Qui veut la peau d’Entourage ?

« Tout le long de la série, on n’a jamais eu plus d’un épisode d’avance à l’écriture ». Ce sont les mots de Doug Ellin créateur d’Entourage, showrunner puis scénariste et réalisateur du film du même nom sorti 5 ans après, cette semaine. Sans paraître suffisante, cette phrase révèle l’importance donnée à l’ambiance que dépeint la série plutôt qu’à ses péripéties. Le long-métrage marche d’ailleurs sur la voie du succès malgré un scénario classique porteur de quelques failles puisqu’il redonne parfaitement aux fans l’esprit qui les avait accompagnés durant 8 saisons de 2004 à 2011.
C’est donc du côté des détracteurs d’Entourage qu’il faut s’approcher pour comprendre d’où la série des cinq mecs qui traînent leur amitié sur les bancs d’Hollywood détient ce petit supplément d’âme. Plus un divertissement fonctionne plus il attire les foudres des biens pensants…

 

Haters gonna Hate

 

Entourage est bien sûr une série pleine de qualités en elle-même mais elle porte aussi la marque de la célèbre chaîne qui la produit, HBO. Connue puis reconnue pour avoir relancé la légitimité artistique de la série télévisée, le fameux network est aussi moqué plus ou moins violemment pour son ton très porté sur le sexe, la violence et le politiquement incorrect.
L’univers de Vincent Chase n’échappe pas à cette caricature et la première façon de casser du sucre sur son dos est de prendre un à un ces éléments superficiels et de les démonter sans s’occuper du contexte. C’est ainsi que circulent sur Internet de nombreux « tops » tels que celui du site Uproxx intitulé « les 10 moments les plus pourris d’Entourage ». Ce dernier rappelle à quel point la série est bien trop surestimée et correspond à un public d’imbéciles. Les dix instants relayés veulent dépeindre la série comme un ramassis de vulgarité (envers les femmes, les Juifs, les Asiatiques, les homosexuels…) et de superficialité (grosses voitures, sexe avec des stars du porno et égos surdimensionnés).
Impossible de lutter, tout est vrai en apparence. Mais cette grille de lecture littérale omet l’essence même de ce qu’a voulu crée Doug Ellin. Un mode de vie immoral sous couvert de relations humaines subtiles et profondes : « Si ce n’était qu’une série qui parle d’accomplissement de carrière et de pouvoir coucher parce que ton pote est célèbre ce ne serait pas si intéressant » avance Jeremy Piven l’interprète du corrosif Ari Gold.
Piqûre de moustique sur une peau d’éléphant, ces attaques rencontrées fréquemment sur la toile restent faciles à écarter. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, 8 saisons, 4 Emmy Awards et 2,3 millions de téléspectateurs en moyenne par épisode de la dernière saison.

 

Entourage-1

 

One for the money, two for the show

 

Ça se corse lorsque l’on commence à parler de mise en abyme. Entourage mêle étroitement son fond et sa forme : des acteurs jouent des personnages d’acteurs, le cameo est un procédé surexploité, le tournage prenant place à Hollywood traite de ce même Hollywood. Inspiré directement de la vie de Mark Wahlberg, il est parfois compliqué de faire la part des choses entre la réalité et la fiction. Adrian Grenier notamment représente l’image d’un acteur en tant que Vincent Chase et en tant que lui-même. Quand des indices indiquent un décalage entre les qualités d’amitiés, de partage et d’humilité de Vince et les attitudes d’Adrian les fans n’hésitent pas à se montrer choqués. Le film issu de la série a mis du temps à se mettre en route et a pris du retard sur le calendrier que s’étaient fixés Doug Ellin et Mark Wahlberg (producteur du projet). Le meilleur ami de TED a laissé échappé lors d’échanges avec des paparazzi que la cause de ce retard était due au temps que prenaient les acteurs principaux dont Adrian Grenier pour signer leur contrat insinuant qu’ils seraient un peu trop regardant sur les recettes que pourraient leur rapporter le film. Un scandale qui a forcé le jeune acteur à s’exprimer sur son compte Instagram, un message floutant davantage la frontière entre la série et la vie réelle : « Pour tous les fans d’Entourage. Je vous dois de mettre certaines choses au clair. Je prends le rôle de Vince très au sérieux dans la série et en dehors. Toutes les décisions que je prends dans ma vie personnelle ou professionnelle se font dans le principe d’amitié et de fraternité. Ce n’a jamais été et ne sera jamais une question d’argent pour moi. Je vous le promets. […] »

 

Capture d’écran 2015-06-26 à 09.37.35

 

« I’m the real Ari ! »

 

