Schoolboy Q : « Je n’aime pas rapper mais il le faut c’est en moi »
La construction de TDE s’est bâtie sur l’histoire de Los Angeles et de ses quartiers, chacun de ses membres incarne un petit bout de cette vie et de cette ville. L’une des figures qui exprime le mieux cette image « gangsta » est incontestablement ScHoolboy Q ; nous sommes partis à sa rencontre afin qu’il nous en dise plus sur le regard qu’il porte sur ses différentes familles : ses potes, son gang, sa fille et TDE. Un article issu du premier numéro du YARD Paper.
Quand tu étais enfant à Figueroa Street, quelles étaient tes journées types ?
J’étais chez mes gars, soit chez mon poto Floyd, chez Corry ou Chris. Sinon, nous squattions juste en bas de la rue, à la laverie. C’était les quatre spots où nous étions tout le temps. En gros, on se levait, on traînait et on achetait des bonbons. C’était une ambiance très calme, je buvais déjà quand j’étais gosse mais j’ai commencé à fumer en grandissant.
Avec le recul, que penses-tu de cette guerre entre Bloods et Crips ?
Je n’ai jamais été dans cette guerre, mais I was gang-banging. La guerre entre Bloods et Crips est finie depuis bien longtemps, genre dans les années 70. Pour ma part, j’ai grandi avec les Crips contre Crips, et non avec les Crips vs Bloods. Mais c’était déjà gravé dans le marbre. Ce contexte de gangs, tu grandis dedans, tu y es naturellement intégré. Le premier jour où tu sors et que tu rencontres un ami, c’est là où tout commence. Tu vois ce que je veux dire ? Dès que je suis entré en maternelle et que j’ai mis un pied dehors pour jouer avec mes potes, c’était le premier jour. Tu sais que le frère de ton gars est de tel endroit et qu’il était membre de tel gang, donc, que son oncle y était aussi ou son père, ou peu importe qui. Dès le plus jeune âge, tu es déjà identifié. Mais ça devient sérieux à partir du moment où tu vieillis… Et là tu arrives at that fucking point.
Dirais-tu qu’il y a une vraie fraternité dans le monde des gangs ?
Tout ce délire de gangs est en lien avec la solidarité et on doit être là les uns pour les autres. Il s’agit de protéger les gens de ton quartier de personnes extérieures qui essayent de détruire ton environnement.
Que tires-tu de cette expérience ?
Je peux rapper. J’ai des choses à dire ! Quand je dis ça, je ne parle pas seulement de juste faire des rimes entre deux phases. Je peux vraiment rapper : rapper des choses vraies, des choses que je connais, que j’ai vues, que j’ai vécues.
Kendrick Lamar, Jay Rock et Ab-Soul, vous venez tous les trois de Los Angeles ; les connaissais-tu avant ?
Non. Je ne les ai pas rencontrés tout de suite, ils sont tous de la banlieue de L.A. Je suis le seul qui vient du L.A. traditionnel, du centre. Kendrick est de Compton, Ab-Soul est de Carson et Jay Rock de Watts.
Tu t’es mis sérieusement au rap tardivement, comment y es-tu arrivé ?
Ce n’était pas vraiment une chose à faire lorsque je grandissais. Les rappeurs n’étaient pas ce qu’ils prétendaient être. Enfin, ceux autour de moi ne l’étaient pas et j’ai compris que les personnes authentiques ne rappaient pas. Pour moi, c’était pour des gars un peu niais. Mais apès avoir dépassé tout ça, j’ai réalisé qu’il y avait des personnes vraies qui rappaient. Et là, je me suis dit : allons-y.
Contrairement à Kendrick Lamar, qui est un rappeur très technique, beaucoup disent que tu es plus instinctif, plus naturel. Tu es d’accord ?
