Nekfeu + Django = MC2

Vous est-il déjà arrivé de somnoler et de vous retrouver dans un état d’apesanteur intellectuelle ? Zone onirique dans laquelle il est difficile de dissocier le réel de l’imaginaire, la minute de la seconde ou le bien du moins bien. L’histoire que je vais vous raconter n’est ni vraie ni fausse – du moins à mes yeux – et pourtant au fil de ces lignes, un doute s’instillera peu à peu dans une région de votre cerveau appelée le thalamus.

Illustrations : @jessicasrmth

 

48. C’est mon nouveau record d’heures passées sans trouver le sommeil. Une agréable volupté de fumée grise m’entoure à mesure que j’exhale de nouveau cette vapeur odorante et hallucinatoire. Il est 4h du matin, je suis affalé sur mon canapé, ordinateur posé sur les jambes tandis que la chaleur émanant de l’appareil m’incommode au niveau des parties génitales, m’obligeant à effectuer une pause pas du tout prévue.
Il faut savoir qu’à ce niveau d’insomnie, votre cerveau fonctionne comme s’il était sous l’effet de l’alcool et se met alors à halluciner. Votre cœur, lui, est plus réceptif aux accidents cardio-vasculaires; surtout si comme moi, vous êtes un sportif du dimanche de très haut niveau. J’avance donc péniblement vers les toilettes pour me soulager d’un surplus de Red Bull puis me dirige vers la cuisine afin de m’emparer d’une canette de coca. Je suis fou, je sais.

 

 


Kim se fait braquer à Paris tandis que l’une de ses sœurs se trouve en boîte. Tout a été documenté, monté, coupé, étalonné, mixé et sa vie nous est présenté sans la moindre pudeur.


 

De retour dans ce vieux canapé que j’exècre et qui me rappelle à chaque instant qu’écrire pour gagner sa croute est un long cheminement pavé d’ingratitude et de désolation, je décide d’aller sur Youtube. Histoire de procrastiner quelques minutes de plus, mais voilà, il n’y a rien de pire que de glander sur cette plateforme sans la moindre intention. Un océan d’images n’attendant que le fracas d’un clic pour déverser un flot de pixels, littéralement. Submergé par la fatigue et une vague forme de flemme, je cède aux suggestions affichées à l’écran. Au hasard. Je pose l’ordinateur, rallume ce joint encore tiède posé sur le bord du cendrier de la table basse, la musique s’enchaîne. J’entends plus que je n’écoute et cela me convient parfaitement, la lumière émise par la télévision crée un bal dansant d’ombres sur les murs blancs de mon studio.
Kim se fait braquer à Paris tandis que l’une de ses sœurs se trouve en boîte. Tout a été documenté, monté, coupé, étalonné, mixé et sa vie nous est présenté sans la moindre pudeur. Où est cette foutue télécommande ? Nos icônes sont des stars de la télé-réalité et cette mise en abîme me donne le vertige. En parlant de sensation de perte d’équilibre, Kendrick Lamar et son morceau « Backseat Freestyle » joue en fond. Quel morceau terrible, il me rappelle à sa façon le « Stan » d’Eminem…qui dernièrement a chargé Donald Trump et choqué l’opinion publique par la même occasion, juste avant de signer sur son label les flamboyants Westside Gunn et Conway, les frères made in Buffalo dans l’état de New York. François Fillon nous prend pour des cons, sa femme nous prend pour des cons également, leur parti politique nous prend pour des cons et le grand rassemblement du candidat des Républicains sur la place du Trocadéro n’y changera rien. La weed me fait divaguer.

 

 

J’attends le retour de Nessbeal comme j’espère que le peuple français reconnaisse le talent fou d’un Esso. Tiens…en parlant de lui, Nekfeu a pris le relais sur Youtube. Que devient Dailymotion ? Combien sont les mecs de Daymolition pour sortir autant de vidéos en flux tendu ? Comment élève-t-on une grue de chantier ? Peut-on boire l’eau de la pluie ? Que de questions…
Le cul de la vieille me brûle la lèvre inférieure tandis que je récupère l’ordinateur posé sur le côté, j’écrase le mégot après m’être emparé du cendrier, la télévision s’éteint. Je comprends alors que la pression brusque exercée au niveau du fessier gauche a permis à l’extinction accidentelle du téléviseur. Le reflet grossier renvoyé par l’écran noir et un peu réfléchissant me fait sursauter, mes oreilles sont mises à rudes épreuves par le flot de comparaison énumérés par Nekfeu dans le morceau dont je n’ai pas encore saisi le titre.
J’imagine que ce titre est inédit ou une chanson que je n’avais pas entendu auparavant. Alors j’écoute tout en roulant un nouveau joint parce que jusqu’au bout-iste je suis. En deux temps trois mouvements, l’affaire est pliée, le joint est roulé avec un collage à gauche pour un décollage adroit. Feu.

