Sampha, le chanteur préféré de vos chanteurs préférés

Il y a quelques mois nous avons eu l’honneur de rencontrer Sampha, chanteur anglais plus connu pour ses collaborations avec Jessie Ware, SBTRKT, Solange, Frank Ocean, Drake (avec l’exellent titre « Too Much ») ou encore Kanye West. Oscillent entre scène électro british et mainstrem américain, l’artiste à la voix suave et envoutante aura pris tout son temps afin de nous offrir son premier album « Process ».

Sampha : Si je devais me décrire en tant qu’enfant, je dirais que j’étais plutôt heureux. J’ai grandi avec plusieurs frères donc…4 grands frères d’ailleurs. J’étais donc le plus jeune et aussi loin que je me souvienne j’adorais danser. J’étais un enfant plein d’énergie et j’adorais la musique. Je jouais du piano et je mangeais probablement des trucs pas très sains pour un gosse de cet âge. Je ne saurai dire quand j’ai arrêté d’être un enfant car je me considère toujours comme tel.

Je suis originaire de Morden, une ville située dans le sud ouest de Londres. Ce qui est bien c’est que la ville est assez proche de la capitale, je pouvais donc y faire des allers-retours très facilement. Morden, c’était un endroit très calme et sans danger. Cela m’a sans doute donné un sens de plénitude et une habilité à prendre du recul sur les choses…énormément même. Grandir en étant le cadet vous rend fatalement solitaire, d’une certaine façon. J’ai donc eu pas mal de temps de m’imaginer énormément de choses.

Mon père rapportait très souvent des disques en rentrant du travail, puis il les jouaient à la maison. Je pense que cela a été très important dans ma construction car un lien spécial s’est crée entre mon père et moi. Il m’a initié à la musique classique car autrement je n’aurai pas été attiré par ce genre musical étant enfant, même s’il s’agissait des morceaux les plus populaires.
Au delà de la musique, il y a avait aussi la diversité de style musical qu’il rapportait à chaque fois : de la musique africaine, de la pop et même ces chansons interprétées par des boys band comme A1.
On écoutait aussi bien du Pavarotti, du Céline Dion que du Oumou Sangaré ou du Salif Keïta. Je n’étais pas forcément demandeur, au départ je subissais plus qu’autre chose. Il se trouve qu’il y avait tout le temps de la musique à la maison et si ce n’était pas mon père qui passait un disque, et bien c’était mes frères. Ça venait de partout. J’étais juste ce petit garçon entouré par des disques. Il y en avait partout. Petit à petit je me suis construit une oreille musicale. Mes frères avaient tellement de goûts variés que cela a ouvert mon esprit. Cela a été décisif dans mon parcours.

« Kora Sings », c’est un processus de création complètement fracturé. On faisait un boeuf et c’est comme ça que le squelette du morceau s’est fait.

 

