Paris peut-il (enfin) devenir un pôle d’excellence mondial du sport ?

Alors que les saisons sportives 2015-2016 battent leur plein, les sacres nationaux du PSG et du Stade Français l’année passée rappellent une réalité douloureuse : il manque à Paris des clubs de haut niveau continental. Ce constat amer n’est qu’une partie émergée de l’iceberg, car la capitale française n’est en réalité jamais parvenue à présenter un pôle sportif d’excellence digne de l’aura internationale dont elle jouit. Or avec un tel vivier de talents, Paris a ce besoin impératif d’impulser une dynamique sportive ambitieuse et cohérente, sous peine dépérir en ville-musée pour touristes qui vit dans son passé. Entre l’organisation de l’Euro 2016 et la candidature aux JO 2024, le mastodonte financier des Qataris et le développement institutionnel du Grand Paris, la Ville Lumière se retrouve à la croisée des chemins. Enjeu de perspectives économiques et de marketing international, mais aussi d’identité et de cohésion sociale, le sport en région parisienne deviendra-t-il ce levier d’influence stratégique qui manque au soft power français ? Eléments de réponse.

Article écrit en collaboration avec Noise la Ville

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« Joue-là comme le Barça » le rêve d’un PSG omnisports sur le toit de l’Europe

 

Samedi 7 juin 2025. Dans un Parc des Princes rénové accueillant désormais 60.000 spectateurs surchauffés, le PSG et son capitaine Paul Pogba viennent de remporter à domicile leur troisième finale de Ligue des Champions face à un Barça en fin de cycle. Cette victoire ponctue un quadruplé historique pour le PSG dans les sports collectifs. Un mois auparavant le PSG Rugby, anciennement Stade Français et entraîné par la légende Johnny Wilkinson, parvenait enfin à décrocher le Graal européen aux dépends du RC Toulon. Entre temps, les branches basket et handball du PSG remportaient respectivement les Final Fours de la YARD Euroleague et de la IKEA IHF Champion’s League. Porté par son Big-Three Irving-Batum-Cissé, le PSG version balle orange triomphait au Final Four en prenant sa revanche sur le même Barça devant les 21.000 spectateurs surchauffés de l’enceinte flambant-neuve de la Melty Arena (anciennement Bercy et Accord Hotels), terre du premier sacre olympique de l’équipe de France de basket masculine l’été précédent. Epaulé par l’ancien meneur des Cavs triple champion NBA et le capitaine de l’équipe de France, Boubacar Cissé remporte pour la seconde fois de suite le trophée de MVP des finales. Pur produit de la formation parisienne et originaire de la Grande Borne, dans le sud du Grand Paris anciennement appelé Essonne, le colosse pivot de 2m21 n’avait même pas dix ans lorsque son capitaine Batum remportait son premier championnat d’Europe sur les terres espagnoles. Joueur le plus dominant du circuit européen à seulement 21 ans, Cissé combine des statistiques hallucinantes de 28,5 points, 12,7 rebonds et 4,2 contres par match cette saison et est pressenti parmi les cinq premiers picks de la prochaine draft NBA. Alors que l’on commence déjà à la comparer avec un Lakers-Celtics des années 80, la lutte pour la suprématie continentale entre le PSG et le FCB se trouve également sur les terrains de handball où dans cette même Melty Arena, le PSG entrainé par l’ancien joueur Luc Abalo venait à bout de l’équipe catalane dans la conquête de son deuxième titre européen.

 

« Samedi 7 juin 2025. Dans un Parc des Princes rénové accueillant désormais 60.000 spectateurs surchauffés, le PSG et son capitaine Paul Pogba viennent de remporter à domicile leur troisième finale de Ligue des Champions face à un Barça en fin de cycle. »

 

