Zed Yun Pavarotti n’avait besoin que d’une main tendue

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Pour beaucoup, Zed Yun Pavarotti est encore un fantôme dans le paysage du rap francophone. Pour d’autres, il est tout sauf transparent, et chacune de ses rares sorties est annonciatrice de quelque chose de plus grand qui ne saurait tarder à frapper le grand public. L’énigmatique rappeur suscite son lot de questions, et attire l’oeil des grands. Portrait.

Photos : @antoine_sarl

Lundi 15 octobre, au soir. Dans un bar éphémère du troisième arrondissement de Paris, Zed Yun Pavarotti chante devant une centaine de personnes qui ont toutes quelques choses en commun : leur curiosité pour un artiste qui incarne une question, et leur volonté d’en connaître la réponse. Des journalistes, des gens de la musique, des quidam. Mais aussi S2Keyz, Junior à La Prod, Le Motif et, surtout, MHD. Ambiance intimiste, lumière rouge. Vient l’instant où le rappeur joue « Septembre », son tout dernier morceau, pour la première fois en live. Dès les premières notes de l’instrumentale d’Osha, l’atmosphère change. Quand sonne le pré-refrain, le rythme s’accélère, les hochements de tête se font concrets et une poignée de son audience du soir ne retient pas son excitation.

« Deux ailes dans le dos
J’prends l’temps pour les graille
Des plumes un manteau
Car le vent éteint »

Zed Yun s’écarte du coeur de la salle pour s’installer près des siens, sur le côté. Là, la superstar de l’Afro Trap pose son avant-bras sur son épaule et se prend à faire les backs d’un refrain qu’il est heureux d’entendre pour la première fois en dehors du secret du studio. « Septembre » doit être le track qui fera exploser son talent au grand public.

L’inconnu reconnu. Zed Yun Pavarotti est un manichéen, du genre à être complètement sous-exposé mais à taper dans l’oeil de certains noms très, très établi. Le compagnon de studio d’MHD – il a signé un contrat artiste début 2018 chez Artside, maison mère du rappeur de la Cité rouge –, se retrouve à ouvrir le premier Olympia de Columbine une semaine après sa performance quasi-secrète décrite plus haut. Quatre jours après la sortie de « Septembre » sur les plateformes de streaming, c’est le Zenith d’Orelsan, à Lille, qu’il est invité à lancer – il a été convié 24 heures avant ledit show. Le 14 novembre dernier, il figure au lineup de la Soirée Sommetique, un événement organisé par le collectif d’hitmakers Le Sommet, responsables d’énormes succès d’Aya Nakamura, Booba, Damso, Niska et consorts. Vous l’aurez compris : quand la musique clivante de Zed Yun pique, elle pique très fort, tout de suite, et donne l’inlassable envie d’en écouter davantage.

Un contrat avec lui-même, signé sur la joue

Sa signature en est la meilleure illustration. Marin Mercier, son manageur actuel chez Artside, était tombé sur un audio sur YouTube, six mois avant la sortie du projet Grand Zéro de Zed début 2018. Le titre « Lexus » d’abord, puis « Le matin », qui sera clippé. « À l’époque, il était très scred, encore plus qu’aujourd’hui. La plupart des signatures récentes interviennent quand l’artiste a 500 000 vues. Là, pour te dire, ‘Le matin’ avait quoi, 2000 vues ? Mais j’avais la volonté de créer quelque chose avec lui, de prendre le projet à la base. » Marin doit néanmoins attendre la sortie de l’EP pour confirmer son intuition, et défendre une signature qui n’a rien d’évident. Une semaine après la sortie de Grand Zéro, le mariage est acté. Adel Kaddar, label manager d’Artside et, surtout, producteur d’MHD, n’a pas compris tout de suite la musique du jeune rappeur. « Il m’a fait confiance sur la signature, et on a amené Zed en studio. Et là, il a compris. »


