Karim Benzema, la gueule du coupable
Englouti dans la tourmente, dévoré par le scandale, Karim Benzema perd de plus en plus pied ; il ne se relèvera peut-être pas. Le joueur a beau avoir trempé un pied, peut-être plus, dans l’affaire du chantage à la sextape de Valbuena, il faisait déjà figure de coupable idéal dès la tombé des premières bribes d’informations, bien avant la révélation des écoutes. Un délit de faciès pris en flag.
« Métèque et mat »
12 juillet 1998. Les Français se délectent de la victoire de leur équipe en Coupe du Monde, s’enivrent d’effervescence collective, d’extase fusionnelle, de ferveur nationale. Ils noircissent l’avenue des Champs-Elysées, louangent la génération black-blanc-beur et vénèrent leur nouvel idole, Zidane, dont le portrait gigantal s’affiche sur la façade de l’Arc de Triomphe. Les faiseurs d’opinion se frottent le ventre en évoquant cette France « tricolore et multicolore ». Le symbole est beau, presque trop. Près de vingt ans après, qu’en reste-t-il ? Abimé par des résultats en dents de scie, des Marseillaises conspuées en préambule des matchs contre l’Algérie (2001), le Maroc (2007) et la Tunisie (2008) et une grève cultissime à Knysna. Une série d’événements qui aura précipité des discours aux relents xénophobes et forcé les interrogations sur le patriotisme de certains joueurs. Les moins blancs se ficheraient de porter les couleurs de notre pays, de mouiller le maillot national ; la preuve, celui-là et celui-ci ont l’insolence et le culot de ne pas chanter l’hymne hexagonal. Affront absolu. Même le blog people de Morandini s’en mêle, rapporte que « si certains chantent, d’autres préfèrent mâcher du chewing-gum ou garder la bouche fermée ». En ligne de mire : Karim Benzema. Ses pourfendeurs ont la mémoire courte ; dans les années 80, la bande à Platoche n’entonnait pas La Marseillaise, pas plus qu’Eric Cantona, Laurent Blanc, Zinédine Zidane ou Marcel Desailly. Et personne ne s’en émouvait. Qu’importe, la polémique ne cesse d’enfler.
Le 19 mars 2013, Benzema réagit au micro d’RMC : « Si je mets trois buts, je pense qu’on ne va pas dire à la fin du match que je n’ai pas chanté La Marseillaise. C’est ça, le souci. C’est parce que ça fait un moment que je n’ai pas marqué en équipe de France. Ça n’a rien à voir avec ce que j’ai entendu, comme quoi je n’aime pas l’équipe de France. Il faut se calmer. J’aime bien l’équipe de France. C’est un rêve pour moi de jouer pour l’équipe de France.» Sa déclaration crée un raffut médiatique, soulève la fureur et l’indignation. Jérôme Béglé, le Directeur adjoint de la rédaction du Point, réagit crûment sur le site du magazine dans une tribune hallucinante titrée « Karim Benzema, tais-toi ! ». Il pose, entre autres : « Ce galimatias reflète bien l’état d’esprit de ces footballeurs surpayés et ingrats qui pullulent dans les championnats européens. Dans le monde des (à peine) trentenaires pourris par le fric, on peut ajouter l’insulte à la honte, la bêtise à l’incompétence ! […] Cédant aux sirènes du charity business, Benzema avait participé en février 2012 au concert des Enfoirés à Lyon. Sans doute a-t-il estimé que sa grandeur méritait un tel écrin. Il n’y a pas de doute, l’enfoiré, c’est lui ! ». Le FN est sur le coup et sur les dents, évidemment, et exige le renvoi de Benzegoal. L’occasion est trop belle. Le parti d’extrême-droite, et une flopée de médias dans sa foulée, ressort des archives des propos – simplifiés et condensés – du joueur, prononcés sept ans plus tôt, après avoir décliné les appels du pied de Jean-Michel Cavalli, le sélectionneur de l’équipe d’Algérie : « L’Algérie c’est mon pays, la France c’est juste pour le côté sportif ». La machine médiatique s’emballe de plus belle. « Benzema n’aime pas la France », le constat est exagéré, entériné et propagé. Pourtant, peu mouftaient lorsque Domenech implorait le franco-argentin Gonzalo Higuaín – n’ayant pas même vécu 1 an sur le sol hexagonal – de venir gonfler les rangs de l’Equipe de France. Tant qu’il met la balle au fond des filets. Karim est lucide : « Si