Digne de la science-fiction, ce scénario trotte probablement dans les rêves des propriétaires qataris du PSG, qui ne cessent de « Rêver plus grand » chaque année. Aujourd’hui, outre ses sections d’élite football masculine et féminine sur lesquelles ses propriétaires ont considérablement investi, le PSG dispose de branches handball et futsal, et la puissance financière de fonds d’investissement QSI laissent présager des spéculations de rachats de club voisins (Paris-Levallois Basket, Stade Français, Paris Volley…). Que ce soit le PUC, l’ACBB, de nombreux clubs omnisports franciliens ont pu esquisser un glorieux passé national, voire international, mais qui aujourd’hui peinent à retrouver l’élite française, et donc loin des compétitions médiatisées. En réalité, l’idée de former un gros club omnisports à Paris n’est pas nouvelle. Elle avait même commencé à se concrétiser au début des années 90, sous l’impulsion de Charles Biétry, alors directeur des sports d’un Canal+ ancien propriétaire du PSG. Cependant, l’expérience aura duré moins d’une décennie, et ce notamment faute d’une enceinte polyvalente conséquente pouvant accueillir les compétitions nationales et continentales des sections sports collectifs. Vingt ans plus tard, avec son fonds d’investissement QSI et sa chaîne BeIn Sport, pas grand choses ne résiste au Qatar pour construire son PSG omnisports, avec l’objectif d’en faire une marque d’excellence sportive mondiale au moins aussi forte que le FC Barcelone. Locomotive de toute une région avec ses enceintes mythiques du Camp Nou et du Pau Blaugrana, le club omnisports s’est non seulement affirmé comme le meilleur VRP de la Catalogne, mais également comme le plus gros réservoir dans lesquelles les sélections espagnoles (football, handball et basketball), à leurs apogées ces dix dernières années, ont allègrement pompé.

 

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Avec ses pétrodollars, les propriétaires qataris du PSG ont donné une priorité immédiate au terrain, et personne ne peut contester que les résultats et le spectacle sont au rendez-vous. Cependant, pour construire à terme un club multisports de type Barça, à savoir doté d’une identité forte sur laquelle toute une région peut se sentir appartenir durablement, (ré)investir dans des repères culturels – supporters, enceintes, formation – est un travail à moyen-long terme tout aussi indispensable. Outre la gestion délicate des ultras et des projets d’agrandissement du Parc des Princes après l’Euro 2016, façonner des nouvelles figures iconiques locales reste certainement l’un des gros chantiers du club. À l’approche de la cinquantaine de bougies, le PSG n’a toujours pas réussi à faire émerger son propre Steven Gerrard, Xavi ou Paolo Maldini. Après un double fiasco nommé Nicolas Anelka, il était permis d’espérer que Mamadou Sakho devienne l’enfant du pays au sang rouge et bleu, qui contribuerait à écrire l’histoire du club jusqu’à la mort sportive. Seulement le timing était mauvais, entre les exigences de résultats à court-terme des dirigeants et la courbe de progression du défenseur né à la Goutte d’Or qui voulait absolument disputer la Coupe du Monde au Brésil.

 

« À l’approche de la cinquantaine de bougies, le PSG n’a toujours pas réussi à faire émerger son propre Steven Gerrard, Xavi ou Paolo Maldini. »

 

Avec un peu de recul, la problématique d’assise locale de la marque PSG dépasse le simple tour de passe-passe marketing. La preuve avec l’échec cuisant du « recrutement banlieue », mis en place en l’an 2000 suite au désir ardent du propriétaire Canal+ de séduire les jeunes de quartiers. L’idée fut alléchante sur le papier, mais les fondations de « l’institution PSG » étaient aussi chancelantes que l’attachement au maillot des jeunes leaders de l’équipe pour qu’une dynamique positive puisse durer. Aujourd’hui, malgré certaines promesses actuelles comme l’intermittent Adrien Rabiot ou le gardien Alphonse Areola qui enchaîne prêts sur prêts, un club de la dimension internationale du PSG n’a toujours pas réussi à pondre ce crack local auquel jeunes supporters et sportifs de la région parisienne pourraient s’identifier dans la durée. Un signe qui ne trompe pas, le PSG s’est offert cet été les services de l’ancien directeur des écoles de football du Barça Carles Romagosa Vidal en tant que directeur technique au centre de formation du club parisien. Avec un CV béton (professeur à l’Université de Catalogne, consultant technique pour les fédérations de football chinoises et japonaises) et une méthodologie d’entraînement pour le développement de l’intelligence de jeu des footballeurs baptisée Ekkono, le technicien catalan est cette tête pensante qui a désormais pour mission de construire les fondations d’une identité de jeu chez les équipes jeunes du PSG, à l’instar du Barça ou de l’Ajax. En somme, un recrutement estival pas aussi bling-bling que Di Maria, mais qui risque de payer à plus long-terme.

