Sneazzy : « J’ai toujours su que ça marcherait pour 1995 »

Il y a quelques heures sortait le premier album solo de Sneazzy West. À un moment charnière de sa carrière, le rappeur parisien est revenu sur son succès avec 1995 avec quelques années en plus au compteur et beaucoup de hauteur. Entre l’approbation maternelle, sa rencontre avec DJ Lo’ le cousin de son amoureuse d’enfance, l’imbroglio du string et les Tony Montana en herbe qui ont essayé de l’escroquer ; entretien avec Sneazzy West, l’artiste que beaucoup aiment détester.

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À quel moment tu as pris conscience que le rap allait devenir ta principale activité ? Comment tu as vendu ça à ta mère ?

Quand avec 1995, on a commencé à vraiment tourner, j’ai dit à ma mère : « Je vais arrêter les cours. Je gagne de l’argent, je peux t’aider aussi ». Ca s’est fait comme ça. Quand elle a vu que ça marchait, qu’elle a vu nos clips à la télé, qu’elle nous a vu en promo, elle s’est dit que ça avait l’air sérieux. Elle m’a toujours poussé dans ce que je voulais faire. Quand je voulais être footballeur, parce que c’est ça que je voulais faire quand j’étais petit, elle me soutenait aussi.

Elle a saisi que tu n’allais faire que ça maintenant ?

Oui, ça fait longtemps, il serait temps quand même (rires, ndlr) ! Enfin, « je vais faire que ça », ce n’est pas complètement vrai. Je compte entreprendre plein d’autres choses, du cinéma… Je vais essayer en tout cas. Il y a des projets qui arrivent, je vais faire de la sape. Je ne vais pas m’arrêter qu’au rap. Ca me ferait trop chier de m’arrêter ça.

Le fait que tu n’ais pas un parcours classique, que tu ne passes pas de diplômes, que tu n’ais pas un travail classique, elle l’accepte ?

Elle l’a accepté totalement dans le sens où on avait aussi des problèmes d’argent. Donc quand tu peux subvenir aux besoins de la famille, ça fait plaisir. Et quand tu peux le faire au quadruple, ça fait encore plus plaisir. J’aide aussi la famille au Maroc donc c’est un tout qui fait qu’elle voit que j’assume mes choix et que je fais en sorte d’assumer les autres aussi. Elle a compris ça et elle ne m’a jamais demandé de retourner à la fac ou autre. Donc tout va bien, que Dieu préserve cette situation.

Et sa vision du rap ?

Dès le début je lui ai dit que je ne ferai pas que ça. Je lui ai dit que j’allais investir dans plein de trucs. Je lui ai montré que je n’étais pas un « teubé » qui faisait n’importe quoi avec son argent. Peut-être qu’au début c’était un peu plus compliqué, elle avait du mal à voir le bout du tunnel. C’était des petits concerts dans des endroits inconnus, mais une fois que c’était bien parti elle a compris. Je lui disais que j’allais passer au Grand Journal, des choses comme ça donc elle l’a accepté et tout va bien. Après pour l’instant les textes, les clips, on essaye d’esquiver. Mais mon dernier clip elle l’a kiffé de ouf, celui-là je l’ai montré, parce que je savais que ça passerait. Le prochain… on verra (rires).

Là tu es à moment un peu charnière. L’album peut fonctionner, comme ça ne peut ne pas prendre.

Même avec 1995, personnellement je pense qu’on n’est jamais sûrs de rien. Du jour au lendemain, on peut nous dire : « Non ben on vous a oublié les mecs, salut. » C’est quelque chose qui ne m’effraie pas, j’ai 23 ans, il y a des mecs qui ont « céper » à 40 ans. Je n’ai pas la peur du lendemain. Je ne suis pas dans ce truc-là, je suis plutôt vachement optimiste. Si ça ne marche pas demain, ça marchera après-demain. Tant que j’ai la niaque, tant que j’ai l’énergie pour le faire, je le ferai. Après s’il faut gagner sa vie autrement je le ferai aussi. Je serai bien plus content si ça marche bien sûr mais je ne raisonne pas en me disant « Putain si ça ne marche pas comment je vais faire ? ».

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Le rap ça a commencé comment finalement ?

