Maskey : « Le masque c’était si ça ne marche pas, tu supprimes ta vidéo, tu reprends ta vie »

Avec un nom de scène dont le suffixe est emprunté à l’élégant Swagg Man, Maskey a percé la Toile à la toute fin de l’année 2015 en parodiant PNL dans un style singulier : léger mais pertinent, caricatural mais toujours juste dans les codes, acide mais bienveillant. Depuis il a enchaîné sur deux autres entités rap à trois lettres, SCH et MHD, et ces vidéos aujourd’hui entre 1 et 2 millions de vues chacune sont attendues par ses 220 000 followers YouTube et par les autres aussi. Par incompétence et fierté, nous sommes obligés de conclure ce chapeau par une formule que vous retrouverez dans toutes ces prochaines interviews : « Nous avons cherché à comprendre ce qui se cache derrière le masque de Maskey. »

Photos : @terencebk

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Quand on tombe sur ta première « Recette », on se demande d’où tu viens ?

Ça c’est vrai. À l’ancienne, j’avais débuté par un format totalement différent. J’étais dans les jeux vidéo mais ça ne me plaisait grave pas, je ne me sentais pas à l’aise dans ce que je faisais. Je proposais du gaming et j’avais produit une dizaine de vidéos let’s play. J’avais déjà le nom de Maskey et mes vidéos faisaient 70 000 vues. Été 2015, je pars en vacances et je stoppe toutes activités sur ma chaîne YouTube. Je suis un grand fan de musique, je saigne les sons et en tant que beatmaker, j’ai toujours essayé de chopper des références à gauche à droite pour percer l’univers d’un artiste. Du coup je me suis dit que combiner tout ça à de l’humour pourrait être un bon délire. C’est comme ça qu’est née « La Recette ».

Quelle est l’idée qui t’a donné envie de lancer « La Recette » ?

J’en ai d’abord discuté avec quelques d’amis. Même si habituellement tout ce que je fais, je le fais en secret. Actuellement certains apprennent par eux-mêmes que je suis à l’origine de ces vidéos. Je veux absolument éviter les personnes qui te disent en face, « C’est lourd ce que tu fais », et dès que tu as le dos tourné, « Tu as vu ce qu’il fait ? Cet imbécile, il n’est même pas marrant. » Parallèlement, j’ai créé des liens avec des youtubeurs qui aimaient déjà mon délire quand je faisais des vidéos sur les jeux vidéo. Je leur ai parlé de mon choix de changement de direction.

« La Recette » à la base vient d’un youtubeur américain qui s’appelle Brett Domino qui, en 2012, avait fait une vidéo sur : « Comment faire une chanson pop ? » Son axe était musical, c’était le même esprit mais sa proposition se généralisait à un style de musique. Je trouvais ça grave bien et je me suis dit : « Pourquoi on ne ferait pas ça avec un rappeur, son style, ses gimmicks pour reproduire l’artiste lui-même ? » Je trouvais que c’était un fil conducteur intéressant surtout qu’il n’y a pas beaucoup de youtubeurs français qui parlent de rap sur Internet.

Une fois que tu as le concept, tu te diriges vers des boîtes de production pour le financement, c’est ça ? 

J’ai commencé à démarcher en faisant des mails tout en protégeant mon contenu. Je ne suis pas arrivé en faisant : « La Recette c’est ça ! » On nous répondait qu’il fallait qu’on fasse des business plan, des diapositives, des n’importe quoi… De la masturbation intellectuelle ! Pour au final me dire : « Ton projet il n’est pas bien, tu n’es pas assez connu, on ne te financera jamais. »

« Je suis le troisième membre de PNL mais suite à un problème interne de shampooing et d’après-shampooing, on s’est séparés. »

Tu as fait des Powerpoint ?

