Les racines de Rim’K, de la rue Camille Groult aux Victoires de la Musique
En 2000, la trop classique institution des Victoires de la musique voit débarquer la 504 break du 113 sur les rythmes chaleureux de la derbouka de Tonton du bled. C’est d’ailleurs ce surnom, « Tonton », qui ne quittera plus jamais Rim’K tout au long de sa carrière en groupe, tout au long de sa carrière solo, tout au long de sa vie tout court. Mais, au-delà de cette image pleine de fraîcheur qui fait honneur à une frange de la population régulièrement bannie par ce type de cérémonie, une autre marque la mentalité du groupe et de l’homme, Karim. Celle de la remise de la Victoire des mains de Jean-Luc Delarue, où ce n’est pas seulement le trio qui rejoint la scène mais toute une équipe qui déboule : des amis, un clan, une mafia même. Un état d’esprit qui se construit dès le plus jeune âge dans le hall 13 du 113, rue Camille Groult, à Vitry, à la MJC, voire à la patinoire. Pour revenir sur cette époque fondatrice pour Rim’K et pour le rap français, c’est naturellement vers ses proches que nous nous sommes tournés. Et dès qu’il s’agit de parler et de se rappeler du « Tonton », un grand sourire marque chacun de leur visage.
Photos : Yoann « Melo » Guerini
Extrait du YARD PAPER #3
Les copains d’abord
Plus de vingt ans après avoir été les enfants de cette commune, Vitry porte encore les stigmates de la Mafia K’1 Fry et du 113 un peu partout dans ses rues, elles prennent forme par des graffitis, des stickers, des gravures… Certaines sont infligées par la trace des protagonistes et d’autres par la fierté de toute une ville qui s’est sentie à jamais représentée par ces groupes et leur musique. Au-delà du rap, Rim’K est Vitriot, et c’est cette ville qui fait de lui à la fois un footballeur au « pointard » dévastateur, un rappeur aux phrasés crus et réalistes, mais d’abord un patineur. D’ailleurs, dès qu’on met les pieds dans la patinoire municipale, des posters de la Mafia K’y Fry, du 113 et de Rim’K ornent les murs avec de petites dédicaces personnalisées. Comme des centaines d’enfants aujourd’hui, Karim et son pote Youssef ont fait des tours sur cette glace. Youssef, ancien hockeyeur professionnel (il illustre d’ailleurs les fameux « sportifs de haut niveau » dans le clip Les princes de la ville), n’a jamais quitté la patinoire depuis son enfance car il y est aujourd’hui employé. Il se souvient qu’à peine âgés de dix ans ils rentraient gratuitement grâce au voisin de palier de Karim qui y travaillait à l’époque. Cet endroit était un véritable lieu de rassemblement où tous les quartiers de Vitry se retrouvaient, notamment le dimanche. Un jour qui donne lieu à des files importantes à l’entrée : « On n’attendait pas, on rentrait en VIP grâce au voisin de Karim, les petites meufs voyaient qu’on était ʺofficialʺ. C’était une période magnifique », se souvient Youssef. Mais c’est aussi en ce jour d’affluence massive que la glace ne suffisait plus à adoucir l’électricité entre les « grands » du quartier. « C’était tellement chaud qu’en 92 ils ont fermé le dimanche et, depuis, ça n’a jamais rouvert », conclut l’ancien hockeyeur. C’est sûrement cela qui marque la jeunesse de Rim’K, le paradoxe entre le bonheur du simple partage avec ses proches et un contexte où à n’importe quel moment un regard, un geste, un mot peut tout faire dégénérer.
« Malgré le mal qu’on a fait, on a quand même des têtes de gentils » – AP
Si cela est le cas à la patinoire, ça l’est encore plus au 113, rue Camille Groult, certainement l’adresse la plus célèbre du rap français. Mais avant tout, Camille Groult est le théâtre d’une amitié de près de vingt ans entre Abdelkarim, Rim’K et Yohann AP. Ce dernier se souvient de sa première rencontre avec son ami d’enfance : « C’est la première tête que j’ai vue dans le quartier, j’avais dix ans, on s’est rencontrés en bas du bloc, il était au hall 11 et moi au 13. » Ensemble ils ont tout vécu. L’insouciance de l’enfance d’abord, des barbecues et des parties de baby-foot organisés au pied des tours l’été : « On sortait les baby-foot qu’on avait eus à Noël et on pariait des 50 centimes… » Mais rapidement des galères, liées à la précarité de Vitry et même au traitement réservé à ses habitants, soudent les deux adolescents qui se sont retrouvés temporairement déscolarisés au lycée : « Avec Karim, lors d’ une rentrée de septembre, aucun de nous deux n’avait d’école. On va à l’académie de Créteil pour faire des démarches, on se retrouve dans des manifestations à crier : ʺOn veut un lycée !ʺ » Puis la réalité de l’existence d’un jeune de Camille Groult le conduit nécessairement à être en prise avec une vie de quartier parfois sombre, et ce très rapidement : « En bas, il y avait un tourniquet, et il se passait des choses vraiment sales. » Lorsqu’un tourniquet devient un endroit préoccupant, cela en dit beaucoup sur le caractère de cette banlieue.
Voyager avec la rue
Oui, Rim’K et AP ont fait plus que les 400 coups ensemble, mais comme le résume Yohann, « malgré le mal qu’on a fait, on a quand même des têtes de gentils ». Ce que son pote de toujours baptise « la période délinquance » leur a paradoxalement permis de voyager. Car la seule finalité était de s’acheter le dernier survêtement, la paire de Reebok Classic à la mode ou de profiter entre potes de la dernière séance de cinéma au centre commercial Belle-Épine. Mais ces sorties étaient une manœuvre véritablement risquée : « Si on loupait le dernier bus, on était obligés de rentrer à Vitry à pied en coupant par le cimetière. Je peux te dire qu’on courait. », se rappelle Youssef, amusé.