sampha-yard-3

Sur cet album « Process » il y a un titre inspiré de musiques traditionnelles africaines. C’est quelque chose que j’écoutais étant gamin. Mon père en amenait à la maison mais comme du fait de ma jeunesse je n’ai pas vraiment « cliqué » mais cela a changé à la fin de mon adolescence. Écouter Oumou Sangaré a vraiment touché quelque chose au plus profond de moi pour être totalement honnête. Il y avait quelque chose de vraiment puissant dans sa manière de chanter, les émotions qu’elles véhiculait même si je ne comprenais pas ce qu’elle racontait. Je ne pourrais vous expliquer l’impact que sa musique a eu sur moi, c’est même ça le plus dingue. Sa musique m’a eu, je ne sais pas comment l’expliquer…c’est très profond. Je pouvais ressentir ce dont elle parlait et j’ai vraiment été choqué lorsque j’ai lu les traductions de ses morceaux. Cela m’a coupé le souffle : les répercussions de la polygamie, ce que les femmes africaines endurent et l’adversité à laquelle elle a dû faire face. C’est comme si vous pouviez réellement entendre la douleur dans sa voix…La façon dont Oumou chante, la profondeur de ses textes, le ton de sa voix, celui des voix de fond, la façon dont les pistes vocales s’emboitent les unes sur les autres… J’ai vécu son album « Worotan » comme une expérience sonore bien sûr, mais surtout visuelle.
Au départ je voulais vraiment enregistrer une grande quantité de sons et d’instruments, c’était plutôt une expérimentation pour voir où cela me mènerait. J’ai aussi voulu, d’une certaine manière, mettre en lumière la musique avec laquelle j’avais grandi. « Kora Sings », c’est un processus de création complètement fracturé. On faisait un boeuf et c’est comme ça que le squelette du morceau s’est fait. Puis, on a construit autour de cette base et cela nous a pris entre deux et trois heures pour finaliser le morceau. Est ce que c’est un sorte d’hommage à ce que mon père avait l’habitude d’écouter quand j’étais petit ? Je n’emploierai pas le terme « hommage » car au même titre qu’un morceau de Stevie Wonder ou n’importe quel autre artiste d’ailleurs, si je perçois une sonorité qui me parle et que je l’utilise je préfère dire que c’est une inspiration car je souhaite me concentrer que sur la valeur musicale de l’instrument. Pour ce qui est du titre, effectivement, j’ai ressenti la connexion originaire de l’Afrique de l’Ouest. Peut-être faudrait-il y voir un hommage…je ne sais pas. Ce qui est sûr c’est que les paroles, elles, sont un hommage à ma mère.

À quel niveau ma famille a t-elle influencé cet album ? Je dirai énormément. Plus précisément mes frères car je voulais chanter des morceaux qui me feraient sentir proche d’eux. Quand j’ai écris cet album je me suis immédiatement dit que c’était quelque chose qu’il fallait que je fasse. C’était un besoin. Chaque membre de la famille m’a influencé de tellement de manières différentes : mes frères, en m’entourant de toutes ces musiques et mon père en apportant un piano à la maison…
Ils m’ont tous encouragé à suivre mon coeur et faire ce que j’aimais. Alors moi arrivant à un niveau où je chante avec Drake, Kanye West, Jessie Ware, etc. en plus de sortir un album…cela les rend tellement fiers. Tous ces personnes cités, leurs ont donné l’impression que je faisais les choses de la bonne façon. Ils aiment le fait que je fasse quelque chose que j’adore et qu’en plus cela fonctionne. Tous mes frères font de la musique mais aucun ne travaille dans l’industrie musicale ou n’en a fait sa profession.

Des années plus tard j’utilisais le même schéma sur le titre « Saint Pablo » avec Kanye West.

 

sampha-yard-2

J’ai commencé à jouer d’un instruments à l’âge de 3 ans avec le piano. Quant à l’écriture, je crois que je devais avoir 11 ans quand j’ai écris ma première chanson digne de ce nom. J’avais noté les paroles sur différents bouts de papier et c’est là que je me suis dit que le texte était assez bon pour être chanté à des personnes. Est ce que je me rappelle des paroles ? En fait oui. C’était une chanson où je me posais beaucoup de questions sur les choses : est ce que Dieu existe, pourquoi certaines choses se produisent et d’autres non…La démarche était plutôt simple finalement. Des années plus tard j’utilisais le même schéma sur le titre « Saint Pablo » avec Kanye West.
Se poser des questions…j’ai le sentiment d’être en quête perpétuelle. À la recherche de directions, de spiritualité… Je suis à une période de mon existence où je souhaite comprendre les choses, savoir pourquoi certaines choses se produisent. Tout ce qu’on nous enseigne durant notre scolarité…aujourd’hui je veux apprendre mais à ma façon. Au risque de découvrir que le cheminement personnel est un non-sens.