 

L’immanquable opportunité du Grand Paris

 

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Comme le rappelle bien AP du 113 « La banlieue a ses qualités et ses défauts, peuplée d’artistes et de sportifs de haut niveau ». Mais lorsqu’il s’agit de convertir le talent brut des innombrables « princes de la ville » franciliens en machines de guerre professionnelles, la réalité est bien plus mitigée. Aujourd’hui, on dénombre moins d’une dizaine d’équipes de région parisienne au sein de l’élite des quatre sports collectifs majeurs français, avec des résultats pour le moins irréguliers. En basketball, le Paris-Levallois, qui a joué l’ascenseur en Pro B entre 2008-2009, peine à accrocher les play-offs tous les ans malgré une victoire en Coupe de France (2013) et un quart-de-finale honorable en Eurocoupe (C2) cette saison. Son voisin du JSP Nanterre, revenu dans l’élite en 2011, poursuit son irrésistible ascension. Champion de France Pro A en 2013, vainqueur de la Coupe de France en 2014, deuxième de saison et régulière en Pro A et victoire à l’EuroChallenge (C3) en 2015. Pour le club des Hauts-de-Seine, il est question de confirmer ces bonnes performances, notamment au niveau continental, où la marge de progression reste encore très grande. Chez les femmes, aucune équipe de basket francilienne ne se trouve dans l’élite. Au handball, le PSG et son équipe All-Star signe un joli doublé Championnat-Coupe de France, mais au même titre que son homologue du football, n’arrive pas encore à atteindre le Final Four de la Ligue des Champions. Quant aux équipes d’Île-de-France-Est, Tremblay, Créteil et Ivry (qui vient de remonter dans l’élite), elles peuvent difficilement prétendre jouer le haut du panier européen. L’équipe féminine d’Issy-Paris Hand est régulière au plus haut niveau national, mais vient d’enchaîner sa cinquième défaite de rang en finale de compétitions, nationales et continentales, ces quatre dernières années. Côté rugby, dans un top 14 principalement dominé par le RC Toulon et le Stade Toulousain, le Stade Français vient de braquer son 14e titre national après un passage à vide de près d’une décennie. Son sulfureux voisin des Hauts-de-Seine le Racing 92 continue sa marche en avant dans l’élite. Mais avec une première qualification en play-off de Coupe d’Europe, on est encore loin de rentabiliser un budget de recrutement cinq étoiles et de construction de la nouvelle Arena 92 de 32.000 personnes proche de La Défense, prévue pour la saison 2016-2017. Enfin pour le football, hormis le PSG et de bons résultats en Champion’s League (quarts de finale chez les hommes, finale chez les femmes), la question est vite réglée, même si le retour au premier plan du Red Star FC en Ligue 2 amène un petit vent de fraîcheur. Mais la situation actuelle de « l’Etoile Rouge » du 93, obligée de devoir quitter son mythique Stade Bauer pour jouer à Beauvais faute de meilleure solution immédiate trouvée entre le club et la ville de Saint-Ouen, est bien symptomatique. Car de façon générale, l’ensemble des acteurs franciliens (clubs, investisseurs, fédérations, collectivités, médias, sponsors) galèrent à constituer un environnement fertile qui permettrait d’incuber et forger des équipes régulièrement performantes sur la scène continentale, lesquelles seraient portées par des athlètes de haut niveau issus du sérail francilien.