je marque, je suis Français, mais si je ne marque pas ou qu’il y a des problèmes, je suis Arabe », déplorait-il auprès de So Foot en 2011. Lorsque les Bleus alignent les victoires, on s’enquiert forcément moins de leur sentiment d’appartenance à la République ou du nombre de fils d’immigrés dans l’équipe (Alain Finkielkraut, en tête, dénonce une équipe de France « black-black-black »). Cynique, Pierre Tanger écrivait dans le journal d’extrême-droite Minute lors du Mondial 2014 : « A partir de deux buts marqués contre le Honduras, on essaie tranquillement de nous expliquer toute la nécessité de la présence sur notre sol de quelques millions de Benzema. […] Il me faudra bien plus qu’un jeu de ballon pour me convaincre que l’immigration est une chance ». Le 21 novembre, en ouverture du clasico Real Madrid/FC Barcelone, KB s’est enfoncé encore davantage dans une fatalité qui lui colle aux basques. Après La Marseillaise jouée en hommage aux victimes des attentats qui ont frappé et meurtri Paris une semaine plus tôt, le joueur s’est laissé aller à un crachat. Le mollard de trop. Le geste n’est pas intentionnel évidemment, récurrent sur les terrains de foot. Et puis, Benze avait publié les jours précédents plusieurs messages de soutien à la capitale française. Malgré tout, le joueur a essuyé le vitriol des internautes, journalistes et politiques. Scandalisée, Nadine Morano a condamné un acte relevant « du mépris et de l’insulte faite aux victimes, à leurs familles et à la Nation toute entière » et posté un cliché estampillé « Karim Benzema a craché sur la Marseillaise ! ». Dans la demi-mesure, toujours. Cette fois, c’est sûr, le joueur a brutalement chuté en disgrâce.
« Hymne à la racaille »
En banlieue, le football, sport ouvert et hyper populaire, peut représenter une opportunité palpable d’ascension sociale. Nos cités sont des pépinières de jeunes talents, des couveuses de footballeurs en herbe dans lesquelles les clubs viennent piocher en masse. Karim Benzema, lui, originaire du quartier du Terraillon à Bron, n’a que neuf ans lorsqu’il intègre le centre de formation de l’OL. Il deviendra joueur professionnel à 17. La cité, il y a en vérité très peu goûté. La délinquance encore moins. Pourtant, l’avant-centre peine à se départir d’une image de racaille qui lui colle à la chair comme un pansement de trois jours. Comme lui, beaucoup d’autres sont irrémédiablement associés et ramenés à une condition sociale qu’ils ont quittée très tôt ou n’ont même pas connue.
En 2010, les « mutins de Knysna », – dont Benzema ne faisait pas partie – ces « caïds immatures qui commandent à des gamins apeurés », se sont trouvés violemment mis au pilori par les médias. Depuis les émeutes de Clichy-sous-Bois en 2005 puis celles de Villiers-le-Bel en 2007, les banlieues sont perçues comme des lieux pestiférés, effrayants aussi, concentrant des maux sociaux, économiques et identitaires, des brebis galeuses qu’il faut « nettoyer au Kärcher ». Alors, lorsque le débat autour de la débâcle de l’Equipe de France s’est déplacé sur l’origine, réelle ou fantasmée, des joueurs, le racisme social s’est réveillé, les angoisses et tensions de la société se sont cristallisées. Du pain béni pour Alain Finkielkraut. Sur Europe 1, le sociologue borderline crachait sur « une bande de voyous qui ne connaît qu’une seule morale, celle de la mafia (…). Après la génération Zidane, aujourd’hui on a plutôt envie de vomir avec la génération caillera ». Sur France Inter, il parlait de « voyous milliardaires » et d’« une bande de onze petites frappes ». Les médias, qui le sollicitent régulièrement, raffolent de ses analyses abusives et provocantes. Vikash Dhorasoo lui-même, reconverti en blogueur sur Le Monde.fr Sport, répondait à la question d’un internaute lors d’un chat : « Cette équipe représente la France des banlieues, la France des ghettos […] Aujourd’hui, dans les quartiers populaires, le pouvoir a été abandonné aux caïds, et c’est ce qu’on retrouve en équipe de France». Les allégations sont simplistes, les boucs émissaires tout désignés.