Être au cœur du système que l’on dépeint est donc une des difficultés majeures d’Entourage que ses créateurs réussissent régulièrement à déjouer habilement. Si Ari Emanuel invite à déjeuner Jeremy Piven (Ari Gold) et explique fièrement à la serveuse qu’il est le « vrai Ari Gold », certaines personnalités d’Hollywood prennent beaucoup moins bien l’image qu’ils renvoient dans la série. L’acteur Seth Rogen notamment, pourtant expert en matière d’humour et de second degré avait publiquement exprimé son agacement quant à un dialogue entre Turtle et Drama le concernant. « Yeah those guys are assholes » avait-t-il confirmé sur l’émission The Daily 10, avant d’ajouter « D’après ce que j’ai compris Doug Ellin est un con donc ce n’est pas étonnant qu’il ne m’aime pas particulièrement. ». Ce genre de petites rivalités intégrées dans la série n’empêchent pas d’être retrouvées dans la réalité.
Cela va même plus loin avec le producteur Harvey Weinstein. Grand ponte de l’industrie du cinéma il a entre autre participé à la production de Pulp Fiction, Gangs Of New York ou le Seigneur Des Anneaux. Doug Ellin a crée pour les saison 2 et 4 le personnage d’Harvey Weingard à l’image du grand producteur. Le showrunner raconte qu’un an après la sortie de l’épisode « Sundance Kids » dans lequel Harvey Weingard hurle violemment sur Kevin Connolly (Eric « E » Murphy), le vrai Harvey Weinstein avait rencontré l’acteur de « E » dans un bar et ayant détesté l’épisode lui avait demandé très sérieusement de dire à Doug Ellin qu’il était un homme mort. Doug Ellin qui en était déjà à plusieurs saisons et une grande expérience de ce monde particulier à son actif, a décidé d’écrire un nouvel épisode relatant cet événement. La bombe était étrangement désamorcée, Weinstein a aimé ce nouvel épisode. L’autocritique est un exercice difficile et le choix même du sujet d’Entourage représentait un risque en soi dans le fourmillement d’égos dont recèle Hollywood. Un défi bien géré par la production malgré quelques polémiques et un aveu d’Ellin. Il explique que les stars du sport ont très bien réagi à la série acceptant facilement de venir en guest star leur univers n’étant pas décripté en profondeur. Pour faire venir Martin Scorcese les négociations ont été beaucoup plus rudes même si on le retrouve bien dans l’épisode « Return to Queens Blvd. » de la saison 5.

 

Entourage-2

 

« I’m a feminist »

 

Hollywood est donc définitivement un monde à part, ses stars et ses personnages surpuissants exacerbant les vices du commun des mortels. L’objectif pour Doug Ellin a toujours été de décrire tout cela sans se préoccuper du politiquement correct voire même de s’y opposer volontairement. Tous les sujets les plus débattus et controversés de notre société occidentale y sont malmenés sans aucunes pincettes. Racisme, image dégradante de la femme, de l’homosexualité ou des religions, tout y est.

 

Ronda-Rousey

 

La série assume très clairement cette position « borderline » qui expose sans détours la façon de penser et de vivre de ses personnages. Les soucis arrivent quand on demande au casting de s’exprimer sur ce genre de sujet. Adrian Grenier avait ainsi fièrement affirmé au Guardian qu’il se considérait comme féministe. Mais la suite de ses propos étaient plus confus « Je suis un féministe donc s’il y avait des éléments qui n’étaient pas réels dans la série je n’en ferais pas partie. Vous devriez voir certaines filles de L.A. Entourage est particulièrement authentique. Il n’y a pas d’exagération. […] » Les réactions ont naturellement été vives du côtés de nombreuses bloggeuses et autres fans déçu(es). « La plupart de sa déclaration après ‘Je suis féministe’ est misogyne. En disant cela il voulait seulement préserver son image et celle de sa série qui a reçu tant de critiques dans sa façon négative de décrire les femmes. Sa démarche est hypocrite. » s’exclame le cœur brisé Stéphanie Conklin, l’une d’entre elles.
Des petits dégâts collatéraux qui ont peu d’impact sur l’audience de la série, c’est encore au cœur du tournage que la situation est plus sérieuse. Le plus scandaleux de tous dans ses opinions assumées est bien évidemment Ari Gold. « Ari peut être très drôle mais il y a très peu de personnes dans la réalité qui peuvent s’en sortir avec son comportement. » rappelle Jeremy Piven qui avoue avoir été discuté avec l’acteur de Lloyd, Rex Lee avant certaines scènes pour lui assurer qu’il ne pensait pas une seconde ce qu’il allait devoir lui dire tans il trouvait le contenu du script violent. La relation entre les deux acteurs semble être restée intacte même si Rex Lee a confié recevoir le même genre de blagues racistes et homophobes de la part de membres de l’équipe une fois les caméras éteintes. Doug Ellin s’est empressé de dire à quel point il était « choqué et horrifié » et a assuré qu’une discussion aurait lieu avant de reprendre le tournage en menaçant de licenciement suite à tout comportement similaire à l’avenir.

 

Entourage-3

 

Avec la politique HBO comme couverture et des fans appréciant la série dans tous ces possibles travers, Entourage n’a jamais été vraiment inquiété. Ces nombreuses et diverses attaques mettent en lumière le caractère tendancieux, attaquable et donc fragile de telles prises de position. Représentatif de la recherche constante de buzz et d’argent, Leonard Taylor, ancien garde du corps et membre de « l’entourage » original de Mark Wahlberg a reproché le manque de diversité raciale dans la série regrettant ne pas avoir eu de personnage crée à son image. Doug Ellin semble avoir compris depuis le début que tout ceci serait le prix à payer pour extraire un paysage non manichéen dont l’esprit perdure dans un film 5 ans après et des saisons qui pourront se revoir encore longtemps.

Entourage-4

Dans le même genre