Oui j’ai fait des Powerpoint, c’était une erreur de parcours [rires, ndlr]. J’ai même acheté la suite Office [rit une dernière fois et reprend son sérieux]. Le pire c’est d’essayer de convaincre les gens, de leur dire : « Ça va marcher, ayez juste un peu foi en moi. » Au moment où je me suis rendu compte que personne croyait dans le projet je me suis dit : « Nique ». J’ai pris conscience que je serais tout seul dans ce truc et que c’est une bonne chose car les résultats me reviendraient personnellement. Je suis parti voir un clippeur professionnel, Zlavko. Je tiens vraiment à lui rendre hommage, c’était une période où il n’avait pas mon temps et il m’a quand même pris en charge. Il m’a dit : « Je vais t’aider dans ton truc, j’apprécie vraiment ton délire. » Il a clippé le PNL et le SCH et c’est lui qui m’aide dans le repérage des lieux de tournage, la base de loisir de Mousseaux pour PNL et l’hôtel sur les Champs-Élysées pour SCH. Il nous a tout trouvé. À l’époque je n’étais personne, je n’avais pas de thunes… C’est pour ça qu’aujourd’hui je veux vraiment lui rendre cet échange de visibilité car il le mérite vraiment.
Je travaille aussi avec un graphiste Chinois de 15 ans mais il ne faut pas l’écrire dans l’interview car ils vont croire que j’exploite des gens [rires]. Il s’appelle Dianos et c’est un tout petit hyper talentueux qui a fait le générique de « La Recette » et toutes les animations chelous.

Au final, j’ai eu besoin de deux personnes alors que les maisons de prod’ voulaient en mobiliser je ne sais pas combien pour des sommes qui dépassaient les 2 500 balles. Faire ça, c’est tuer le talent.

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Aujourd’hui avec le succès que tu connais, on imagine que ces maisons de prod’ reviennent sonner à ta porte ?

Oui, j’en ai parlé sur Twitter. Il y en a un qui a écrit en début de mail : « Waouh Maskey, je ne savais vraiment pas… » C’est n’importe quoi ! Au-delà de marquer les esprits, tout ce qu’il recherche c’est l’audience. La démarche n’est pas honnête et je n’ai aucun scrupule d’assumer le fait que je les ai envoyés chier. Je ne travaillerai jamais avec eux, c’est sûr et certain. D’autres maisons de prod’ m’ont contacté par la suite bien sûr mais dans ce cas c’est fair-play. Elles sont dans une bonne démarche contrairement aux autres.

Pourquoi avoir décidé de commencer avec PNL ? 

Je suis grave fan donc à aucun moment j’ai pour objectif de dénigrer leur travail. Tout le monde ne se prête pas à l’exercice de la parodie mais cette année s’il y avait un groupe qui l’était, c’est PNL. Dès leur arrivée, ils avaient un délire tellement particulier, tellement nouveau par rapport au reste que c’était facilement « parodiable ». Il y avait matière. J’ai tellement écouté Le Monde Chico que ça coulait de source, je n’ai même pas écrit les paroles pour tout te dire. Quand je suis arrivé en studio, j’ai demandé à ce qu’on me balance de l’auto-tune et tout arrivait au fur et à mesure. D’ailleurs, je suis le troisième membre de PNL mais suite à un problème interne de shampooing et d’après-shampooing, on s’est séparés [rires].

Dans quel état d’esprit tu étais quand tu as mis en ligne la première vidéo ?

Il faut poser le contexte, la vidéo je la mets trois jours après les attentats de Paris. Je pense vraiment qu’on avait besoin de rigoler à ce moment-là, vraiment. Dès que je finis le montage, je poste la vidéo à 22 heures pile. Je rentre chez moi pour dormir, je me réveille et je vois que Mouloud Achour me follow, je vois qu’OKLM et Booska-P parlent de moi… Des sites que je consulte tous les jours, je vois ma tronche dessus. Et là, il y a les appels des mecs qui ont cramé mon visage, je vois sur Twitter que ça me mentionne : « Hey connard, t’étais à la fac avec moi ! » Franchement c’est allé trop vite, ça s’est fait en une journée, en une nuit même. Ça m’a grave fait plaisir parce que ça serait malhonnête de dire que je n’attendais pas quelque chose en retour.