On plaque sur les joueurs une étiquette de racaille aussi vite qu’on qualifie les meneurs de jeu franco-algériens de néo-Zidane. Samir Nasri à cause d’un doigt sur la bouche et un « ferme ta gueule » à l’attention des journalistes de l’Equipe (qui n’est pas sans rappeler la langue tirée de Dugarry en 1998 contre l’Afrique du Sud). Hatem Ben Arfa parce qu’il n’aurait « aucun respect pour ses coéquipiers, ses entraîneurs », selon Jean-Michel Larqué. Jérémy Ménez parce qu’il « fait la gueule » et « va bouffer des kebabs à Vitry » avec « sa bande », selon Daniel Riolo. Karim Benzema parce qu’il a une « tête de méchant » sur les photos, selon Grégory Coupet. Qu’est-ce qu’une racaille au juste ? Un« ensemble d’individus peu recommandables, délinquants en puissance d’une communauté (banlieues, cités)» d’après Le Petit Robert. Quelque chose relevant davantage de la « culture de l’individualisme, du clan, du gangsta rap, de l’argent qui prédomine », d’après Daniel Riolo, qui avait publié en 2013 un ouvrage baptisé Racaille Football Club). La définition du journaliste brasse en fait grossièrement cultures street et bling bling. De quoi créer de dangereux amalgames. « Dès que quelqu’un parle mal, on dit de lui que c’est une caillera. J’ai reçu une très bonne éducation », s’agace Nasri auprès du Parisien. Dans un entretien au même canard, Benzema renchérit : « T’as un casque [sur les oreilles], t’es une racaille ? Sérieusement… Si j’étais une racaille, je ne jouerais pas au foot ! On juge beaucoup trop les footballeurs sur un détail. Et on ne s’intéresse plus à comment ils jouent mais comment ils sont, leur façon d’être ». Rien à faire, le Madrilène souffre d’une image de caillera de luxe, de délinquant doré sur tranche. Pour l’alimenter encore davantage à la lumière de l’affaire Valbuena, magazines et chaînes TV abreuvent leurs sujets de clichés du joueur à l’allure « bad boy ». En casquette ou hoodie d’abord, des attributs de « jeune de banlieue » dans l’imaginaire collectif. Au cas où on ne l’aurait d’ailleurs pas notifié, le JT de TF1 précise en voix off que le joueur porte « un sweat à capuche » lors de son arrivée à l’hôtel de police. Le cul posé sur sa Bugatti Veyron ensuite, faisant des signes façon gangsta. Une dégaine de parvenu ? L’Equipe souligne en légende que les voitures de sport sont « son péché mignon ». Paris Match en remet une couche avec des photos en compagnie de ses potes au look « urbain » ou de Booba, décrit comme un « ami de longue date ». Tout pour corroborer son accroche : « Sa carrière l’a mené au Real Madrid mais sa cité l’a rattrapé ». La cité. Elle revient comme une mauvaise rengaine dans tous les papiers. L’Equipe ose même en sous-titre le jeu de mot « Déjà cité dans le passé ». L’entourage enfin. Paris Match évoque des « fréquentations d’éternel gosse des cités » et insiste lourdement, comme l’ensemble de la presse (y compris le très sérieux Le Monde), sur la force des liens, fraternels, unissant Benze à Karim Zenati, ce « délinquant de quartier ». On convoque aussi un troisième Karim, Djaziri, son agent pas très commode, rappelant que, lors du Mondial 2014, le bonhomme avait agressé des journalistes de l’Equipe, irrité par des critiques à l’endroit de son protégé. Frédéric Guerra, agent de Benzema jusqu’en 2004, coure les rédactions pour blâmer à son tour les amitiés tendancieuses du garçon, dont il ne sait à vrai dire plus grand-chose depuis dix ans. « Il est resté très quartier », assure-t-il. Enfin, on extrapole, on dramatise. Il faut inquiéter, il faut vendre. Le Figaro profite ainsi du cas Benzema pour s’épancher sur les liens entre le foot et « les milieux du banditisme, voire de la pègre », notamment à Marseille. Au détour d’une phrase, le quotidien décrit certains footeux comme « des garçons sans éducation, sans respect, sans conscience. Sans foi ni loi », citant en exemple la grève de Knysna. « Qu’on ne s’étonne pas, dans ces conditions, de les retrouver au tribunal avec les voyous », conclue le journaliste.
