Throwback : Mesrine et la guillotine en carton (1977)

On ne le sait que trop bien, les meilleures photos sont souvent celles qui capturent un instant, une action spontanée. Parfois, le contexte autour rend le cliché encore plus spécial : pour le photographe, celui soumis à son objectif, et aussi pour tous les spectateurs de demain. Notre photo est singulière à différents niveaux : son contexte et ses conditions de prise, son impact sur le photographe puis le sens qu’elle revêt par rapport au protagoniste, Jacques Mesrine.

Après des années de cavale entrecoupées d’aller-retours en prison,  Jacques René Mesrine se voit condamné d’une peine de 20 ans d’incarcération le 19 mai 1977 pour attaques à main armée, recel et port d’arme par la cour d’assises de Paris. Il ne purgera même pas une année de sa peine puisqu’il réussit à s’échapper de la prison haute sécurité de la Santé le 8 mai de l’année suivante. Accompagné de François Besse, ils deviennent les premiers à réussir une évasion du pénitencier située dans le quartier de Montparnasse. Les deux complices ne perdent pas de temps et reprennent les « bonnes habitudes » en braquant le casino de Deauville, deux semaines après leur fuite. Si le braquage tourne mal, les deux complices parviennent tout de même à s’enfuir, et sous la pression du dispositif policier mis en place pour les rechercher dans la région, ils reviennent à Paris.

Jacques Mesrine est un homme aux multiples facettes,  comme peut l’indiquer son surnom « l’homme aux milles visages ». Une appellation en rapport avec son goût pour les déguisements en tout genre, l’aidant à échapper à la méfiance des forces de l’ordre. Toute sa vie, il aura été l’objet de rumeurs et des suppositions les plus folles : sur ses origines sociales, son parcours, son appartenance politique, ses véritables motivations ou même sur sa personnalité.
Personnage charismatique et grandiloquent, l’un des souhaits les plus chers du criminel est de marquer l’histoire en y laissant une marque indélébile. Un besoin de reconnaissance qui le pousse à régulièrement contacter des journalistes, organiser des entrevues et même à écrire deux livres sur son histoire. C’est également dans cette optique qu’il contacte Gilles Millet, journaliste à Libération, spécialiste des sujets sur la prison.

Militant contre l’existence des prisons de haute sécurité depuis son passage à la Santé, Jacques Mesrine admire le travail de Gilles Millet, seul journaliste à l’époque qui dénonce les conditions de vie de ces établissements. A l’issue de leur rencontre, le feeling passe parfaitement, les deux hommes décident de transposer l’article de départ en un livre sur la vie de Mesrine. Pour crédibiliser le livre, Millet propose à « l’ennemi public numéro un » de réaliser une séance photo avec un de ses amis photographe, Alain Bizos.

Après leur rencontre et de multiples rendez-vous, une complicité naît entre Alain Bizos et Jacques Mesrine. C’est de cette complicité que découlera une série de photos qu’ils réaliseront ensemble un soir de juin 79. Ce soir là, le bandit révolté fait ressortir son côté showman mégalo ; une facette qui transpire sur les 36 poses de la pellicule du photographe, qui réalise par la même occasion des clichés qui deviendront légendes. Au fur et à mesure de la séance, Mesrine se prend au jeu de l’objectif, se plaît à poser et propose multiples mises en scène. Tour à tour, il joue de ses mains pour dévoiler son visage, puis pose avec son revolver en faisant mine de shooter l’objectif, ou encore en il signe un bras d’honneur avec un air narguant.

Le moment le plus inattendu de cette séance, qui touche bientôt à sa fin, arrive sans aucun doute quand un Mesrine introspectif, taquin et peut-être aussi visionnaire demande au photographe : « Tiens, tu veux voir comment je serai quand on me guillotinera ? ». De là, le bandit se retrouve la tête dans un carton qui contient des bouteilles de champagne et mime un mort. Sur sa première prise,  l’homme est hilare ce qui rend la photo humoristique mais moins impactante. Ensuite, Mesrine se met à révulser ses yeux, comme pour rendre encore plus réaliste sa composition. C’est le moment que choisit Alain Bizot pour déclencher. C’est la photo parfaite… et la dernière de son unique pellicule.

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