Fête des pères et célébrités, je like moi non plus
21 juin 2015. Le jour le plus long. Une heureuse coïncidence puisqu’il fallait à la fois fêter l’été, la musique et les pères. Pour déterminer l’événement qui a eu le plus d’impact, rien de plus simple, il suffit de jeter un œil sur les réseaux sociaux. Alors que l’on pourrait penser que la célébration officielle des géniteurs a été créée par culpabilité de ne fêter au départ que les mamans, c’est pourtant bien le #happyfathersday qui a envahi les fils d’actualité. Instagram s’est transformé ce dimanche en temple d’hommage à ces « héros » du quotidien avec pléthore de célébrités pour mener la procession.
Who’s your daddy ?
Comment rendre compatible l’acte le plus naturel du monde (cf. la préservation de l’espèce) avec la pratique la plus artificielle du monde (cf la préservation du nombre de followers). Des pères il y en a depuis plusieurs millénaires et des comptes Instagram depuis 2010. La reproduction semble indémodable et la paternité reprend même du poil de la bête en terme de popularité. Après des siècles de sociétés patriarcales où la femme se consacrait seule à la progéniture, revendiquer son rôle de père est aujourd’hui synonyme de modernité. Concrètement ça se traduit par la petite Riley Curry qui attendrit les journalistes dans les conférences de presse de Stephen, Vincent Cassel qui déclare adorer faire « les bibis » pour ses filles ou Kanye West qui fait de North le personnage principal de ses clips. Quand la génération précédente prétextait un emploi du temps trop chargé pour justifier leur absence en tant que père, la nouvelle intègre fièrement ses enfants à sa vie publique et professionnelle. Une communauté de papas impliqués, habituellement éparpillées, se révèle au grand jour en ce troisième dimanche de juin à l’image de Justin Timberlake qui légende sa photo par « #happyfathersday to ALL of the Dads out there from the newest member of the Daddy Fraternity !! – JT ».
Tout le monde s’y met, les plus grands « influencers » de la planète promeuvent cette fête créée au départ en France par la marque de briquets Flaminaire ayant trouvé un moyen pratique de faire une petite plus-value au mois de juin. Beyoncé, David Beckham, et même Michelle Obama témoignent de leur joie en ce jour si spécial. Ainsi des grandes entités rassembleuses de testostérones comme la NBA, la NFL ou ESPN rappellent la beauté de la paternité.
De nombreuses stars suivies par leurs fans pour leurs activités en tant que chanteurs, acteurs, footballeur incrustent donc des photos de leur vie familiale épanouie, parfois même jusqu’à l’extrême. Le Colombien James Rodriguez cher au Real Madrid poste non seulement plus de photos de sa fille que de son équipe mais il a même créé un compte pour la petite Salomé qui a à peine plus de deux ans. Pour la fête des pères on peut se délecter d’une vidéo où elle explique à son papa combien elle l’aime, elle récolte 305 000 likes en 24H.
Anguille sous roche
Les mœurs évoluent. Les filles Jenner souhaitent elles aussi une joyeuse fête à leur cher père devenu récemment Caitlyn et Diplo alterne entre photos de fessiers et de ses fils, « I feel blessed to be a father. » nous dit-il.
Il y a donc toutes sortes de pères qui mettent au-dessus de tout leur expérience de la paternité mais pourquoi le crier sur tous les toits ? Le nombre de likes en est un premier indice. Les fêtes des pères, mères et autres Saint-Valentin passent souvent pour des fêtes purement commerciales permettant le renflouement des caisses des chocolatiers ; à l’ère des réseaux sociaux elles sont devenues en plus de ça un moyen de gagner de la popularité. Quelle logique trouver dans le fait d’envoyer une déclaration d’amour à son père par Instagram interposé ? « You taught me from day one what hardwork, discipline and détermination is. » légende Usain Bolt en l’honneur de son père. Lui a-t-il dit la même chose entre quatre yeux ?
La première intention est à l’altruisme mais l’opération puisqu’elle est publique permet discrètement de renvoyer une image sympathique de quelqu’un d’attentionné, aimant et aimé. On va plus facilement prendre le parti de Neymar lorsqu’il insulte un arbitre quand on voit constamment à quel point il est présent auprès de son fils sur son compte Instagram.
L’égocentrisme de la démarche est même parfois moins dissimulé que d’autres. Big Sean remercie son père en parlant de que ce dernier a aimé dans son nouvel album. Christiano Ronaldo s’émerveille en anglais « The moments with my son are always amazing » suivi d’un subtil « You can see some spécial moments with him in the new film.».
Tous des salops donc ? Notre société du partage, du like, de la télé réalité exacerbe des sentiments qui dans la plupart des cas sont sincères au départ. Il est simplement difficile de ne pas tomber dans des travers. On peut effectivement se demander le degré de mauvais goût ou de pudeur du post de Meadow Walker la fille de feu Paul qui légende sobrement « Happy Father’s Day ». Heureusement (ou pas) dans ce large univers d’Internet on passe d’une info à l’autre en un instant et sans transition. Il est donc facile de retrouver le sourire quand Tyler The Creator diffuse une photo de Pharrell légendée « huppy fahja dey » ou quand Johnny Hallyday poste la carte de sa fille sur laquelle on peut lire « Tu es le meilleur papa du monde, je t’aime à la folie. Tu es aussi le meilleur chanteur du monde. »
Depuis leur création après la guerre il n’y avait jusqu’à présent pas photo entre la popularité de la fête des mères et des pères. La compétition est aujourd’hui officiellement lancée. 3 989 983 #happymothersday et 2 881 142 #happyfathersday à l’heure actuelle. Avec la volonté d’indépendance de la femme active moderne et l’affirmation de l’implication de l’homme au sein du foyer, Instagram nous annoncera-t-il un jour une ère matriarcale ?