 

 

Quelque chose me turlupine dans ce morceau, un truc sur lequel je n’arrive pas à mettre le doigt. Alors je remets le titre au début et là, stupeur ! Que vois-je ? L’artiste que je croyais écouter n’est point celui dont le nom s’affiche sous la vidéo. Il se trouve que celui qui m’a floué s’appelle Django et que le titre du son est « Fichu ». Mais qui est-il ? Loin de moi l’idée de sonner comme un spécialiste du rap et de ses acteurs mais il y a clairement quelque chose qui ne tourne plus rond dans ce monde. Un entourage bien mieux intentionné lui aurait dit qu’il sonnait trop comme Nekfeu.
J’ai l’impression d’être bloqué dans un mauvais rêve où une moitié des rappeurs aurait le phrasé Rap Conterdesque, l’autre, le flow d’Hayce Lemsi et que tous kickeraient un 8 mesures. Chacun devenant ainsi l’écho de l’autre jusqu’à se perdre dans une atroce polyphonie.

 

 

Le pseudonyme Django quant à lui me fait penser à l’ancien acolyte du boug Dif mais aussi à Quentin Tarantino, mec le plus surestimé du cinéma aux côtés de Roman Polanski, le violeur adulé des stars. Je repense à la compilation Première Classe, au titre « Volte/Flow » de Disiz La Peste et de Busta Flex. En tout temps, n’avons nous pas été offusqués par la copie ? Mais ici, ne s’agit-il pas plutôt d’inspiration ? Quelle est donc la ligne de démarcation entre ces deux états ?
Car là d’où je viens, on appelle ça un manque de personnalité. Et s’il ne copie pas, Django pastiche t-il Nekfeu comme Rabelais ou Marcel Proust imitaient leurs contemporains en leur temps ? En effet, la copie n’est pas forcément la forme de flatterie la plus sincère. Alors que le pastiche, lui, a quelque chose de beaucoup plus insidieux, voire critique.
À travers sa collection de vidéos « La Recette », le Youtubeur Maskey met le doigt sur un phénomène de plus en plus décomplexé qu’est le copy cat. Osez dire que je suis fou après avoir regardé La recette #5 consacrée à Nekfeu. Y avez-vous repéré les indices dissimulés ? Le hoodie noir estampillé Trasher du faux Nekfeu n’est-il pas le même que celui porté par Django dans le clip « Fichu » ? Killuminati serait tellement fier de moi ! Je ne vois pas d’autres explications…ou, alors, Maskey aurait basé sa recette sur Nekfeu avec sa meilleure copie : Django. Le mindfucking à son meilleur.
J’imagine alors le malaise régnant dans la pièce lors d’une rencontre entre les deux individus, moi disant : « Django, je te présente Nekfeu, Nekfeu, voici Django », Nekfeu, gêné dirait « Bonjour fils ». Ambiance.

 

 


C’est comme si, l’auteur avait souhaité vomir ses ébauches sous forme de matière pâteuse, lourde et odorante…


 

La mode du  swagger jacking (vol de swag, ndlr) existe depuis belle lurette, je me souvient de Jay Z copiant le flow de Young Chris, protégé de Beanie Sigel et tous les deux chez Roc-A-Fella. Je me souviens de Six Coups MC ressemblant beaucoup à Rohff. Je me souviens aussi de Desiigner suçant les cordes vocales de Future. Faut dire que dans tout ça, le plus chiant c’est quand ta voix ressemble à celle du mec à qui tu voles le flow. Oui, jouer sur les malentendus c’est d’une puterie sans nom.