Je pense que Kendrick est beaucoup plus naturel que moi ; pour lui, le rap c’est simple. Pour ma part, je suis plus un homme de la musique, je fais ce qui sonne le mieux. Kendrick est le meilleur rappeur que je connaisse. Je ne dis pas ça parce qu’il est dans mon groupe, je le pense sincèrement. Moi, je ne sais pas rapper. Je vais juste au studio et je sors des mots de ma bouche. Tout ce que je dis est vrai, même mes sons par rapport aux soirées, c’est la réalité.
Est-ce que le rap pour toi est une distraction, une passion, un métier ?
Une passion, mon gars ! La plupart du temps je le fais contre mon gré, je n’aime pas rapper, mais il le faut, c’est en moi. Tu vois ce que je veux dire ? Dans la vie, il y a des choses que tu n’aimes pas faire, mais tu as beau lutter, tu ne peux pas t’en empêcher. Je suis sûr que lorsque tu vas interviewer quelqu’un, tu as horreur de poser les micros ou régler les caméras, mais quelque chose te pousse à continuer quand même. Ta passion finit par prendre le dessus sur les contraintes. C’est comme ça que je le ressens.
TDE semble très différent des autres crews dans le rap. Qu’est-ce qui vous différencie des autres ?
L’insouciance, on s’en fout du reste. On est tous des amis proches avant d’être des collègues de label. C’est ce qui nous différencie.
Depuis la signature d’Isaiah Rashad et SZA, TDE n’est plus seulement un label local. Est-ce qu’il y a pour toi un changement d’état d’esprit dû à ce développement ?
Non, ils s’intègrent très bien. Au départ j’étais un peu réticent, mais je n’ai rien dit. C’est le business, tu dois t’agrandir, et si tu trouves les bonnes personnes, il faut le faire. Pourquoi devrait-on les rejeter ? Moi, j’ai bien intégré le crew après sa fondation, j’étais même le dernier à rejoindre les Black Hippy. Donc, en réalité, c’était un peu égoïste de ma part de penser de cette manière. Je n’avais pas encore entendu leur musique, je ne savais pas ce qu’ils avaient fait ou ce qu’ils comptaient apporter au crew. Et par la suite ils m’ont fait fermer ma gueule. Ils ont sorti leurs projets et c’était incroyable, je n’avais plus rien à dire. Parfois, nous nous devons de fermer notre gueule (rires). Là, nous pouvons parler de talent brut, ils ont clairement surpassé mes attentes.
Mettons de côté TDE et parlons un peu de ta famille, surtout de ta fille.
Oui, mon bébé. C’est ma fille, il n’y a rien à ajouter. Elle m’a inspiré tellement de choses, tellement de titres, tu n’as pas idée. Elle est souvent au studio avec moi, il faudrait que je commence à mettre ça en vidéo. Habituellement, je n’aime pas avoir des gens autour de moi quand je travaille mes morceaux, et les caméras perturbent mes vibes lorsque je rappe. Tu sais que quelqu’un t’observe, et c’est désagréable. En tout cas, ma fille est dans le studio avec moi lorsque je travaille, ça lui permet de me suivre artistiquement. Parfois, elle reste même douze heures d’affilée avec moi. Elle est là à balancer la tête, à chanter, elle comprend le délire. Quand je l’appelle, elle sait que je ne rentrerai pas à la maison. Au moins, même si elle ne me voit pas pendant un moment, elle sait où je suis et ce que je fais. Elle a automatiquement conscience qu’une fois que j’ai fini mon travail en studio je vais partir faire plein de shows. Dès que j’aurai fini cette tournée, je devrais commencer à travailler sur mon deuxième album, faire des featurings, capter différents artistes avec qui je suis supposé travailler… Donc, quand je vais en studio, c’est comme si c’était les vacances, et j’y amène ma famille. Je la mets dans une pièce à côté, où elle peut être à l’aise : regarder la télé, jouer au billard. De cette façon, je peux me détendre avec elle, repartir travailler mes morceaux et venir la voir à nouveau. C’est ma maison (rires).