Oui, je suis timide. Je n’ai aucune honte à l’admettre. Lorsque je travaille avec d’autres artistes, quels qu’ils soient, où que je sois, je reste moi-même. Je n’essaie pas de forcer les choses et j’essaie de garder une éthique de travail identique à celle que j’ai en travaillant seul ou avec un ami. Je ne saurai faire autrement. Je tente de ne pas trop réfléchir à l’artiste qui est en face de moi et étant quelqu’un qui choisi ses mots, je pense que ma timidité est un atout si je me positionne en tant qu’auteur. Enfin, je pense…je ne suis pas sûr en fait. Parfois j’ai l’impression que je voudrai être plus ouvert, mais être réservé, ce n’est pas quelque chose que je fais exprès. De temps à autres, m’exposer me rend mal à l’aise. Sûrement que le mot est trop fort mais dans ma tête je me dis « je suis en train de chanter quelque chose qu’un tas de gens va écouter et critiquer », mais le plus souvent je sais que je me monte la tête en pensant comme ça. Toute cette agressivité n’est pas réelle. J’aime à penser que ma musique parlera pour moi et reléguera ma personne au second plan. Je n’ai pas de réelles raisons d’être aussi discret… ce n’est pas quelque chose auquel réfléchi, c’est vraiment ma personnalité. Je trouve naturellement difficile de laisser les gens écouter mes pensées les plus profondes comme avec les réseaux sociaux par exemple…

Pour moi il y a énormément d’endroits qui peuvent vous permettre de trouver des personnes qui réfléchissent comme vous, qui ont les mêmes centres d’intérêts que vous… Londres n’est pas forcément le seul endroit. Même si la multitude d’opportunités offertes aux gens pour s’exprimer se fait la part belle ici, il y a d’autres endroits qui remplissent aussi ces critères. Grandir à Londres m’a forcément aidé au niveau musical mais c’est difficile pour moi d’en parler objectivement car c’est chez moi. Il faudrait que je quitte la ville pendant un bon bout de temps pour réaliser à quel point cette ville m’influence. Londres c’est une concentration de personnes d’horizons différents, il y a tellement de styles musicaux différents. Pour « Process » j’ai principalement travaillé sur Londres mais j’ai aussi passé pas mal de temps en Norvège. Là-bas, il y a un studio tout à fait particulier qui s’appelle Ocean Sound Recordings, situé sur l’île de Giske. C’est un endroit vraiment reculé où le paysage montagneux qui vous entoure est magnifique. Vous pouvez vous y échapper et vous concentrer sur votre musique pendant très longtemps.

Si je peux m’énerver ? Oui, enfin…pour moi c’est de la colère mais ceux qui l’ont vécu n’ont pas remarqué que j’étais sur les nerfs !

 

sampha-yard-6

Comment je décrirais ma musique ? C’est un exercice difficile pour moi… mais je dirai que c’est électronique, acoustique… voire même quelque chose de vocal comme la soul, ou la façon dont vous appelez ça. J’imagine que ma musique est mieux décrite par les gens qui l’écoute. Concernant l’album, à mon sens il s’agit d’un cliché photo de moi-même à une période définie.
Il y a là certains types d’émotions, mes combats et mes questionnements, il y a aussi de la colère car je compose avec l’adversité. Si je peux m’énerver ? Oui, enfin…pour moi c’est de la colère mais ceux qui l’ont vécu n’ont pas remarqué que j’étais sur les nerfs ! C’est peut-être aussi dû au fait que j’exprime ce sentiment d’une façon différente de ce qui se fait habituellement.
Au final, cet album a été très thérapeutique… je sais qu’on tombe en plein cliché là. « Process » c’est moi, traversant une période difficile et la musique était une manière pour moi de m’exprimer et il y a beaucoup de pensées derrière le projet. Que ce soit dans la production et ou l’esthétique sonore, j’ai essayé d’apporter quelque chose de visuel à travers la musique. J’ai voulu matérialiser mes émotions même si parfois, je me suis senti mal à l’aise et dans un état de chaos. C’est un album que je considère comme une sculpture.

