Tim Dup, porte-voix d’une génération malgré lui

« Il y a un truc jusqu’au-boutiste dans le pain au raisin. Personne n’aime ça. » Tim Dup aime décrypter l’ordinaire, scruter les petits riens. C’est tout le sel de son premier album, Mélancolie Heureuse. Sa voix souffle, scande ou s’écorche, poétise le banal et déboutonne les émotions. Rejeton d’une génération tout à la fois composite, instinctive et désabusée, le chanteur de 22 ans mélange les influences, questionne son existence et croit en demain. Dans un bar du 17ème où il a ses habitudes, il s’est raconté la bouche pleine de croissant.

Pour mieux comprendre qui tu es, j’aimerais d’abord que tu me parles de ton enfance…

J’ai grandi à Rambouillet. Une ville de banlieue parisienne assez bourgeoise, un peu campagne. Il y avait ce truc du grand air, de l’espace, donc j’ai été assez heureux d’y grandir puisque j’étais un peu hyperactif. J’ai reçu une éducation plutôt catho et depuis, j’en suis sorti. Tout a corrélé avec le fait de venir vivre à Paris, il y a eu une espèce d’ouverture.
Mes parents avaient à cœur de nous ouvrir, avec mes frères et sœurs, à la culture et à la musique. J’ai eu la chance de faire des expos, d’aller voir des concerts, d’écouter beaucoup de musique.

Du coup, quand tu as voulu faire de la musique, ils n’ont pas cherché à t’en dissuader ?

En fait, c’est eux qui nous ont poussés à faire de la musique, en tout cas à jouer d’un instrument. Mon père avait ce côté un peu frustré, car il n’avait jamais pu le faire. Il m’a fait découvrir la musique de façon hyper brassée, beaucoup de pop anglo-saxonne (Supertramp, les Beatles, Bob Dylan, Jack Johnson…) et pas mal de chanson française. Ensuite, je me suis fait ma propre culture musicale. J’ai eu des groupes de musique pop-rock avec des potes au collège, puis j’ai fait partie d’un groupe de reggae, j’ai découvert l’electro et le hip hop. J’ai grandi avec cette idée de mélanger un peu tous les styles. Je pense que c’est propre à notre génération. On a écouté la musique comme ça, de façon aléatoire, avec les iPods. Il y a cette idée de playlist et de culture hyper hétéroclite.

Quelle a été ta première émotion musicale ?

Ça a été, je pense, lorsque j’ai compris que je pouvais créer des choses avec un instrument, le piano. J’apprenais des petites mélodies toutes pourries avec des thèmes proposés dans les bouquins et, très vite, j’ai eu envie de les déformer et donc de me les approprier, de composer, d’improviser… Ça a été ça, ma première émotion, de me dire que je pouvais en faire un truc à moi.

Mon écriture est plutôt brute et frontale, au sens où elle parle de rues, de gens… de choses très concrètes.

Je crois que tu as commencé par l’écriture, avant le chant. C’était compliqué de t’assumer en tant que chanteur quand tu étais ado ?

En fait je pense que l’écriture est venue un peu après. J’ai commencé à chanter quand j’étais petit dans des chorales. Ensuite, je me suis mis à écrire, d’abord en français, bizarrement. Dans mes groupes au collège, on chantait en anglais. C’était plus facile. Quand tu as 14 piges, tu n’oses pas trop t’assumer, donc tu ne vas pas écrire des textes en français. En plus c’était des textes un peu d’amour, pour séduire mes copines de l’époque. L’anglais était à la mode aussi à ce moment-là. C’était plus branché, plus cool.

Ta façon de chanter est très particulière, il y a de l’intensité et beaucoup de fragilité en même temps. C’est quelque chose que tu as su assimiler dès le départ ou tu as appris à apprivoiser et travailler ta voix comme un instrument ?