« D’une goutte de sang ils en font une flaque »
Karim Benzema est réservé, pudique et peu loquace. Ses commentaires sont souvent froids et lapidaires. Pas franchement le profil du bon client pour les médias. Pire, sa timidité et sa défiance peuvent passer pour de l’arrogance. Mais en réalité, il a de quoi être sur ses gardes.
Le milieu du ballon rond a furieusement évolué ces dix dernières années. Les joueurs deviennent professionnels beaucoup plus tôt, avec des salaires beaucoup plus généreux. Une ribambelle d’enfants-stars se retrouve propulsée sur les terrains des plus grands clubs et à la face des médias, sans avoir la maturité nécessaire pour le gérer. En centres de formation, les études sont de surcroît négligées au profit d’entraînements intensifs ; beaucoup de footballeurs professionnels accusent un niveau scolaire relativement bas. Ainsi, le groupe des 23 bleus sélectionnés pour la Coupe du Monde 2014 comptait seulement 9 bacheliers, de formation générale ou professionnelle (Landreau, Giroud, Lloris, Varane, Mavuba, Valbuena, Cabaye, Cabella et Sagna). Prendre la parole en public se révèle alors être pour certains un exercice particulièrement angoissant et épineux, avec son lot de fautes de français, de bafouillages, d’hésitations ou de « voilà quoi ». De quoi nourrir une condescendance des journalistes vis-à-vis des joueurs, qu’ils admiraient autrefois et dont ils moquent aujourd’hui le faible QI. Le Petit Journal (Canal+), L’After Foot (RMC) avec son top 50 ou encore le J+1 (Canal+) avec son « Bande de confs » se régalent lorsque les footballeurs égratignent la langue de Molière.
Et puis, au-delà d’une distance « psychologique », un mur physique, un garde-fou, s’est dressé. Il est loin le temps où journalistes et joueurs voyageaient ensemble, traînaient dans les bars et bavassaient à l’hôtel ou dans les vestiaires. Dans son pamphlet « Vert de rage », Jean-Michel Larqué témoigne de l’époque où il portait les couleurs et le brassard de l’ASSE : « La tribune de presse se réduisait à une dizaine de journalistes pour les matchs de championnat. Les joueurs suivaient le match dit de « lever de rideau » depuis la tribune de presse. C’était l’occasion pour les journalistes de discuter avec nous. On papotait de tout et de rien. Ce serait impensable aujourd’hui ! Nous les retrouvions ensuite une demi-heure après notre match dans les vestiaires de Geoffroy-Guichard. Il n’y avait pas de zone mixte ni de joueur désigné pour parler à la presse. Les journalistes parlaient à qui ils voulaient ». Aujourd’hui, clubs, sélections, agents, attachés de presse et sponsors veillent jalousement sur leurs poulains et verrouillent la communication. Parallèlement, la concurrence médiatique s’est accrue, le nombre de supports a doublé, entre chaînes télé, émissions de radio, sites internet et titres de presse. Le besoin en informations a, lui, naturellement enflé. Pour émerger sur un marché saturé et faire du chiffre (le nombre d’exemplaires vendus de l’Equipe a, par exemple, baissé de plus de 30% sur ces dix dernières années), on recherche alors le scoop, l’info croustillante et exclusive, quitte à heurter la déontologie. C’est dans ce contexte que, le 19 juin 2010, L’Equipe brocarda en Une le « Va te faire enculer sale fils de pute » déformé d’Anelka. Le natif de Trappes est devenu le gibier d’éditorialistes à la plume acérée, pris au piège d’un emballement médiatique démesuré. Trois jours plus tard, la mère de Raymond Domenech, outrée, venait même pleurer à l’antenne d’RTL. Ingrédient parfait d’un feuilleton manichéen, narrant le monde en noir et blanc, littéralement. Elle s’est fait petite la voix de Robert Duverne (préparateur physique des bleus à Knysna) qui affirmait que cette histoire était du « pipi de chat » comparé aux accrochages dont il avait été témoin dans les vestiaires de l’OL. Les vestiaires, cet espace intime et bouillonnant, où l’on s’engueule, logiquement, voire se bagarre, à la mi-temps ou à l’issue d’un match perdu.