« C’est facile de critiquer un artiste mais si tu n’as pas une approche sérieuse sur son travail tu ne peux pas bien le parodier. »

Tu étais ambitieux par rapport à ce format…

J’avais vraiment la volonté de marquer les esprits, d’amener quelque chose de nouveau. Nous les youtubeurs, on n’a pas le meilleur statut, on est souvent pris pour des boloss. Dès qu’on parle de nous c’est pour exhiber la thune qu’on se fait, je ne voulais pas m’associer à cette image-là. Quand je vois que mon concept plaît aux puristes et à ceux qui n’écoutent pas de rap, je ne peux qu’être content. J’ai quand même fourni du travail, un soir le gars du studio allait partir à minuit et j’ai dû lui demander : « S’il te plaît, laisse-moi une heure. » Je n’ai pas travaillé pour 1 200, pour être totalement honnête avec toi. Je m’attendais à ce que ça fasse des vues. Pas aussi rapidement et pas autant. Je ne pensais pas que ça allait autant marquer les esprits. Une audience que je ne pensais pas toucher l’a été… Au final c’est tout bénef’ pour moi, je suis grave content de la situation. Ça m’encourage.

Pourquoi tu apparais masqué ? 

À la base, je suis une personne qui n’aime pas trop se montrer. C’est une valeur que mes parents m’ont inculqué. Ça c’est une manière polie d’expliquer que sinon j’allais me faire défoncer [rires]. Au final le masque ne sert strictement à rien car il arrive qu’on me reconnaisse quand même dans la rue. Mais au final, le personnage est attachant, il y a un petit délire derrière. Au début, c’était une mesure de sécurité. Si ça ne marche pas tu supprimes discrètement ta vidéo et tu reprends le cours de ta vie [rires]. Les gens ont adhéré au délire du mec masqué… Mais est-ce que tu peux préciser dans l’interview que je suis un beau gosse despi, je ne veux pas que les gens pensent que je n’assume pas de montrer mon visage. Je me considère comme un 6/10, je monte parfois à 7 mais pendant le Ramadan je suis à 4 [rires].

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Certains pourraient penser que tu dénigres le rap avec tes vidéos ?

Pas du tout, d’autant plus qu’on est dans une période où les rappeurs français essaient de plus en plus de choses. La pire chose ce serait de les décourager en disant : « C’est de la merde ce que vous faites. » Si je ne les appréciais pas, je ne pense pas que la chronique serait aussi marrante. C’est facile de critiquer un artiste mais si tu n’as pas une approche sérieuse de son travail tu ne peux pas bien le parodier. Si je n’aimais pas autant les clips de SCH je n’aurais pas saisi toutes ses mimiques, je n’aurais jamais analysé l’auto-tune de cette manière-là pour PNL. D’abord j’achète les albums, je les accroche sur mon mur, je saigne ce qu’ils font et si je sens que je peux le faire, je le fais. Parce qu’il y a des artistes qui sont difficiles à parodier… Je pense notamment à Niro, si je le fais aujourd’hui on va se foutre de ma gueule, je n’en ai pas les capacités. Des artistes se prêtent plus à l’exercice que d’autres.

Alors que tu es en pleine exposition, tu prends ton temps et tu n’enchaînes pas les vidéos, pourquoi ?

Je suis en train de tuer le buzz volontairement, je ne veux pas qu’on m’oublie demain. C’est tellement facile de tomber dans l’oubli. Je veux faire comprendre aux personnes qui me suivent qu’elles n’auront pas de la merde, je préfère me concentrer sur la qualité plutôt que sur la quantité. Là les gens attendent les vidéos, ils se demandent qui sera le prochain… Pour le moment je veux asseoir le concept de « La Recette » et quand ça marchera je m’étendrais à d’autres projets. Seulement à ce moment-là, je serais plus prolifique. Le buzz c’est la pire des choses qui puisse t’arriver. C’est difficile de s’accrocher à un buzz sur le long terme, encore plus dans l’humour où tout le monde veut être marrant actuellement. Les gens ont tous des logiciels de montage, une caméra voire un iPhone, ce n’est plus aussi compliqué d’être viner ou youtubeur.