Comment me suis-je rendu compte que j’étais prêt à faire un album ? Je pense que cela s’est imposé simplement il y a deux ans. J’étais prêt parce que je l’ai senti, non pas parce que quelqu’un m’a dit que je l’étais. Être un chanteur et collaborer avec des artistes, les gens ont tendance à croire que l’étape suivante est automatiquement l’album. Comme s’il y avait un schéma prédéfini, mais moi je n’étais pas à l’aise jusqu’à ce je me sente vraiment bien, en confiance et c’est aussi pour ça que mon album est un reflet de ma personne. Ma voix est mise en avant, elle est claire et un peu plus direct. Je pense que j’ai eu une sorte d’épiphanie quant à cet album. J’ai réalisé que je pouvais faire un projet…voire une oeuvre. Aujourd’hui, la musique est consommé différemment, mais j’ai souhaité le faire de cette façon car c’est avec des oeuvres que j’ai grandi et que je me suis forgé une culture musicale.
J’ai donc pris du temps pour cet album, et même si je ne suis pas quelqu’un qui sort des morceaux fréquemment, je sais qu’il y a des gens qui ont attendu pour ce type de projet. Je ne savais ni combien ni qui ces personnes étaient mais c’est comme ça que je voulais procéder. Un projet entier, qui se tient et qui soit cohérent. Tout ce temps je m’étais conditionné pour ce moment précis. Maintenant que « Process » est sorti, j’ai retrouvé une liberté à sortir d’autres morceaux, d’autres collaborations.

La scène Grime de Londres a été le centre d’attention du monde entier grâce à Skepta, Stormzy et les autres.

 

sampha-yard-1

Vous mentionniez Little Simz, Lapsley ou encore Denai Moore comme exemple et le fait qu’elles soient capables d’écrire des morceaux aussi profonds aussi jeunes. Sans doutes moi aussi ai-je écris des morceaux aussi puissants à leur âges…À n’importe quel moment de la vie, que ce soit 22 ou 23 ans, vous vivez des choses, beaucoup de choses. Il y a énormément de jeunes qui vont traverser des épreuves que des quarantenaires n’auront jamais vécu. Peut-on dire que ce sont juste des expériences différentes qui sont considérées comme plus profondes ? Personnellement j’ai vécu des choses que j’ai exprimé durant cette époque. Même un enfant de 4 ans peut exprimer ses pensées…le tout c’est d’avoir les bons instruments pour pouvoir exprimer ces choses là. Les humains sont complexes et c’est déjà quelque chose de profond. Tu peux avoir dit quelque chose de profond à 23 ans mais qui, alors, ne te paraissait pas comme tel puis redécouvrir ces paroles des années plus tard et te dire que ça l’était. Il y a des choses qui, à l’âge de 16 ans, sont intellectualisés mais si tu les vivaient aujourd’hui tu te dirais que cela n’en vaut pas la peine. Pourquoi ? Parce que ton cerveau avec le temps, a appris à en faire l’impasse.
Tout cela n’est qu’un moyen d’expression. Les gens s’expriment, point.

 

Comment j’explique la connexion Drake ou Asap Rocky avec Skepta ?
De ce que j’ai appris ou de ce que j’ai perçu, Londres a toujours été un lieu où les gens ont eu une liberté de créer et être poussés pour ça, tandis que cela prendrait un peu plus de temps ailleurs. J’imagine que c’est pour cela que les américains viennent sur Londres d’abord avant de se propager autour en Europe. Dans le cas ci dessus, la scène Grime de Londres a été le centre d’attention du monde entier grâce à Skepta, Stormzy et les autres. C’est quelque chose de bien pour la ville et même excellent parce que cette scène a toujours essayé de rester vraie à 100%. Ses artistes n’ont pas tenté de se conformer à un moule pour vendre plus ou pour être connus, et maintenant le style se répand partout. C’est toujours agréable quand les gens sont acceptés car ils ne se sont pas fourvoyés et c’est une bonne philosophie à transmettre, la façon dont ils se comportent pour leur ville. Ils sont restés vrais envers la musique qu’ils aiment.
Selon moi, lorsque vous avez de très fortes convictions cela se ressent et attire les gens vers vous. Pour moi, c’est exactement ce qui est en train de se passer avec le Grime.

sampha-yard-7

Dans le même genre