 

« Quand Londres fanfaronne avec plus de quatre stades supérieurs à 60.000 personnes, la région parisienne n’a pour l’instant qu’un Stade de France aseptisé comme arène d’envergure à se mettre sous la dent. »

 

On dit souvent que le sport est un vecteur de cohésion, d’intégration voire de promotion sociale. L’idée n’est pas seulement de créer ou rénover des terrains de foot en bas des cités, mais de lancer des politiques ambitieuses globales, à la fois en termes de formation, d’infrastructures et d’évènementiel sportif. Or aujourd’hui, à titre de comparaison, la région parisienne présente une offre d’infrastructure sportive nettement inférieure à d’autres métropoles européennes. Quand Londres fanfaronne avec plus de quatre stades supérieurs à 60.000 personnes, la région parisienne n’a pour l’instant qu’un Stade de France aseptisé comme arène d’envergure à se mettre sous la dent. Le projet de Grand Stade de Rugby à Ris-Orangis dans l’Essonne est sur les rails, mais ce n’est pas encore pour aujourd’hui. Pour ce qui est de l’indoor, entre le prestigieux mais néanmoins très onéreux AccordsHotel Arena (ex-Bercy) et le Stade Coubertin aux capacités réduites, la région parisienne ne dispose d’aucune offre intermédiaire de salles multimodales entre 6.000 et 20.000 personnes. Construits dans les années 80, les Zéniths de France avaient fière allure, mais aucune n’a été pensée pour l’évènementiel sportif. Cette absence de polyvalence limite fédérations et ligues dans l’organisation de manifestations à la fois sportives et culturelles d’envergure nationale, voire internationale. Constituée principalement de dirigeants sportifs ainsi que d’élus, la commission « Grandes Salles » mentionnait dans son rapport « Arenas 2015 » la nécessité de construire pas moins de sept salles multimodales dans toute l’Île-de-France. Aujourd’hui on parle de nombreux projets en région parisienne, comme le Dôme Arena de Sarcelles ou le Colisée de Tremblay-en France. Cependant les deux projets, tous dotés de 12.000 places et partageant l’ambition de compléter le Stade de France comme lieu d’évènementiel majeur au nord de Paris à l’horizon 2020, se trouvent désormais en concurrence frontale dans la course aux investisseurs privés et aux subventions publiques. Si on peut spéculer sur un scénario à la Game of Thrones entre les mairies des villes respectives, on est de moins en moins sûr que les deux salles puissent voir le jour en même temps.

 

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En France où la puissance publique reste très investie dans le sport, le développement de la métropole du Grand Paris s’avère être une occasion unique pour apporter des solutions au retard structurel de la région. Le projet du Grand Paris Express et son maillage de 18 lignes de métro (dont la rocade de ligne 15 qui ira de Nanterre à Créteil sans correspondance, en passant soit par Bagneux ou par Bobigny), doit amener davantage de mobilité aux sportifs franciliens, mais aussi du développement territorial, avec l’accessibilité et donc l’attractivité d’infrastructures et de pôles de compétitivité en banlieue. Co-financé par les instances fédérales et les collectivités locales du Val-de-Marne, le projet de la Maison du Hand à Créteil semble montrer la voie. Avec les excellents résultats sportifs de l’équipe nationale masculine, l’organisation du Mondial 2017 en France et le solide ancrage de ce sport dans le 94, avec des clubs étendards comme Ivry, Créteil ou le Stella St-Maur, les voyants sont au vert pour mettre en place ce tout premier centre technique national du handball. À l’instar de Clairefontaine (Yvelines) pour le football et de Marcoussis (Essonne) pour le rugby, le centre combinera les activités de regroupement des équipes nationales, de formation, d’hébergement et de santé. Mais la réelle plus-value de ce projet reste l’établissement d’un pôle Espoirs regroupant les meilleurs jeunes de l’est francilien, lesquels viendront renforcer la compétitivité des trois clubs suscités, probablement partenaires lors des matchs le week-end. D’un côté le niveau sportif professionnel national et local se retrouve consolidé, de l’autre un quartier du sport aménagé à Créteil et des emplois crées, car on parle notamment d’hôtels et de bureaux d’activités aux alentours. Cependant pour franchir un pallier supplémentaire et devenir ce hotspot d’élite du sport mondial, le désir d’excellence pour la pratique sportive en Île-de-France, concrétisé notamment par un INSEP (Institut National du Sport, Expertise et Performance) situé au Bois de Vincennes, ne suffit pas pour contrer les armées d’athlètes chinois[es] et américain[es] aux grandes sauteries sportives. À l’heure où le développement du sport se confronte aux restrictions budgétaires de l’État, il devient indispensable d’affirmer des modèles économiques vertueux, avec une offre de divertissement conséquente qui doit contribuer à forger l’identité du Grand Paris dans le monde. Dans une telle ambition, l’organisation de compétitions internationales constituent un examen de passage obligatoire.