« Si on loupait le dernier bus après la séance de ciné, on était obligé de rentrer à Vitry à pied en coupant par le cimetière. Je peux te dire qu’on courait. » – Youssef
Rim’K est issu d’une famille nombreuse et, pour avoir accès à ces petits luxes, il fallait forcément dégoter les quelques combines pouvant rapporter un billet, et pour cela il fallait parfois savoir aller au casse-pipe. « On faisait des petits cambriolage, on volait des postes de radio, on forçait des caves… » se remémore AP, tout en rappelant la règle fondamentale : « On ne chie pas où on mange. » Et c’est à ce moment précis que cette idée de voyage prend concrètement son sens et que le duo devient trio. Le troisième sommet de ce triangle, c’est IZM, « quelqu’un qui a toujours été avec nous », affirme Yohann. « Tous le trois, on partait à Chartres, Orléans, Montpellier… » précise IZM, en ajoutant : « Ça nous permettait de faire nos petites affaires, de nous évader du 94 et d’apprendre à conduire. » Car c’est sans permis que Karim et ses complices sillonnaient la France, et parfois sans un sou en poche, ou du moins un vrai sou.
C’est justement à ce sujet qu’AP raconte cette anecdote : « En 1996, je crois, Ideal J avait une tournée dans le Sud et ils avaient une date à Montpellier. Avec IZM et Karim, on est partis dans le train avec 50 francs dans les poches et des faux billets de 200. On s’en foutait de frauder : ʺMets-nous même dix amendes, on veut aller à Montpellier.ʺ On s’est retrouvés là-bas à payer avec nos faux billets. » Ce périple insouciant montre qu’il n’y a jamais eu de frontière entre la vie de jeunes de quartier et celle liée à l’artistique, à l’époque encore balbutiante pour Yohann et Karim. Le 113 et Rim’K ont toujours été au micro ce qu’ils étaient réellement dans la rue, sans aucune distinction entre les deux sphères.
Artiste par accident
Avant de devenir une place forte du rap français, Vitry était une ville de raggae : « Quand je suis arrivé, c’est la première fois que je voyais des Rebeus s’ambiancer sur du Buju Banton », plaisante AP. Mais les deux enfants de Camille-Groult n’ont d’yeux que pour les États-Unis et son rap. Mais à une époque sans haut débit et avec seulement six chaînes de télévision il est difficile de se tenir au courant. Encore une fois, Rim’K et AP redoublaient d’inventivité : « À l’époque, tout se passait sur l’émission Yo ! MTV Raps, donc c’était une galère. Mais tu as toujours une petite meuf, elle habite à Créteil Soleil, elle a le câble, elle a tout, frère. Donc on demandait de nous enregistrer les émissions et avec Karim on se les faisait tourner. » C’est baigné dans cette culture qu’ensemble ils écrivent leur premier texte dans la chambre de Yohann et qu’ils ʺfreestylentʺ dans le mythique hall 13. Lorsque AP se rappelle ce moment, il raconte au sujet de l’écriture de Rim’K que, « dès le départ, il avait sa patte et cette manière particulière de décrire les choses, et même s’il a évolué, il l’a gardée dans tous ses projets ». Au dernier étage, Mohamed, membre du groupe Système Créatif, repère cette doublette qui commencera à le suivre un peu partout et qu’il initiera au monde de la musique.
Mais c’est véritablement à la MJC de Vitry où tout va basculer, un endroit que Youssef décrit avec enthousiasme : « C’était chez nous, on se retrouvait tous ensemble ; pour te dire, on appelait même au bled. » Deux jours par semaine, le mercredi et le vendredi, à la sortie de l’école, un ensemble de jeunes venus de Vitry, évidemment, d’Orly et de Choisy se donnent rendez-vous. C’est alors que Rim’K et AP se connectent avec Manu Key, le groupe Ideal J, Rohff et bien d’autres pour former ensemble la Mafia K’1 Fry. Mais cette fois c’est plus qu’un trio qui va se former, bien sûr, la rencontre de Mokobé, la troisième personnalité fondamentale du groupe, dessine un peu plus ce qui deviendra plus tard avec le 113. Mais c’est véritablement DJ Mehdi qui donnera sa chance à cette nouvelle entité : « Aujourd’hui, si le 113 existe, c’est surtout grâce à Mehdi. C’est lui qui a vu du talent en nous et qu’il y avait un truc à faire. Il avait une longueur d’avance sur tout le monde. Un jour, il est venu avec les gens d’Alariana (label indépendant, ndlr) et il nous a dit : ʺIl y a moyen de sortir un projet, mais il faut le plier en deux semaines.ʺ C’est lui qui nous a poussés. » Cela donnera en 1998 Ni barreau, ni barrière, ni frontière, le premier projet du 113 qui obtiendra un beau succès en indépendant. Sans cela, pas de Prince de la ville, de Tonton du bled, de Jackpot 2000 ou d’Au summum.
« Aujourd’hui si le 113 existe, c’est surtout grâce à DJ Mehdi. C’est lui qui a vu du talent en nous » – AP
Finalement, raconter la jeunesse de Rim’K seul est un contresens absolu, car c’est avec ses proches que son histoire s’écrit depuis le début. Logiquement, c’est AP qui résume parfaitement l’état d’esprit qui les unit : « Dans la vie, seul tu n’y arriveras pas, mais pour faire la guerre, tu n’as pas besoin d’être mille. » Quand on les regarde évoluer ensemble, toujours une vanne et une « clope aromatisée de shit » à la bouche, les mots ne servent plus à rien. La force de leur parcours commun parle pour eux.