Le jour se lève, les oiseaux commencent à gazouiller et mon joint est à moitié fini. Je me rends compte que la cendre a complètement salopé mon trackpad et les empreintes de mes doigts habillent la surface basse du pavé numérique.
Et puis, quelque chose me frappe : Your Old Droog aussi avait pendant un temps suscité la controverse à cause de sa trop grande similarité vocale avec celle de Nas, jusqu’à ce qu’une théorie le présente comme Nas lui-même. L’homme n’était pas connu, personne ne savait à quoi il ressemblait et tout ce qu’on avait de lui, c’était ses morceaux. Vous me direz que Django n’a pas ce problème là puisque qu’il figure dans ses clips. Mais parlons-en de ces clips…j’en suis à trois vidéos et les problème de synchro ne plaident pas en sa faveur. J’ai beau chercher sur internet, je ne trouve rien qui puisse m’éclairer sur le personnage et j’ai beau être à la limite de la folie, j’ai comme l’impression que Django est incrusté sur fond vert dans son clip « Fichu ». 
À ce moment là, la théorie de la filiation vole en éclat pour ne laisser place qu’à une seule hypothèse : Django et Nekfeu ne feraient qu’un.

 

 

Il ne serait pas le premier artiste à user de cette ruse pour proposer son œuvre sans jugement ni opinion pré-établie. Rappelez vous : l’auteur Boris Vian et son alter ego Vernon Sullivan, Robert Galbraith plus connu sous le nom de J.K Rowling (créatrice d’Harry Potter), Romain Gary et son invention Emile Ajar (il aura quand même réussi à gagner le prix Goncourt sous chacun des deux noms !) ou encore le maitre de l’horreur Stephen King qui aura publié plusieurs livres sous le nom de Richard Bachman avant de se faire démasquer par un étudiant en littérature. Hors Nekfeu n’a t-il pas, à plusieurs reprises, affirmé qu’il était un grand fan de littérature (d’ailleurs sa référence au roman « Martin Eden » de Jack London est super chaude) ? Est-il donc envisageable qu’à un moment où à un autre, il eut envie de s’exprimer sans pression ni attente, comme au bon vieux temps ?
J’arrive à m’en convaincre moi même, alors je décortique les lyrics et les vidéos. C’est comme si, l’auteur avait souhaité vomir ses ébauches sous forme de matière pâteuse, lourde et odorante…sa schizophrénie prenant forme sous les traits d’un alter ego répondant au doux nom de Django. Beaucoup trop de jeu de mots, de comparaisons, de références au Japon et même si les titres sont très consistants et bons, aucun ne prend la mesure d’un morceau de Nekfeu.

 


Les pièces du puzzle semblaient s’agencer parfaitement mais je ne suis plus sûr de rien. Ai-je imaginé tous ces indices ? Ai-je supputé toutes ces pistes ?


 

« Martin Eden », « Réalité Augmentée », Django…tout cela fait sens dans ma tête, la logique est implacable. C’est un peu comme dans le film « Fight Club » avec le grand combat contre soi-même, le dédoublement de personnalité, la critique de la société et de ses mœurs, la grande conspiration quoi. Une mise en abime absolue, une folie. D’ailleurs si le film vous a plu, je vous conseille le roman du même nom, par Chuck Palahniuk. Du petit lait.
Merde…les Illuminatis et le groupe Bilderberg me voient me rapprocher de la vérité, ils épient mes recherches web, je le sais, je le sens… Au détour d’une page internet je découvre que le rappeur a écrit le morceau « Nique les clones, Part. 2 » dans l’album Feu, sorti le 8 juin 2015. On y retrouve quelques passages intéressants, tel que « vu qu’on forme des conformes qui ne pensent qu’à leur petit confort », « je ne vois plus que des clones, ça a commencé à l’école » ou encore « on est pas des codes barres, t’as la cote sur les réseaux puis ta cote part/ Le regard des gens t’amènera devant le miroir ».
La première apparition publique de Django, elle, intervient le 6 mars 2016 par le biais du clip « Billy Cocaïne ». Avez-vous déjà essayé de comprendre le principe du ruban de Möbius ? Mon cerveau est en surchauffe. Je n’arrive plus à me défaire de cette machination abominable, vraiment, je vois des maux partout…

 

 

M’en voulez pas, il faut que j’abrège. Une migraine lancinante me foudroie le crâne mais j’ai bien peur d’avoir dépassé le stade de la douleur. Les pièces du puzzle semblaient s’agencer parfaitement mais je ne suis plus sûr de rien. Ai-je imaginé tous ces indices ? Ai-je supputé toutes ces pistes ?
Il est 8h du matin, je viens de relire mon texte et je suis partagé entre le génie de ma folie et la honte d’avoir pondu un truc aussi facile.
Bref. Youtube ne m’y reprendra plus. Il est 8h10 et je m’apprête à décéder de fatigue.

 

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