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Une signature surprise, soudaine, qui récompense un premier projet annonciateur de quelque chose de plus grand. Grand Zéro, c’est la première pierre de la cathédrale Zed Yun, de l’oeuvre de sa vie. « C’est le chemin de croix, on commence et on va voir où l’on va. Tout part de zéro. Je me dis que rien ne m’est dû, que rien n’est naturel, qu’il faut toujours que je travaille. » Et pour se promettre de ne jamais l’oublier, il se le note à même la joue, en s’y tatouant un apice de Boèce. « En dehors de son rôle dans l’enseignement de la musique, Boèce était un philosophe mathématicien, et le premier homme à noter les chiffres modernes. Un gros, je me suis fait tatouer le tout premier zéro – un des tous premiers en tout cas. Et celui là en particulier m’a intrigué, parce qu’il n’est pas vide. C’est le seul avec une forme à l’intérieur. » Un contrat avec lui-même, pour la vie. Un pense-bête pour se rappeler qu’en définitive, on n’est jamais vraiment rien. Grand Zéro, de Ground Zero également, à savoir l’ancien emplacement des deux tours du World Trade Center. « Quelque chose de gigantesque rasé en une demi-seconde, qui devient un trou, où il ne se passe rien. Et il faut tout reconstruire, repartir de zéro. Ça me rappelle que dans tout ce que j’entreprends, je dois toujours construire des fondations solides. »

Saint-Etienne, la triste

Des fondations solides pour palier celles qu’il n’a pas forcément eues. Zed Yun vient de Saint-Etienne, cette ancienne ville minière où le ciel est bas, où la grisaille ambiante peut donner le bourdon. Une ville qui, selon l’INSEE, enregistrait un taux de 24 % de pauvreté en 2015, bien au-delà de la moyenne nationale (14 %). En gros, un quart des stéphanois vivent avec moins de 1015 euros par mois. Une ville de 170 000 habitants dans laquelle il a été baladé, au fur et à mesure des déménagements. « C’était compliqué entre mes parents. Et les murs sont vite hantés. Il fallait trouver des murs propres à chaque fois. » Il fait un peu tous les quartiers avec sa petite famille, et fini par s’installer au Sud de la ville, du côté de Solaure. « Je viens de ma maison, nous répond-il quand on lui demande ses racines. Celle avec ma mère, ma soeur, mes chats. »

Cette même « maison » qu’il s’est fait tatouer sous l’oeil droit, juste au-dessus de la pommette. « J’ai eu deux maisons, une où cela n’allait pas, où il y avait des fantômes. Et une autre très paisible, où il y avait des oiseaux. C’est l’idée de se dire qu’il faut faire ses choix, construire son foyer, cultiver son jardin. » Zed Yun Pavarotti n’est pas forcément un être jovial, mais il ne se voit pas pour autant comme quelqu’un de terne. « Je suis rabat-joie, on me le reproche souvent. » Le rappeur nous parait davantage comme triste, car réaliste, conscient. Conscient d’où il vient, conscient de ce qu’il laisse derrière lui quand il quitte la région stéphanoise pour faire carrière dans la musique. Conscient qu’il n’a plus le choix, et qu’une demi-réussite ne l’intéresse pas et ne lui permettra pas de faire un bond de classes. « Les soucis financiers, ça casse le cerveau. Ça ne permet pas de réfléchir correctement, de se structurer, ça pousse à faire des erreurs. » Aujourd’hui, son ambition est démesurée : « Tout est basé sur le fait de ne pas avoir forcément les armes qu’il faut, mais de se comporter comme si on les avait. » Être de Saint-Etienne, ville ouvrière délaissée et méprisée par sa grande soeur bourgeoise, Lyon, il en a fait une force. « Les Gones inventaient le cinéma… Quand vos pères crevaient dans les mines », brandissaient les ultras lyonnais lors d’un derby au stade Geoffroy-Guichard il y a près de 20 ans. Tout un symbole. « Je savais que ça allait être encore plus dur, qu’il fallait que je fasse quelque chose d’encore plus grand. »

« Ma signature est un exploit »

