Quand XXL la joue petit bras

Comme chaque année depuis 2008, le magazine américain XXL endossait le 4 juin dernier son plus beau costume de trendsetter pour dévoiler sa traditionnelle Freshmen Class. Au menu de cette cuvée 2015, une sélection assez diverse où quelques cool kids mésestimés se mélangent aux principaux phénomènes viraux de ces derniers mois.

De quoi donner du grain à moudre aux auditeurs, qui ne manquent pas de débattre une fois de plus sur la pertinence de cette liste ; tandis que quelques rappeurs aigris agissent en bons opportunistes et viennent se servir de leur absence pour prouver au monde entier qu’ils sont effectivement boycottés par l’industrie.

D’une certaine manière, qu’elle soit adoubée ou férocement critiquée, cette sélection n’en reste pas moins attendue. Et ne serait-ce que pour cette raison, XXL a obtenu de la part du public rap le crédit nécessaire pour mener à bien sa démarche. Et pourtant, il suffit de s’attarder un tant soit peu sur les faits et les chiffres pour constater que ceux-ci ne parlent pas nécessairement en faveur du périodique.

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Petites côtes et paris manqués

Quand XXL inaugure le concept en 2008, son objectif affiché est d’identifier les artistes destinés à exploser dans les mois (les années ?) à venir. Seulement, les critères de sélection sont imprécis et l’on ne peut pas dire clairement si la vocation est de faire découvrir au public des prodiges s’apprêtant à marquer l’histoire de leur genre musical ou simplement miser sur ceux qui feront plier les charts en dépit de toute perspective artistique. De fait, la première fournée apportera plus d’interrogations que de réponses concrètes. Ne nous méprenons pas : replacée dans son contexte, cette sélection est qualitativement l’une des meilleures qu’a pu fournir XXL. Cependant, elle comporte son lot d’anomalies avec entre autres la désignation en tant « qu’artistes à suivre » de rappeurs comme Plies ou Lupe Fiasco qui comptent alors chacun à leur actif un album certifié disque d’or. Une prise de risque minime, qui ne se révèle même pas concluante puisque les carrières des deux rappeurs en question finissent par décliner considérablement sur le moyen terme.

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XXL peine à se montrer véritablement visionnaire et ne devance ni les auditeurs, ni même les maisons de disques, ce qui ne concorde pas avec le rôle de « prescripteur » que le magazine prétend endosser. Ainsi, il apparaît que sur les 84 noms s’étant affichés en couverture à l’occasion des classes Freshmen, près d’une soixantaine avait déjà eu l’occasion de contracter un deal avec une major avant leur sélection, contre 9 cas isolés effectuant le chemin contraire. En ce sens, on constate une supériorité numérique des artistes ayant sorti leur premier album avant leur nomination (qui sont au nombre de 29), et ceux l’ayant sorti après (qui sont au nombre de 23), ce qui témoigne toujours de l’attentisme d’XXL.

Ce pourrait être une donnée à minimiser si les franches réussites étaient légion, mais en l’occurrence seuls B.o.B, Kid Cudi, Wiz Khalifa, J. Cole, Kendrick Lamar, Iggy Azalea et Macklemore ont vu leur album s’orner d’or ou de platine après leur sélection. Le fait est que sans critères clairement prédéfinis, le magazine s’égare à vouloir diversifier des listes souvent trop évidentes en y faisant figurer des artistes plus marginaux. Des paris entrepris avec des emcees aucunement bâtis pour exploser les compteurs et dont la présence se solde au pire par des échecs cuisant (Fred The Godson, Mickey Factz, Don Trip, Donnis), au mieux par des carrières honorables menées dans l’ombre des projecteurs (Curren$y, Blu, Freddie Gibbs).

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If You’re Reading This It’s Too Late

Au détour de la parution de la couverture du cru 2014, XXL s’attèle à réaliser un petit bilan des Freshmen Class sous forme d’infographie. Au chiffre 7 correspond le nombre d’artistes ayant décliné une parution en couverture du périodique. Parmi eux, on retrouve notamment Drake & Nicki Minaj, la dernière explique alors le refus des deux têtes de Young Money en avançant une position trop frileuse du média : « Drake et moi, on adore XXL. Mais sans manquer de respect à qui que ce soit, on pense qu’on a déjà été diplômés de la classe Freshmen. On a le sentiment qu’XXL a manqué le coche en ne nous mettant pas sur la couverture des précédentes sélections. Ils doivent payer pour ça. Ils ne peuvent pas simplement dire : ‘Hey, on vous met sur celle de l’année prochaine' ».

Dans le cas de Drake, le Canadien est contacté pour participer à la cover de 2010, une période durant laquelle il est en pleine promotion de son premier album Thank Me Later. Un an plus tôt, il fait déjà chavirer l’Amérique avec son hit « Best I Ever Had » extrait de son EP So Far Gone qui s’écoule à plus de 600 000 exemplaires au pays de l’Oncle Sam. Visiblement insuffisant pour accrocher la couverture de 2009. Ce ne sont d’ailleurs pas les seuls à reprocher ce manque de réactivité à XXL puisque c’est ainsi que Cam’ron justifie l’absence de son protégé Vado l’année suivante.

Autre refus significatif, celui de Young Thug. En 2013, l’excentrique rappeur d’Atlanta électrise les foules à mesure qu’il étire son flow élastique sur les hits que sont « Stoner » et « Danny Glover », puis en multipliant les « guest verses » tout au long de l’année. XXL ne peut passer à côté du phénomène et lui propose la couverture de 2014, chose que Thugger accepte avant de finalement se rétracter à la dernière minute. Interrogée sur l’absence du phénomène, la rédactrice en chef du magazine Vanessa Satten s’en défend alors en expliquant qu’il lui en faut plus : « Une grosse année pour un artiste rap ne peut se baser sur 2 sons. Il nous en faut beaucoup plus pour considérer qu’un rappeur a réalisé une grande année. Young Thug a connu une montée en puissance sur quelques mois, mais je n’ai pas le sentiment qu’il ait dominé une année entière. Je ne pense pas que deux sons peuvent permettre cela. Bien que Young Thug ait eu un buzz, il n’a pas eu le plus gros buzz de l’année. ».

Des arguments qui pourraient lui revenir tel un boomerang aujourd’hui, au regard d’une sélection de 2015 qui comprend des noms tels que Fetty Wap ou Dej Loaf dont le principal fait d’arme reste d’avoir su exploser sur un titre. De quoi laisser penser que les XXL Freshmen Class sont surtout destinés à ne rester qu’un simple coup de pouce médiatique aux élus ayant la « chance » d’y apparaître.

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