Oui, ça a vraiment été un développement. Au départ, lorsque je chantais mes premiers morceaux en français dans des petites salles à Paris, des bars surtout, je n’avais jamais travaillé ma voix. Elle était assez limitée, il y avait un truc très spontané, je ne recherchais pas la performance. Puis, le fait de prendre des cours de chant m’a fait prendre conscience que ma voix était un instrument en tant que tel. Ma façon de chanter a aussi été conditionnée par ma manière d’écrire, une écriture un peu fleuve avec des refrains scandés et des couplets assez longs. Forcément, quand il y a beaucoup de mots, tu les dis plus rapidement, ce qui donne une inspiration hip hop, un peu slam. Mais encore aujourd’hui, je continue de m’apprendre.

Pour le côté comédien, je ne sais pas trop, j’essaie juste d’interpréter à 120% mes chansons et de les habiter du mieux que je peux

Ta musique est très incarnée, dans ton interprétation mais aussi visuellement, puisqu’elle crée des ambiances qu’on se représente assez facilement. Finalement, ton travail s’assimile presque à celui d’un comédien et d’un metteur en scène…

Sur le côté mise en scène, carrément. Y’a ce truc un peu cinématographique, qui me vient de plusieurs endroits. D’abord, quand j’écris, je m’inspire de ce qu’il se passe autour de moi, donc il y a un côté assez immersif. Mon écriture est plutôt brute et frontale, au sens où elle parle de rues, de gens… de choses très concrètes. Même s’il y a quelques morceaux de l’album qui sont plus métaphoriques, plus poétiques. Et puis j’ai arrangé l’album avec Pavane, un pianiste qui vient de l’electro mais qui est aussi mixeur dans le cinéma. On a eu l’idée de produire des ambiances pour accentuer ce côté immersif, cinématographique. C’est aussi ce qu’on a voulu retranscrire dans les clips avec Hugo PR. Il y a cette inspiration court-métrage et cette volonté de raconter quelque chose dans l’image, que ça ne soit pas juste une illustration secondaire. Et pour le côté comédien, je ne sais pas trop, j’essaie juste d’interpréter à 120% mes chansons et de les habiter du mieux que je peux.

Tu vas peut-être trouver ma comparaison un peu poussive mais dans ta manière de raconter la banalité du quotidien, dans le spleen qui habite tes morceaux et dans le côté hypnotique de certaines de tes compositions, ton travail me fait quelque part penser à celui de PNL. C’est une référence pour toi ?

C’est marrant, c’est la première fois qu’on me dit ça. Je n’ai jamais trop écouté PNL mais c’est un projet qui me fascine. Je ne sais pas si leur projet aurait eu le même écho s’il sortait là, maintenant. Il a fait une espèce d’état des lieux de la société française à un moment donné et c’était assez concordant avec plein de choses dans le pays, qui vivait une période grise. Pour ça, PNL c’est très fort. Et le rap, plus globalement, je trouve que c’est le style qui raconte le mieux le quotidien et le monde tel que les gens le vivent. Quand tu écoutes le dernier album d’Orelsan, je trouve ça criant de vérité.

La sincérité, ça a l’air d’être quelque chose de très important pour toi. Le fait d’avoir choisi un nom de scène qui soit la simple contraction de ton nom à l’état civil [Timothée Duperray, ndlr], c’était aussi une manière de te présenter tel que tu es, de signifier que tu ne joues pas de rôle ?

Oui c’est l’idée. Dans mes chansons, je parle de moi, de ce que je vis. Je ne me sentirais pas d’incarner un personnage. Il y en a qui le font très bien, mais moi je n’y arrive pas trop. Du coup, ce que je vends ce n’est pas tellement ma gueule ou mon nom mais mes chansons, les histoires que je raconte, mes prods.

C’est un truc générationnel de questionner en permanence son existence ?

Oui je crois qu’il y a un truc comme ça. Je n’ai pas envie de me revendiquer le porte-parole d’une génération mais c’est vrai qu’il y a une espèce de morosité. Rien n’est facile, le marché du travail… Et pourtant, on s’accroche, on a envie de faire des choses qui nous plaisent. Il y a un peu ce truc là, de cul entre deux chaises.

