Angel Haze : « Je n’écris rien. Je mémorise mes freestyles »
Nous avons rencontré Angel Haze, l’électron libre du rap tout droit venu de Détroit. À l’occasion de son tout premier concert parisien à la Bellevilloise nous avons pu lui poser quelques questions concernant son dernier album Back to the Woods. C’est avec simplicité et à cœur ouvert que l’artiste de 23 ans s’est confiée à nous.
Quelles sont tes attentes pour cette première scène parisienne ? Que vas-tu chanter ?
J’espère voir des seins (rires, ndlr)! J’attends beaucoup d’énergie parce que j’ai entendu dire que le public à Paris était très chaud. Je ne suis jamais venue jouer ici, c’est ma première fois donc je veux juste retourner Paris. J’ai ce nouveau son « Frida », ça va être stylé, « Babe Ruthless » aussi mais « The Wolves »… À ce moment je voudrais juste jeter de l’eau sur leurs putain de visages !
Que signifie pour toi ce deuxième album, deux ans après ton premier opus ?
Je qualifierais plus Back to the Woods comme un projet parce que je l’ai fait en 2 mois, je travaille sur mon prochain album depuis toujours et il sortira à la fin de l’année. Ça prend à peu près un an pour écrire un album parce que tu dois le penser comme une histoire et je veux que la mienne soit super thématique, avec une narration. Il faut rassembler des personnages, écrire leur histoire, trouver un tas de trucs stupides, écrire la musique de la façon dont tu l’imagines et c’est dur. Quand on a écrit Back To The Woods avec TK Kayembe, on s’est tout simplement enfermés dans mon appartement, pris de la drogue et enregistré tout ça. Et c’était cool.
Quel a été ton processus créatif ? Cela reposait-il uniquement sur les drogues ?
Non, une grande partie de drogue mais je trouve que c’est plus intéressant de laisser les choses se dérouler naturellement. C’est un aspect qu’on retrouve chez tous les artistes qui m’inspirent, comme Frida Kahlo ou Basquiat. Basquiat disait que la meilleure chose dans la peinture était de laisser un enfant prendre le pinceau parce que quand tu lui demandes à 5 ans de peindre ce qu’il pense, il le fait instantanément sans savoir à quel point le résultat est parfait. Ils sont simplement excités par l’idée d’avoir quelque chose en face d’eux. Je pense que tout devrait être fait de cette manière : la musique, l’amour, même le fric. Tout devrait être fait rapidement et simplement. J’ai l’habitude d’arriver face au micro… Pour Back to the Woods, je n’avais pas de feuilles pour l’enregistrement parce que je n’ai rien écrit. Je me lance juste dans des freestyles et je les chante jusqu’à ce que je les mémorise.
Tu fais souvent référence aux loups, que représentent-ils pour toi ?
Les loups sont tout pour moi. Je les trouve fascinants, ce sont des créatures vraiment mystiques. Ils doivent survivre seuls dans la nature, si jamais tu en croises un il ne t’embêtera pas sauf si tu le déranges. J’ai décidé d’appeler mes fans « les loups » car chacun d’eux a une mentalité de loup solitaire. Chaque personne que j’ai rencontré était du genre, « Je traverse ceci, je traverse cela », mais on est tous ensemble là-dedans, c’est ça le pacte des loups. Le leader du pacte est toujours en retrait pour voir tout ce qui se passe en coulisse ou pas, c’est magique la façon dont les loups fonctionnent.
Vois-tu cet album comme une façon de faire la paix avec ton passé ?
Oui je pense qu’il est purgatoire, c’est une photo instantanée du moment que je vivais. Je venais de quitter mon label quand j’ai commencé à l’écrire ainsi que ma copine. Beaucoup d’émotions vives, il fallait que je l’écrive, que j’évacue tout ça et que je fasse cet album. Mais c’est vraiment juste sur cet aspect de ma vie qu’il m’a aidé.
Les beats et lyrics sont sombres et tu ajoutes à ça une performance vocale hyper sincère et sensible. Comment s’opère la cohabitation entre ces deux côtés ?
Premièrement je suis bipolaire, ça craint. Mais elle s’explique par le fait que j’ai une déclinaison de personnalités, des différentes versions de moi. Je pense que ma partie la plus douce s’appelle Raeen Rose, la chanteuse, qui est dans un délire de sentiments profonds, c’est parfait parce que c’est la personne que je suis la plupart du temps. Beaucoup ne savent pas que je suis extrêmement sensible, quand on me regarde on se dit : « Elle ne porte que du noir, elle a tué 50 000 personnes. » Non mais j’ai l’air d’avoir tué quelqu’un ?
Tu t’es autoproclamée comme la nouvelle Frida Kahlo. Pourquoi t’identifier à elle ?
Ce que Frida Kahlo représente pour moi ? La première personnalité androgyne dans la sphère publique. Elle n’épilait pas sa moustache, c’est pour ça que les gens aiment Frida Kahlo aux États- Unis ou prétendent l’aimer je pense. Pour moi, elle est plus que ça. Si vous connaissez toute son histoire, son mari l’a trompée, alors elle l’a trompé avec chaque femme avec qui son mari avait été infidèle. Et elle a fait ce tableau qui s’appelle Ma nourrice et moi, auquel je m’identifie clairement par rapport à ma maman, ma vie, tout ça… Mais en même temps je l’aime bien parce qu’elle a dit : « Je me peins, parce que je suis si souvent seule. » Elle se comprend plus profondément qu’elle ne comprend autre chose au monde car elle est toujours seule. En tant qu’artiste qui se confesse en musique, un réflecteur émotions, à quel autre modèle je peux aspirer ressembler?
Tu as fait de nombreuses collaborations musicales avec des artistes de différents horizons comme Iggy Azalea ou Woodkid. Tu choisis d’abord l’artiste ou la chanson ?
C’est vraiment un mélange des deux. Certains font de la très bonne musique mais je ne veux pas collaborer avec des personnes pour la « hype », je trouve ça ennuyeux. J’adore Woodkid parce que c’est un visionnaire : du tournage de ses vidéos comme « Golden Age » à sa texture musicale. Il m’a envoyé ses films quand j’étais en Espagne au moment où je travaillais sur Dirty Gold. J’ai vécu là-bas un mois et je n’avais rien écrit. Il me l’a envoyée et c’est revenu. Woodkid a trouvé ça cool. Et je me disais “c’est canon”. Je n’avais aucune idée d’à quoi ressemblait ce gars, pour moi c’était un mec large genre bûcheron avec une grosse barbe et des vêtements déchirés. Quand je l’ai rencontré ce n’était pas du tout ça. Je trouve ça encore plus cool le fait que la personne derrière toute cette folie n’était pas celle à laquelle je m’attendais. C’est juste la cerise sur le gâteau. Concernant Stromae, j’étais dans le bâtiment d’Universal et j’étais en train d’enregistrer dans la salle juste à côté de la sienne et il m’a dit “Hey, j’aime bien ce que tu fais” et j’étais là genre “J’aime ce que tu fais aussi” et on a fait un remix ensemble juste après. C’était top ! Parfois ça arrive comme ça, spontanément et parfois pas.
Photos : Kop3to