Ça a commencé au lycée. Ecouter du rap ça a commencé beaucoup plus tôt, mais à en faire ça a commencé au lycée. C’était en seconde avec Alpha Wann et Nekfeu qui étaient dans mon lycée. Nekfeu je le connaissais avant de faire du rap et Alpha au moment où je l’ai rencontré il nous a amené dans son délire parce que lui il était déjà dedans. Je ne sais pas si c’est un parcours classique, mais au lycée ça commençait à rapper. C’est surtout Alpha qui m’a poussé. On avait passé un été sur MSN à l’époque, il m’envoyait des prods et il me disait « Vas-y écris sur ça. » Il me faisait découvrir plein de trucs, il a une énorme culture musicale, on l’appelle Wikipedia, parfois même Wikipédé quand il nous casse la tête. Donc moi je lui balançais des textes sur MSN. C’était bien n’importe quoi et cet enfoiré me disait « C’est trop bien, c’est trop chaud ! ». Plus tard j’ai compris que le mec voulait juste nous chauffer pour faire un groupe en fait. Il a été bon d’un côté, pas très sincère au début mais au moins ça l’a fait. Il nous a présenté Areno Jaz qui « rappotait » alors que Nekfeu rappait déjà avec le S-Crew. Il nous avait fait écouter des trucs à l’époque, c’était trop drôle, c’était n’importe quoi. Il pourrait te le dire lui-même, on se foutait tellement de sa gueule. Et donc on a quand même commencé à rapper ensemble. Pour Hologram Lo, elle est folle l’histoire de Dj Lo, c’est le cousin de mon amoureuse de maternelle. J’habitais dans le XIVème, j’étais amoureux de cette fille qui s’appelait Lola, vraiment j’étais amoureux de ouf parfois elle venait à la maison, j’allais chez elle, nos mères se connaissaient. Je l’ai perdu de vue en 5ème et quand je suis revenu dans le XIVème pour le lycée, on s’est croisés dans les couloirs. Je me suis dit « Mais je la connais cette meuf ». Je me rends compte que c’est elle, je l’appelle, on se reparle et on est redevenus potes et au moment où on a commencé à faire du rap elle m’a dit : « Mais mon cousin il fait des instrus je vais vous le présenter ! » Et c’était Hologram Lo. Il faisait des prod à chier, c’était tellement nul. Il faisait du dirty bizarre. On a commencé à travailler ensemble et on est devenus des reufs.

Vous êtes tous très potes, pourtant beaucoup vous ont comparé à un boysband. Comment tu prends tout ça ?

Au début tu te prends les critiques, t’es pas prêt. Tu te dis que les gens sont vraiment méchants. Et au bout d’un moment ça ne te touche même plus. Tous les jours il y a des gens qui cassent les couilles parce qu’il y a des ciste-ra. Dire qu’on est des Benetton c’est juste raciste. Le racisme ça va dans tous les sens. Donc tu as juste à dire : « Vous êtes raciste monsieur ».

Comment tu as encaissé cette violence virtuelle ?

La violence tu te la prends deux/trois semaines. Au début tu lis tous les commentaires, parce que tu n’es pas prêt, tu ne sais pas comment ça marche. Tu te lances dans le truc, tu fais deux millions de vues, tu descends dans les commentaires et tu te dis « waouh ». Après tu encaisses, tu comprends que ça va être ça tout le temps. Tu te rends compte que ce sont des Guy Lux qui ont treize piges et qui sont derrière leur ordi toute la journée.

On prend du recul, je me dis que je fais de la musique. Je sors dans la rue je ne me prends pas la tête, lui il attend que je mette un son pour mettre son commentaire méchant, qu’est-ce que ça peut me faire ? On a eu la validation de tous les anciens qu’on écoutait, tous sans exception. Tout ceux qu’on valide, ils nous ont validés. Que ce soit Booba, NTM, IAM, La Cliqua, Danny Dan, tout le monde. Qu’est ce que j’en ai à foutre d’un gosse de 14 piges qui me dit « Sneazzy t’es un pédé tu portes des strings ».

Comment expliques-tu que ça se cristallise plus sur toi que sur le reste du groupe ?

En même temps j’en ai joué de ça. Dès que ça a commencé à partir en couille, je n’ai jamais été un mec qui fermait sa gueule. Donc ces gens-là je leur répondais par des tweets, j’ai toujours été dans l’ironie. Comme par exemple pour l’affaire du « string ». C’était pour la sortie du clip « La Suite ». Syrine Boulanouar, le real, me dit avant de le sortir qu’il y a un truc chelou sur les images. Il me montre, je me pose, je me dis « Bon c’est quoi ce que-tru ? De la transpiration?» C’était « chelou », ça faisait vraiment un string. Syrine me dit qu’il y a la preuve sur d’autres rushs que c’est la marque du t-shirt ou je ne sais plus. Mais je lui ai dit « Jamais on montre d’autres rushs pour prouver quoi que ce soit. » Pensez que c’est un string que je m’en foutais et même si c’était vraiment un string… Il y a quoi ? Je porte un string et je fais du rap c’est quoi ton problème ? Voilà je m’en fous, on n’est pas là pour juger ce genre de choses. On est là pour juger le « peura ». C’est tout. Tous ceux qui parlent je plie leurs emcee en freestyle. On s’en fout, je te jure on s’en fout tellement.

