est-ce-que d’après toi, la prison sert à quelque chose ?

J’ai fait dix ans de prison, et je peux te dire qu’en dix ans, ça ne m’a rien apporté de positif. Donc répondre à la question directement c’est compliqué. Je pense que nous sommes dans une société où l’on ne peut pas se passer de prison parce qu’il y a des tueurs en série, des violeurs, des pédophiles qu’on ne pourrait pas gérer sans prison – et sans peine de mort.

Tu partages donc la vision de la prison des Lumières, celle évoquée par Cesare Beccaria dans Des délits et des peines : « Le but des châtiments n’est autre que d’empêcher le coupable de nuire encore à la société et de détourner ses concitoyens de tenter des crimes semblables. » C’est-à-dire qu’on met en prison les individus qui nuisent à la société en espérant qu’à leur sortie, ils seront changés ?

Normalement, c’est ce que doit produire la prison : changer l’individu, l’améliorer pour sa sortie et le réinsérer dans la société. Sauf qu’aujourd’hui, les gens qu’on met de côté dans les prisons françaises, on les met aux oubliettes. Il y a quelques activités auxquelles certains détenus vont pouvoir participer, mais quand tu as des prisons qui sont remplies à 150%, 200% voire 500%, comment tu fais pour t’occuper de ces détenus ? Comment tu fais pour les réinsérer ? Certains n’ont pas d’éducation, donc si tu ne les éduques pas et que tu les laisses un an, deux ans, six ans, 20 ans en prison sans t’en occuper, comment tu veux qu’ils en ressortent meilleurs qu’ils n’y sont rentrés ? On y est parqué comme des animaux, on est sur les nerfs quasiment 24 heures sur 24… Non, je ne peux pas te répondre qu’il y a du positif.

Nous serions donc avec un système carcéral plus proche de la vision d’Hobbes évoquée dans Léviathan, avec une prison faite pour punir : « Le mal infligé est la punition du crime plutôt que la possibilité de la rédemption. » Avec cette vision, la peine établie par le juge doit être supérieure aux bénéfices du crime commis : c’est à dire que ta condamnation à dix ans de prison en 1999 était « justifiée » par les 60 000 euros que tu touchais par mois grâce à ton trafic, mais qu’on ne cherchait pas à faire de toi un homme meilleur ? 

Aujourd’hui, la prison n’a que vocation à punir. Jusque dans les années 80/90, les peines de prison étaient moins élevées qu’aujourd’hui. Ce qui était prononcé en mois pour une petite histoire de drogue est aujourd’hui prononcé en années. On en est là. Les juges n’ont pas la main légère sur les peines de prison et toute l’organisation pénitentiaire n’est pas là pour faire ce travail social de réinsertion – ou d’insertion – pour préparer le détenu à être meilleur à sa sortie. Voilà pourquoi il y a autant de récidive en France : le système carcéral est extrêmement mal pensé. Les hautes sphères et les institutions ne pensent pas convenablement la peine de prison.

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On parle de pédophiles, de violeurs, de tueurs en série qu’il faut mettre à l’écart pour les empêcher de nuire à la société. Le procès en appel de Jérôme Cahuzac pour fraude fiscale a lieu cette semaine. Il a été condamné à trois ans de prison fermes en première instance : est-ce qu’il est un danger pour la société ? S’il ne va pas en prison, comment le punir ?

On lui reproche d’avoir planqué son argent à l’étranger, c’est un danger pour toi ? La fraude fiscale cause à la perte de la France, c’est ça ? On est toujours dans les dix plus grandes nations mondiales, pourtant il y a autant voire plus de mec dans la rue qu’en Ethiopie qui n’est pas dans les grandes nations de ce monde. L’argent qu’a détourné Cahuzac n’aurait peut-être pas été utilisé pour lutter contre cela, mais plutôt investi dans l’armée ou quelque chose du genre. Pour moi, Cahuzac est un petit filou mais il ne mérite pas d’aller croupir en prison. Il doit être assez brillant sur pas mal de choses, pourquoi ne pas le faire travailler pour l’Etat en travaux d’intérêt général pour que cela soit bénéfique à la France ? Le TIG est une peine intelligente, maintenant il faut que le TIG soit intelligent aussi : parce que si c’est pour lui demander de tailler des roseaux pour la mairie de Paris, il n’y a aucun intérêt.

Il y a quelques rappeurs ou personnalités du rap qui sont des pubs ambulantes pour la prison. Je pense à Gucci Mane ou Biggs (co-fondateur de Roc-A-Fella) qui disent ouvertement que c’est la meilleure chose qui leur soit arrivée. Partager un tel message, est-ce dangereux ? Est-ce ne pas réaliser que les systèmes carcéraux ne sont pas égaux dans tous les pays et que tout le monde n’a pas les épaules pour supporter l’épreuve de la prison ?

Je n’ai pas trainé en promenade avec Gucci Mane, mais je pense qu’un mec qui a fait dix ans de prison et qui dit néanmoins que c’est la meilleure chose qui lui soit arrivée… sa place n’est pas en prison, mais en hôpital psychiatrique ! Il n’y a pas un jour en prison où tu te dis que ça te fait du bien d’être là. Soit c’est un mytho, soit il est juste complétement fou, soit il a eu des remises de peine pour dire ça. Aux Etats-Unis, des mecs ont trafiqué des tonnes de drogue, ont assassiné pour pouvoir trafiquer et n’ont jamais mis un pied en prison : ils étaient délateurs et avaient collaboré avec les autorités judiciaires. En France, nous n’en sommes pas encore là et j’espère que nous n’y serons jamais. Mais trouve-moi un mec qui a fait dix piges et qui te dira que c’était un tournant positif de sa vie.