Les dérapages, les médias en ont fait leur fonds de commerce, relatant la moindre incartade, escapade nocturne, dépense excessive ou parole de travers. De ces garçons starifés et peopolisés, on exige un devoir d’exemplarité. Soumis à un jugement permanent, de leurs performances sportives comme de leur attitude, certains craquent. Comme Patrice Evra, Samir Nasri, Cyril Jeunechamp ou Karim Benzema, en postant sur Instagram un photo-montage de Pierre Ménès, Damien Degorre, Daniel Riolo et Jean-Michel Larqué juchés sur des poneys. Entre les sportifs et leurs observateurs, le torchon brûle. Benzema et ses « frasques » n’ont bien évidemment pas été ménagés. En juillet 2010, le joueur avait été mis examen dans le cadre de « l’affaire Zahia ». Les médias s’étaient alors empressés de le condamner avant l’heure, il aura finalement été blanchi. En mars 2012, VSD claironnait en couverture : « Karim Benzema : millionnaire du foot et petit-fils ingrat ». Yamina Haddou, la grand-mère du footballeur, réclamait à son petit-fils – qui, selon ses dires, refusait jusqu’ici de l’aider – une pension de 1 500 euros par mois pour subvenir à ses besoins. Une aubaine pour la presse qui s’était grassement emparée de l’affaire. Or, le joueur assurait payer le loyer de son aïeule depuis des années, quand ses parents, eux, réglaient ses dépenses courantes. Quelques semaines plus tard, Yamina Haddou se rétractait, reconnaissant avoir été manipulée. En juin 2013, Lyon mag rapportait qu’un Benzema mauvais joueur s’était embrouillé avec ses adversaires lors d’un tournoi amateur. La même année, l’attaquant avait écopé d’une amende salée pour excès de vitesse. En novembre 2015, bien des papiers colportaient que l’international avait été arrêté au volant d’un bolide, sans permis. Une information réfutée par l’intéressé, photo du papier rose à l’appui. Comme toutes les vedettes, ses faux pas sont guettés, épinglés, grossis, agités. Les médias se plaisent à les rappeler dans le cadre de l’affaire en cours et n’hésitent pas à pondre des articles ou reportages accablants, se foutant de la présomption d’innocence. Le Parisien ouvre le bal en énonçant que « football et morale [sont] deux mots qu’en ce moment l’esprit ne peut décidément pas associer». Christophe Barbier, le directeur de la rédaction de L’Express, soutient lui-aussi dans un édito vidéo qu’« avec les footballeurs c’est les valeurs, c’est l’éthique, c’est le comportement humain, c’est toute l’éducation avec un grand E qui semble nécessaire de reprendre dès la base ». Europe 1, quant à elle, stipule que Benze et son « ami » (Karim Zenati) se marrent au téléphone au cours de la conversation téléphonique qui a fuité et été abondamment relayée. M6 ou Closer prétendent de leur côté que le joueur aurait lâché : « Je vais lui faire comprendre. Il va payer ». Des propos non-vérifiés, que l’on ne retrouve d’ailleurs pas dans la discussion diffusée dans sa quasi-intégralité par l’Equipe. La presse frise l’infraction en tirant, bille en tête, à boulets rouges sur Karim Benzema, dont la culpabilité n’a pas été légalement prouvée.
C’est dommage, le football, au départ, c’était beau. Une fabrique à rêves, un distributeur d’émotions, une parenthèse enchantée où se mêlaient petits ponts, dribbles, crochets, roulettes et buts en pleine lucarne. Un idéal sociétal offrant à tout un chacun sa chance, rassemblant sous son étendard toutes les origines sociales, religions et couleurs de peau. Il est devenu cet objet mal réputé que l’on aime piétiner. Le football ne nous appartient plus ou, peut-être, nous appartient trop.