Cette infantilité dans les commentaires c’est aussi elle qui a permis à 1995 de vivre, parce que vous avez été soutenu à fond par un public très jeune.

Ouais c’était très jeune, du 16-20 ans au début.

Quand vous réfléchissez au groupe vous vous dites qu’ils vont grandir avec vous et on va les amener où on veut aller ; ou est-ce que vous vous dites ils vont nous lâcher à un moment et ils vont commencer à écouter d’autres gars.

Je pense que c’est plutôt la deuxième solution, l’idée de grandir avec nous je n’y crois pas trop. Ca marchait peut-être à l’ancienne mais aujourd’hui il y a tellement de trucs qu’ils te lâchent. Dès qu’il y a un nouveau truc qui sort, ils comparent. Tout ça on ne peut pas le calculer. À partir du moment où tu fais de la bonne musique, il y aura des gens qui nous écouteront et qui la valideront. Ça nous permettra de tourner. Si demain on doit faire des plus petites salles, on fera des plus petites salles, c’est la vie. On n’est pas dans le calcul de qui va nous écouter, comment faire pour que l’on touche la cible que l’on veut toucher. Ce sont des trucs de maisons de disque, nous on est beaucoup plus freestyle. Sur un album on va faire les clips qu’on veut faire, si les gens ne sont pas contents, tant pis. On est 60 millions en France, il y en a bien qui vont kiffer. Il faut relativiser, si c’est un putain de succès tant mieux faisons tous la fête ensemble, si c’est moins le cas c’est comme ça. Il y a plus grave dans le monde qu’1995 ou que Sneazzy.

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Parmi les architectes d’1995 tu as Antoine, Fonky Flav, qui lui a vraiment pensé 1995…

Un peu trop (rires) ! Non je plaisante, c’est parce qu’on s’amuse à le tailler tout le temps sur ça. Sur le fait que ce soit un businessman.

Justement comment tu décris ce businessman ?

Je le décris comme quelqu’un à qui l’on doit pas mal de trucs. Quand ça a commencé à marcher, c’est le seul qui s’est motivé à s’acheter un téléphone avec un abonnement pour recevoir des mails en temps réel et pas attendre 6 jours avant de pouvoir y répondre. Il a pris tous les rendez-vous pour qu’on signe, il a compris qu’il nous fallait un avocat, il l’a engagé. Il est plus vieux que nous donc il était direct dans le délire. Il a fait beaucoup d’années d’études, il travaillait déjà. Quand c’est arrivé il était prêt. Il était content même. Il nous a dit : « Ca vous dérange si je gère le truc ? » On lui à répondu « Bien sûr, laisse nous rapper, on s’en fout du reste. »

C’est vrai lors d’une ancienne interview, au tout début, le seul qui avait un portable c’était Antoine.

Ouais nous c’était re-du. Mais c’est pour ça qu’il s’est occupé de tout c’est juste qu’il avait un téléphone. S’il n’en avait pas eu on n’aurait jamais percé (rires).

On rigole mais au début c’était vraiment ça. Aujourd’hui on s’intéresse beaucoup plus à ce genre de choses parce que maintenant on a tous notre label en dehors d’1995. Je pense que sur le prochain album on sera tous plus impliqués.

D’ailleurs cette pause d’1995 elle nous a fait du bien. On a tous pris en maturité, maintenant on comprend des choses qu’on ne comprenait pas avant. Avant c’était lui qui assumait tout, maintenant on va être 6 face à l’industrie du disque.

Dans « Bouffon du roi », je me souviens d’un passage qui faisait allusion au moment où 1995 a commencé à prendre du poids, on cherchait à vous prendre de l’oseille.

Alors ça, ce n’est est pas fini… On n’est même pas encore sortis de l’auberge. Quand tu vois le cliché des petits mecs qui commencent à réussir et d’un coup tout le monde essaye de leur prendre de l’argent, de les arnaquer. Ça pour le coup on l’a vraiment vécu. On pourrait faire un film dessus. C’était compliqué au début, c’était physique même. Tu devais faire de la musique, des concerts, tu revenais à Paris, tu avais chaud. Tu croisais des gens dans les événements rap c’était relou, tu savais que tu étais en embrouille avec certaines personnes. On l’a assumé plus que pas mal de personnes auraient pu le faire et on ne s’en vante pas. On ne s’en vantera jamais parce que c’est de la merde au final. Tu vois que les mecs ce ne sont que des bluffeurs. Il y en a beaucoup trop dans ce game, beaucoup de grandes gueules et pour des petits sous. C’est ça qui est horrible. Au début tu te dis que le mec c’est Tony Montana, il peut nous liquider. Et après tu te rends compte qu’en fait non il ne va pas faire ça, c’est juste un rigolo. Et des gars comme ça on en a eu des dizaines, des menaces, des appels, ça vient en bas de chez toi. Mais c’est que du bluff, on est toujours là et on a assumé comme des hommes, on s’en est sortis.