 

« Après six ans d’incarcération, je me voyais à ma sortie avec 50 kilos de drogue en bas de chez moi et reprendre les affaires. »

 

Tu ne penses pas qu’avec le recul, certains se disent que la prison leur a permis de donner une direction différente à leur existence ?

Je ne pense pas que ce soit la prison qui les a éloignées de quoi que ce soit. Peut-être que certains ont eu une réflexion sur eux-mêmes en prison. Personnellement, pendant mes six premières années d’incarcération je me disais : « Quand je sors je nique tout. » Je me voyais avec 50 kilos de drogue en bas de chez moi et reprendre les affaires. En six ans, la prison ne m’a pas fait changer d’objectifs. Mais un jour je me suis réveillé et je me suis dit : « En fait, je vaux mieux que ça. Je sais faire plein de chose et si j’ai vendu des tonnes de haschich pendant des années, j’aurais très bien pu vendre des chaussettes ou n’importe quoi. J’aurais été le meilleur, parce que j’étais le meilleur dans mon domaine. Et je n’aurais pas perdu toute ces années. » A partir du moment où j’ai eu cette réflexion, je n’en ai pas changé. « Plus jamais je serais dans l’illicite. » Ça fait maintenant dix ans que je suis dehors et je n’ai jamais plus rien fait d’illicite. C’est n’est pas la prison qui m’a changé, j’aurais très bien pu avoir cette réflexion à l’extérieur.

Tu rentres en maison d’arrêt en 1999, et tu organises ton premier concert en 2006. Ça correspond presque chronologiquement à ce que tu viens de dire : la rédemption pour toi a déclenché l’organisation d’événements derrière les barreaux ?

Exactement. J’ai été transféré de prison en prison dans le Sud, j’ai été à Toulon ensuite j’ai été aux Beaumettes, à Marseille, puis à Avignon. À chaque fois pour des raisons disciplinaires. J’ai fini à Aix et c’est là que je me suis dit qu’il fallait que je fasse autre chose de ma vie. Je suis allé voir les chefs de la prison je leur ai dit que je voulais me barrer, en leur demandant de me mettre dans le premier transfert. J’étais en maison d’arrêt, je voulais aller en centre de détention pour faire ma peine. « On peut te transférer, mais ce sera vers Paris. » – « Ok, pas de problème. » Pourtant j’avais mon « confort » à Aix : j’avais tous mes potes là-bas, ma famille pas loin donc du parloir toutes les semaines, je n’étais pas en difficulté particulière. Au bout de deux mois je me suis retrouvé à Fresnes, puis Val-de-Reuil. Et c’est là qu’à mon arrivée j’ai discuté avec le directeur – un mec intelligent. « J’ai un projet, je veux sortir du système qui m’a fait rentrer en prison, et j’aimerais organiser des concerts. » Je n’ai cessé de le relancer, et il m’a laissé organiser le premier événement quasiment un an après, en 2006.

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Tu te souviens du premier concert ? Tu as des anecdotes intéressantes à raconter ?

C’était galère de fou ! J’ai appelé Cut Killer et Daddy Lord C, des potes. Ils étaient chauds, mais moi je n’avais pas du tout de budget : finalement, j’ai quand même réussi obtenir 200 euros du directeur pour au moins leur payer les billets de train. Et on a réussi à faire un concert. Je crois qu’on avait qu’une enceinte de retour, et un micro pourri. Cut Killer avait loupé son train et Daddy Lord C est arrivé un peu éméché, le son était dégueulasse, mais c’était trop fou. On était tous content d’avoir un concert en prison, tous mes potes étaient comme des dingues. Le directeur a vu que ça s’était bien passé, il a investi dans du matos et dans la foulée j’ai pu inviter Médine, Sefyu et d’autres.

Tu as organisé plus de 200 concerts en prison en un peu plus de dix ans : quel est ton meilleur souvenir ?

Chaque concert était différent. Il s’est vraiment passé pleins de trucs marrants. Par exemple, quand la Sexion d’Assaut est venue, ils sont pratiquement repartis à poil parce qu’ils avaient tout laissé. Pareil pour Kaaris. Chaque action qu’on fait a quelque chose de touchant.

Pourquoi est-ce essentiel d’apporter l’art et la culture dans les prisons ?

Comme partout ailleurs, c’est important de profiter de l’art de la culture dans la société. Avec l’association Fu-Jo, nous voulons rappeler que la culture à sa place en prison. Nous voulons que le détenu sache qu’on s’intéresse à lui et qu’on essaye de lui apporter la culture qui le représente. Des mecs en taule viennent nous voir à la fin des concerts et nous disent : « Tu sais, c’est la première fois que je vois un concert. » Ils assurent qu’à leur sortie, ils iront à des concerts. Ça, c’est clairement un pas vers la réinsertion, voire l’insertion sociale, grâce à la culture. D’autres passent par le sport, le travail ou différentes passerelles, mais la culture doit avoir sa place en prison comme partout sur la planète. Attends, on peut avoir de la musique tribale dans le fin fond de l’Amazonie mais pas dans les prisons françaises ? C’est impensable.

Co-auteur : Ulysse Pauchon

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