 

Avec la candidature aux JO 2024, construire sa propre identité évènementielle pour booster le showbiz du sport

 

Depuis le 23 juin dernier, Paris a officiellement déclaré sa candidature pour l’organisation des Jeux Olympiques de 2024. Souvent (auto)désignée favorite, la capitale a déjà essuyé trois revers de rang pour les éditions 1992 (Barcelone), 2008 (Pékin) et 2012 (Londres). Acté le 6 juillet 2005 lors du congrès du Comité International Olympique (CIO) de Singapour, le dernier échec face aux Britanniques reste le plus cuisant, tant le dossier parisien semblait techniquement plus solide que celui de son adversaire londonien validé au dernier moment. Mais comme le déclarait avec amertume Bertrand Delanoë « La candidature de Paris était supérieure à celles de Londres, mais nous n’avons pas su la vendre. C’est toute la différence de culture entre les lobbyings français et anglais ». Mauvais perdant, l’ancien maire de Paris et président d’organisation à la candidature ? Ce n’est plus un secret pour personne, lorsqu’à l’époque le président Jacques Chirac serrait des mains en public et passait trois de ses huit heures à Singapour à la soirée inaugurale du congrès du CIO, Tony et Cherie Blair s’enfermaient dans leur chambre d’hôtel pour jouer les Frank et Claire Underwood.

 

« Ce n’est plus un secret pour personne, lorsqu’à l’époque le président Jacques Chirac serrait des mains en public et passait trois de ses huit heures à Singapour à la soirée inaugurale du congrès du CIO, Tony et Cherie Blair s’enfermaient dans leur chambre d’hôtel pour jouer les Frank et Claire Underwood. »

 

L’ancien premier ministre britannique et son épouse sont restés près de deux jours à enchainer les rencontres privées pour « négocier des promesses » à des dizaines de délégués du CIO encore indécis dans leur vote d’attribution des J.O. 2012. Toujours dans un style très House of Cards, il se tramait également en coulisse que chaque délégué avait son lobbyiste pro-Londres attitré dans son avion pour Singapour, et que les services de renseignement britanniques mettaient également la main à la patte. Pragmatique et tacticien, Tony Blair avait œuvré publiquement pour l’annulation de la dette des pays en développement quelques semaines auparavant, favorisant l’appui des voix africaines pour les Britanniques. À chaud après la défaite, la candidature parisienne, trop confiante d’avoir « joué dans les règles » et soigneusement remplie le cahier des charges du CIO, avait dénoncé les pratiques des Anglo-saxons qui « dépassaient la ligne jaune ». Cependant avec du recul, la stratégie de jouer sur les sacrosaintes valeurs de l’olympisme originel du fondateur Pierre de Coubertin – quand l’adversaire britannique n’hésitait pas à tacler publiquement les faiblesses de ses concurrents directs – a été perçue comme arrogante. En réalité, la dernière défaite de Paris dans l’obtention des Jeux illustre une tendance de fond encore plus dure à avaler : la France n’arrive plus à exercer son influence sur les instances internationales du sport. Au moment du vote de Singapour, Paris n’avait que trois membres permanents au CIO lorsque Londres en avait le double. L’autre grosse faiblesse de la candidature parisienne était l’absence de sportifs d’envergure mondiale dans son leadership, quand Londres avait à la tête de son comité d’organisation l’ancien double champion olympique du 1500 mètres Sebastian Coe. Car si aujourd’hui la candidature de Paris 2024 s’appuie sur un solide ticket composé de Bertrand Lapasset (président de World Rugby – la fédération internationale de Rugby) et de Mike Lee (patron des lobbyistes qui avaient fait gagner Londres en 2005), la présence d’athlètes titrés du pays dans les organismes du sport mondial reste cruciale pour faire la différence. Avec leur légitimité sportive, leur charisme naturel et leurs propres réseaux, ces anciennes gloires arrivent à orienter les décisions les plus importantes. C’est d’ailleurs sous l’impulsion de Michel Platini à la tête du comité de candidature que la France a obtenu l’organisation de la Coupe du Monde de football 1998, avec in fine l’unique victoire que l’on connaît. C’est aussi sous le règne de l’ancien numéro 10 des Bleus au sommet de l’UEFA que la France a gagné le droit d’accueillir l’Euro 2016. Pour augmenter la probabilité d’avoir des personnalités du sport français pouvant autant peser que Platini dans la politique internationale du sport, il faut produire davantage de champions. Inculquer aux athlètes cette culture de la gagne signifie les entraîner dans les meilleures conditions, mais aussi les habituer à gérer la pression de l’adversité des arènes combles. Développer ce pôle sportif d’excellence au Grand Paris constitue donc un double levier de compétitivité.