« Dès que je finis le montage, je poste la vidéo à 22 heures pile. Je rentre chez moi pour dormir, je me réveille et je vois que Mouloud Achour me follow, je vois qu’OKLM et Booska-P parlent de moi… »

Tu vis de tes vidéos aujourd’hui ?

Pas de ouf. Les vues ne payent plus comme avant, les gens utilisent beaucoup de bloqueurs de publicités, ça a tué le modèle économique de YouTube. Du coup, les youtubeurs sont obligés de passer par des partenariats. On m’en a proposé mais ils n’étaient pas en accord avec « La Recette ». Mais dès qu’ils le seront je les ferais… Tant que ça ne nuit pas à la qualité de ma vidéo.

J’ai mes études à côté, pour le moment je suis entre le délire et le professionnalisme. Une fois que j’aurais fini mes études, que je serais sûr d’avoir un bon parachute de sécurité et que ma mère me laissera tranquille [rires]… À mon âge tu penses plus à toi qu’à tes parents à ce sujet, même si c’est un facteur à prendre en compte. J’intègre vraiment que du jour au lendemain tout peut s’arrêter.

Pour compléter ma toute première question, je crois que tu ne viens pas de tout ce secteur parisien qui pourrait faciliter ce genre de projet ?

Non, je ne suis même pas Français mec, je viens du « de-blé » : « Straight from the bled ». C’est vraiment une information que je voudrais que l’on sache de cette interview. Je n’ai même pas la nationalité, j’ai une carte de séjour que je dois renouveler chaque année.

Je ne suis vraiment pas de cet univers, la seule chose que l’on peut associer à tout ça est que j’étais beatmaker, auparavant. D’ailleurs on me connaissait plus pour mes qualités de diggeur que de beatmaker, je sais très bien chercher des prods. J’étais « directeur artistique » : je trouvais des instrus pour les gens, je les conseillais sur leur manière de poser. La musique je la connais mais je ne suis pas un puriste, il y a certaines références que je n’ai pas. Notamment au niveau du rap français, toute la génération NTM que je ne connais pas trop, j’ai des lacunes et j’en ai conscience. Je n’essaie pas de me faire passer pour un mec qui a la science infuse dans ses vidéos, c’est l’histoire d’un mec qui aime un groupe et qui veut lui ressembler. C’est aussi simple que ça.

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Qu’est-ce que qui s’est passé quand tes parents ont découvert que tu étais Maskey ?

Bon on est allés chez le notaire et ils m’ont déshérité [rires]. Très concrètement, ils m’ont dit : « Tu es censé faire tes études, à quoi tu joues ? » Ils ne voulaient surtout pas que je passe pour un boloss et me demandaient de faire les choses bien et surtout de ne pas lâcher mes études.

Ma mère était au courant mais il y a quelques jours elle cherchait une recette de cheesecake sur Internet et elle a écrit « la recette » tout court… Et là elle tombe sur mes vidéos. Elle m’a dit : « J’ai regardé ta vidéo tout ça, j’ai pas compris, tu n’es pas marrant. » Ça la dépasse. Quand elle verra les chèques arriver, ne t’inquiète pas, elle va rire.

Quelle est la suite pour toi ?

Je continue de m’amuser, j’adore l’ambiance de travail dans laquelle je suis. Franchement ce n’est que du positif. Il faut savoir que je me suis enfermé pendant une année pour préparer ce concept, j’ai toujours voulu me lancer dedans.

Tu maîtrises le beatmaking, tu sais rapper… Pourquoi tu ne ferais pas simplement rappeur ?

Tu as écouté mes rimes dans mes parodies. Je ne pense pas qu’on puisse aller jusqu’au disque d’or avec ça [rires]. Je suis plus dans l’aspect parodique mais franchement ça pourrait être un projet pour le fun. Si je devais me lancer, je me verrais plus comme un Tyler, The Creator quelqu’un qui serait plus dans l’humour même que dans la musique. C’est impossible autrement. Je n’ai pas de vécu, je n’ai jamais vendu de drogue, ma mère me gâtait de ouf quand j’étais petit… Je suis un blédard.

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