On dit souvent que l’art se nourrit des douleurs. Tu le perçois aussi comme ça ?

Oui, moi je me sens plus performant dans l’écriture et dans l’inspiration quand je vis des choses prenantes émotionnellement. J’ai l’impression qu’il y a plus de trucs à dire, peut-être plus de profondeur. Tes sentiments sont plus exacerbés, tu as besoin de coucher ça. Les chansons ce sont des espèces de défouloirs de passions, de frustrations, de rêves…

« Une envie méchante » aborde le thème du suicide. Tu as le sentiment d’avoir des responsabilités en tant qu’artiste ?

Pas encore. J’aimerais un jour, mais aujourd’hui je n’ai pas cette culture de l’artiste engagé. Et en même temps, il faut. Ma petite voix ne sert à rien mais tu te dis qu’une petite voix + une autre… ça peut faire un écho. Il y a des choses importantes à revendiquer, pour lesquelles se battre. Mais je ne me sens pas encore avoir les épaules pour incarner ça.

Je voudrais que l’on parle de la pochette de ton album, Mélancolie Heureuse, qui est assez artistique. Je vais te donner mon interprétation et tu vas me dire si c’est ça : je te vois plongé dans l’obscurité, donc enfermé dans une certaine forme de tristesse ou de tourment, mais en même temps, tout autour de toi, il y a ces traces de peinture jaune, qui évoquent quelque chose de plus solaire, de plus lumineux, donc l’espoir.

Bah c’est une très belle analyse. Il y a cette idée de contraste, qui reprend l’idée d’oxymore de l’album. Mais, plus simplement, c’est tiré de la fin du clip « Soleil Noir », où je suis dans une fontaine, bourré. J’adore cette scène. C’est ça la mélancolie heureuse, cet état d’ivresse et de nostalgie, mais dans quelque chose de lumineux. La photo correspond très bien à l’album, entre ombre et lumière.

Tu peux me parler de ta quasi-obsession pour le paradoxe ?

Oui c’est vrai que c’est chelou. C’est symptomatique de ce que je suis, mais de ce que beaucoup de gens sont aussi. Ce qui me plaît dans le paradoxe, c’est que c’est très lié à l’idée de façade. On incarne tout le temps des rôles différents en société, selon les personnes avec lesquelles on se trouve et l’état dans lequel on est. C’est aussi le propre de la vingtaine d’être dans un truc de construction-déconstruction. Ta personnalité n’est pas encore tout à fait affirmée mais elle s’affirme dans ses paradoxes.

Il y a un morceau purement instrumental sur l’album, « Fin août ». C’était une volonté de ta part de signifier que tes compositions pouvaient aussi exister d’elles-mêmes, et de t’affirmer en tant que compositeur ?

Exactement. Sur mon premier EP il y avait déjà un morceau instrumental, et je voulais refaire ça sur l’album. D’abord parce que je kiffe la culture instrumentale, électronique. Je trouve qu’il y a un côté hyper immersif dans l’électro, tu prolonges une ambiance, l’histoire ne se raconte pas de la même façon. Ensuite, il y avait aussi ce truc de dire : je suis musicien, je suis compositeur, je ne fais pas que des textes. Et puis, sur un album, en vrai, il y a 14 chansons. C’est long, les textes prennent de la place. Je pense que ça fait du bien aussi d’avoir une pause.

C’est marrant parce que c’est vraiment une facette du métier qui sort de l’ombre aujourd’hui…

Oui, de part la culture hip hop aussi, où c’est très présent.

Tu écoutes quoi en ce moment ?

Alors, je vais te dire… [Il saisit son téléphone] Aloïse Sauvage, une meuf qui fait un genre de hip hop en français. Chaton, un mec qui fait du hip hop, entre PNL et Bob Marley. Orelsan, beaucoup. Frank Ocean. Lomepal. Et Jessie Reyez, une ricaine dingue qui fait du hip hop/r’n’b.

Photos : @samirlebabtou

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