 

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Pour se donner les moyens de son ambition olympique qui leur fera changer de dimension, les acteurs du Grand Paris sportif doivent encore davantage muscler leurs images de marque et leurs business-models. Après une vision « à la papa » franchouillarde trop longtemps entretenue par les clubs, les ligues et les fédérations nationales, certaines disciplines sportives commencent enfin à bien s’appuyer sur le pouvoir d’attraction de la capitale pour se développer. Paris commence à devenir un centre de gravité du sport en s’enrichissant d’éléments étrangers, qu’ils soient financiers ou sportifs. A l’instar de son homologue du football, la Ligue Nationale de Handball a su profiter des opportunités offertes par le combo Qatari « PSG + BeIn + stars internationales », pour lancer avec succès son premier Hand Star Game en 2013 dans un Bercy comble et comblé. De son côté, la Ligue Nationale de Basket a vu son All-Star Game décoller grâce au double partenariat avec Nike et Bercy depuis 2002. Pour le rugby, outre la mise en place de premiers matchs d’envergure de saison régulière du Top14 au Stade de France, l’arrivée de megastars internationales – comme dernièrement Dan Carter au Racing 92 – est en train de rendre le ballon oval d’autant plus attractif en Île-de-France ces dernières années. En somme, susciter l’engouement vif et durable du grand public francilien – source de revenus directs en provenance de la billetterie et du merchandising, et indirects avec les sponsors et les droits TV – nécessite les mêmes ingrédients (performances de haut-niveau des athlètes, communication attractive, animations cohérentes, service des infrastructures d’accueil professionnalisé), mais avec un apport international indispensable. Si la célébration du sport et de ses valeurs sera toujours exigée par nos bons vieux puristes, les compétitions d’envergure du Grand Paris doivent désormais s’assumer comme un spectacle à part entière, sans oublier la forte valeur culturelle ajoutée de la capitale. Avec comme épicentre le prestigieux ouest-parisien bourgeois (Roland-Garros, Hippodrome de Longchamps, Salle Coubertin, Piscine Molitor, Bois de Boulogne), le sport version « Strass et Paillettes » – autrefois injecté par le PSG version Canal+ et le Stade Français ère Max Guazzini, et aujourd’hui par les Qataris – a ce don de nous déverser sa bonne dose de rêve. Cependant, dépourvu de ce supplément d’âme mixant passion du beau jeu et sentiment d’appartenance locale, ce shot de bling-bling ne peut que favoriser l’écrasante domination des « foot/hand/rugby/basket…». Cette domination, bien que rentable financièrement et créatrice de buzz dans l’immédiat, ne soutient le développement du sport que de façon artificielle. Car dans un tel modèle où le public de spectateurs consommateurs s’est dépourvu de supporters passionnés, l’affluence s’effondrera comme un château de cartes si le spectacle sportif a le malheur de baisser de niveau. Après, pourra-t-on voir émerger un stade comme Anfield, Maillol ou la Bombanera, des Handball Arenas allemandes ou des salles de basket serbes ou grecques surchauffées, en Île-de-France? Probablement pas, car la Ville Lumière n’est effectivement ni Liverpool, Buenos Aires, Hambourg, Athènes ou Belgrade. Mais les événements sportifs du Grand Paris gagneraient à s’inspirer de ces lieux magiques, créateurs d’émotions collectives les plus folles.