Est-ce qu’il y a un moment où c’est allé trop loin ?

Je ne raconterai pas les histoires mais oui il y a eu des moments où c’est allé trop loin. Avec le recul, je sais qu’aujourd’hui ça ne se passerait pas comme ça mais on était jeunes. Mais on n’a jamais rien eu de grave dans le sens où ce sont quand même des gens qui parlent beaucoup. Encore heureux, j’en sui content de ne pas être tombé sur des vrais, sur des baleines. Des mecs qui ne parlent pas mais qui t’avalent.

As-tu une image de consécration avec 1995 ?

C’est sûr que j’en ai une. Le Bataclan, le premier, complet en une semaine. Ils ont rajouté des places, on était 1800, 1900. C’était fou, je me suis dit « waouh ». C’était à Paris, on avait déjà fait une vingtaine de dates en province, plutôt des belles salles et tout était complet. Tu arrives à Paname c’est un peu la consécration de ce mois de travail. Les gens connaissent tes sons par cœur alors que c’était juste un EP. Il n’y avait rien de bien sérieux, le projet était mixé par des doigts de pieds. Ce moment-là, je me rappelle que ça m’avait vraiment touché. Il y a aussi les premières personnes qui te reconnaissent dans la rue. Tu te dis que c’est incroyable, ils veulent prendre des photos. Les séances de dédicaces c’était énorme, il y avait tellement de monde. Et tout ça, ça te redonne une pêche incroyable, tu te dis c’est bon il faut tout donner.

Quand tu remplis une salle parisienne qui a un nom ça fait plaisir. À chaque stade ça fait cet effet. Après on a rempli le Zénith avec Method Man, après on a eu l’Olympia, le Palais des Sports. Ça fait toujours plaisir, tu ne peux pas te lasser.

Il y a autre chose qui va sûrement énerver les gens mais j’ai toujours su que ça marcherait. Je te jure, je l’ai toujours su. Dès que j’ai commencé et je ne sais pas pourquoi. Je ne sais pas si c’est parce que je le sentais ou si c’est parce qu’il valait mieux que je me dise ça. Mais ce qui est sûr c’est que je me le suis toujours dit.

Ce truc de buzz un peu irrésistible que vous avez eu, il va être difficile à retrouver parce qu’il n’y a plus l’effet de surprise.

On n’est plus des nouveaux. Ca va être beaucoup de travail. Déjà je pense que les solo de Nekfeu, Alpha et « oim » ça va dynamiser le truc. On ne compte pas que sur ça, mais quand même, ça peut redonner un « boost ». Et après avec 1995 on n’a pas de recettes précises, ça va être au feeling, on verra. Mais moi j’y crois et comme je l’ai dit, on est jeunes.

Pour conclure sur ton album, tu y crois aussi ?

J’y crois à fond, je suis fier de mon album, je l’écoute sans arrêt. Je suis trop content.

Mais quand je te dis que je savais que ça allait marcher, on n’a pas vendus des milliards et on n’a pas remplis Bercy. On est encore loin du compte. Je suis un éternel insatisfait, si demain on fait Bercy, je te dirai qu’on n’a pas fait le Stade de France. Je ne peux pas me satisfaire d’avoir réussi pendant trois ans et ensuite de me reposer sur mes lauriers. Je ne suis personne pour dire si mon album va marcher ou pas. J’espère qu’il va marcher, j’y crois en tout cas. Il y a ce truc aussi de « Je suis tout seul ». Non seulement je suis tout seul et en plus je suis sûr de moi à fond, c’est lourd. Donc j’y vais tranquille, je sais que ça peut marcher pour moi de ouf et si ça marche pas sur cet album ça marchera sur un autre. Ça par contre je le jure. Ça marchera de toute façon, le premier album c’est ma carte d’identité perso. On avait une carte d’identité à 6 et on nous a dit « Bon les gars elle est plus valable revenez plus tard ». Donc on s’est dit « Bon ben on va en faire une chacun ». Je suis satisfait de mon album comme, j’étais satisfait de tous les projets qu’on a fait avant.

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