Quelque chose de plus grand que son Grand Zéro« la première pierre », que son premier projet en tant qu’artiste d’Artside viendra consolider, début 2019. Quelque chose de plus grand, dans le monde du rap francophone de la fin des années 2010, c’est quelque chose de novateur, de complètement original. Quelque chose qui lui permettra de frapper l’auditoire comme si c’était la première fois. Pour l’instant, sa recette est (presque) définissable : un flow peu articulé, quasi mumble rap, dans lequel les consonnes se devinent tout juste, où chaque mot est phonétiquement lié au suivant – qui avait compris « la CB est full » à la première écoute du refrain de « Septembre » ? –, le tout avec une voix et des intonations qui fonctionnent par vague. Tantôt le très haut, tantôt le bas. Voilà pour la forme. Le fond, par contre, parait abyssal. « Je suis conscient que ma signature est un exploit. Je n’ai jamais vu quelqu’un autour de moi d’aussi sous-exposé signé ce type de contrat dans ce type de structure. Oui, je pense que je dégage une question, et quand on sent que l’on aura jamais la réponse, ça devient intéressant. Ma musique peut-être très étrange, mais elle a tout de même un aspect assez immédiat sur lequel je travaille. Je suis très fan de pop. Tout ça crée un questionnement, une incertitude vis à vis du personnage, de la musique, des paroles. »

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« Une incertitude vis-à-vis du personnage. » Qui est vraiment Zed Yun Pavarotti ? À la vue du jeune artiste, il est vrai que l’interrogation est immédiate. Totale. Son talent interpelle, son apparence surprend, son regard torture. Qu’a-t-il vécu ? Qu’a-t-il besoin d’expier ? « J’ai peu de tatouages aujourd’hui, mais ils sont principalement sur le visage. C’est possible que ça soit plus pour les autres que pour moi. Il y en a que je regrette. Même au moment de les faire je n’étais pas encore sûr que c’était vraiment une bonne idée. C’est peut-être de l’auto-flagellation, oui. » Une manière de détourner l’attention aussi : Zed Yun est né sans main gauche. « Je n’ai rien perdu, je n’ai rien à combler. Par contre, mettre une prothèse est impératif pour moi, je ne pourrais probablement jamais vivre sans. Être trop différent tout le temps, c’est chiant. Les regards sont chiants, et ce sont des regards très particuliers, avec un peu de pitié, ce que je ne supporte pas. Ça complexifie les premiers rapports, ce qui n’est vraiment pas agréable. Des amis m’ont dit que je si j’acceptais aussi bien l’idée de me faire tatouer le visage, c’était surement parce que ça permettait de distraire l’attention finalement. Ils n’ont peut-être pas tort. »

Aujourd’hui, le stéphanois est pleinement conscient de n’avoir d’autre choix que de réussir. « Le contrat, c’est d’arriver à mettre ma mère bien, de lui acheter une petite maison, qu’elle n’ait plus trop de soucis. C’est réussir financièrement. » Les problèmes d’argent, centraux dans son existence et dans son auto-définition en tant qu’homme, devront un jour ou l’autre appartenir au passé. Il ne peut en être autrement. Les souvenirs du passage des huissiers de justice, les « monstres assermentés » qui confondent le salon de sa mère avec une brocante, finissent eux aussi par hanter les murs. Ils devront être chassés. Aussi, un jour, il devra « révéler au grand jour qu’en France, les prises en charge, structures et assurances pour le handicap, c’est vraiment de l’énorme merde ». De multiples combats, entre reconnaissance et réussite financière, pour celui qui a souvent lutté. Comme l’éminent ténor Pavarotti, Luciano de son prénom, il est ce rescapé qui veut chanter haut et fort et faire mentir le sort. Le chef d’orchestre Carlos Kleiber disait que quand Luciano Pavarotti chantait, « le soleil se levait sur le monde ». En espérant des auspices tout aussi radieux pour l’éponyme Zed Yun, en lui rappelant que les fantômes appartiennent à la nuit.

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