 

« Dans un monde de la performance olympique où une Amérique sous stéroïdes autrefois hégémonique se livre dans une lutte sans merci avec les autres intraitables usines à champions chinoises et russes, la devise des jeux modernes n’a en réalité jamais été « l’important, c’est de participer » mais bien « plus vite, plus haut, plus fort ». »

 

La candidature de Boston mise à part, la course pour les Jeux Olympiques 2024 risque de se jouer principalement contre des villes européennes (Rome, Hambourg, Budapest, et possiblement Istanbul) qui vont elles aussi faire valoir leurs héritages respectifs pour se démarquer. A ce jeu là, l’évènementiel sportif parisien détient de nombreux atouts qui peuvent faire la différence. Outre le vivier de talents, l’agglomération parisienne dispose d’un réservoir culturel des plus divers pour forger les éléments de son identité : contenu, esthétique et animations. Mélange brut où l’énergie urbaine créative s’approprie le patrimoine classique avec un boost de pop-culture internationale, ce réservoir, qui se situe des deux côtés du périphérique, de Haussmann à Saint-Denis, du Champs-de-Mars à Trappes, de Barbès à Fontainebleau, doit devenir le principal carburant de l’âme du Grand Paris. À ce titre, malgré quelques difficultés rencontrées cette année, un évènement comme le Quai 54 constitue une bonne source d’inspiration pour les compétitions sportives dans la capitale. Fondée par des passionnés de basketball et de sa street-culture sous-jacente, la compétition a su faire ses preuves en termes de crédibilité sportive et d’assise locale pour convaincre les bons partenaires privés et publics. Ces derniers sont à la fois des leviers stratégiques de croissance et des ingrédients qui composent son identité atypique. Avec comme appuis les amateurs de basket, les autorités locales (Mairie de Paris), les lieux prestigieux et historiques de la ville parisienne (Palais de Tokyo, Trocadéro, Champs de Mars..), une marque d’envergure internationale comme sponsor (Jordan) et des personnalités aussi bien franciliennes qu’américaines, le Quai 54 est parvenu à se faire sa propre place. L’alchimie prend, même si l’équilibre entre sport et spectacle reste un point de tension qui nécessite une remise en question permanente. Le temps d’un weekend de juin, Paris s’impose ainsi sur la carte mondiale du basket, et inversement la balle orange obtient son beau moment de promotion dans l’esprit des Franciliens, pour ne pas dire des Français. Les compétitions sportives n’ont naturellement pas vocation à s’approprier l’espace public, mais on en revient à cette nécessité de construire des repères d’identification, là où l’on est fier d’appartenir à des communautés sportives, géographiques, et culturelles. A l’heure où le sport-business professionnalisé ne compte plus ses travers (dopage, matchs truqués, agents véreux, blanchiment d’argent, corruption…), ces repères s’avèrent indispensables pour garder un sens à toutes ambitions de développement. Dans un monde de la performance olympique où une Amérique sous stéroïdes autrefois hégémonique se livre dans une lutte sans merci avec les autres intraitables usines à champions chinoises et russes, la devise des jeux modernes n’a en réalité jamais été « l’important, c’est de participer » mais bien « plus vite, plus haut, plus fort ». Autrement dit, il n’est pas question de gagner ou de perdre, mais bien de progresser constamment face à l’adversité. Le sport français et Paris pourront enfin y parvenir, si et seulement si ils acceptent de se réinventer ensemble.

 

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