Caballero & JeanJass : « Il y a toujours eu des talents en Belgique »

La Belgique a définitivement le vent en poupe, comme si elle s’était rendue compte de son talent après le triomphe international d’un Stromae devenu l’étendard et l’exemple de tout un peuple. Aujourd’hui complètement décomplexée, une nouvelle génération laisse parler son talent artistique au cinéma, son talent sportif  avec ses irrésistibles Diables Rouges, et donc son talent musical avec une flopée de rappeurs aux multiples facettes. Duo d’un projet, Caballero et JeanJass ont longtemps traîné leurs couplets chacun de leurs cotés, au sein de différents collectifs et groupes respectifs (Les Corbeaux et Exodarap) avant de s’allier sur un EP collaboratif, Double Hélice. Rencontre de deux dignes représentants du rap francophone.

Photos : Kevin Jordan

Que signifient vos noms d’artiste ? Caballero doit avoir un rapport avec ton lieu de naissance (Barcelone), et Jean Jass avec ton prénom Jassim on imagine ? 

Caballero : Pour moi c’est très simple, pour ceux qui ne le savent pas encore c’est mon nom de famille ! Real name no gimmicks.

JeanJass : Je m’appelle Jassim et j’ai la particularité d’avoir un deuxième prénom qui est Jean. Le jour où mes potes l’ont découvert ils ont commencé avec cette histoire de JeanJass et, très honnêtement, ça me cassait les couilles ! Par la suite, j’ai remarqué que les gens retenaient facilement le blaze, il n’était pas si pourri après tout !  Je ne remercierai jamais assez mes potes pour cette trouvaille.

Votre rap est teinté d’auto-dérision et d’ironie, tout en restant  très sérieux et terre-à-terre. Du rap François Damiens par les héritiers de James Deano en somme. Est-ce une définition qui vous parle ?

C : Oui ça me parle, si quelque chose devait nous différencier du reste de la francophonie, je pense que ce pourrait être cet aspect : « Ne pas se prendre au sérieux tout le temps ! » Je trouve que ça manque quand même dans ce « rap musique ».

JJ : C’est une définition parmi d’autres. C’est clair que l’humour tient une place importante dans le projet. Je suis un grand, ce qui ne veut pas forcément dire « bon », blagueur  (rires, ndlr)! Malgré ça, je ne me sens pas vraiment l’héritier de Deano, qui est une référence et probablement l’un des meilleurs en Belgique, car je ne veux pas être rangé dans la case « rigolo ». Ma musique est comme la vie, drôle ou triste selon les périodes.

On peut surtout vous définir, sur ce projet en tout cas, par l’ambition de mettre en avant un egotrip parsemé de votre ambition de faire de l’argent, le tout avec une confiance extrême en tant que MC’s.

C : Très bonne analyse. En fait l’egotrip est un exercice qu’on aime tous les deux pratiquer, du coup c’est venu assez naturellement. En plus, on était dans une période où on voulait être plus léger. Il y a une envie de se prouver à nous-mêmes qu’on est capable de divertir le public aussi.

JJ : Je laisse à chacun l’opportunité de se faire un avis sur le projet, c’est difficile pour moi de le définir. Nous avons essayé de faire un projet divertissant, dynamique, rythmé et bien écrit. L’egotrip est une de nos marques de fabrique et il était tout naturel pour nous de cracher un max de flammes sur ce rap jeu. On veut que tout le monde comprenne bien qu’on est chaud et ambitieux. Toutefois, ceux qui nous suivent depuis le début savent que notre musique ne se limite pas à de la frime. Il suffit d’écouter un morceau comme « Rien de grave« , produit par Le Seize, pour s’en rendre compte.

Quelles sont vos influences rap ? Quand on est Belge et entouré de voisins néerlandais, français, allemands…

JJ : De partout et de toutes les époques. Personnellement, mes premières influences en flow sont new-yorkaises : Nas, Big L, Prodigy de Mobb Deep, Kool G Rap ou plus récemment des gens comme Action Bronson ou A$AP Rocky. J’aime beaucoup le style TDE, avec une préférence pour Ab-Soul. En francophonie, je suis un vieux fan d’Akhenaton qui, selon moi, a écrit les textes les plus intéressants du rap français. Aujourd’hui, j’écoute de tout. Pas forcément du rap d’ailleurs. La Belgique est un pays de passage, le carrefour de l’Europe, et il y a un milliard de choses ou de personnes qui peuvent m’inspirer une idée.

C : Si je devais citer des noms d’artistes la liste serait beaucoup trop longue… Mais principalement du rap américain, du rap français et du rap belge. Il faut savoir que le rap français (surtout parisien et marseillais) a toujours été une grande référence pour nous les Belges. On était admiratif de nos voisins qui faisaient du si bon rap. C’est sûrement une des raisons pour lesquelles cette musique a pris place dans le Plat Pays.

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Fini les clichés de la BD ou des moules-frites, comme le football avec la génération talentueuse des Diables Rouges, le rap et la musique belge ont le vent en poupe en ce moment. Comment vous expliquez ce renouveau dans cette génération?

: Franchement depuis pas mal d’années déjà il y a du très bon rap ici, ce qu’il n’ y avait pas c’était des médias assez importants pour diffuser la musique. Ce qui a changé la donne c’est l’arrivée d’Internet, on a enfin réussi à attirer l’attention et diffuser le truc grâce à ces bons vieux réseaux sociaux !

JJ : Tout d’abord par la qualité et la quantité de travail qui a été fournie par cette génération. Les talents ont toujours été présents, il manquait juste un peu de boulot, d’unicité et d’ambition. Aujourd’hui nous sommes devenus un mouvement plus fort qu’il ne l’avait jamais été par le passé ! Aussi, il ne faut pas négliger l’apport des réseaux sociaux qui nous ont permis de faire notre propre promo et de nous exporter. Les outils promotionnels classiques (télé, radio…) mis a notre disposition sont très rares chez nous. On a charbonné pendant 10 ans avant de rencontrer le succès relatif de ses dernières années.

Quelle est votre sentiment justement sur les artistes émergents de la scène rap francophone belge (Hamza, Damso, Nixon, Négatif Clan…) ?

C : Comme je dis il y avait des très bons artistes auparavant et ça continue, c’est juste qu’on les voit et on a l’occasion de les écouter. Personnellement je suis un grand supporter de la nouvelle scène belge et plus précisément bruxelloise ! Force à tous mes collègues, on va tout défoncer (rires).

JJ : Ça me rend fier ! Je connais plus ou moins toutes les personnes que tu viens de citer et je sais que ce sont tous des bosseurs. Ils représentent le coté un peu plus mainstream de notre mouvement, sauf pour Négatif Clan bien-sûr, qui eux sont 100% street. Il y aussi des gens comme Roméo Elvis ou L’or du Commun qui ont rafraîchi notre mouvement avec un style super original. Force à tous ces gens !

Vous vous connaissiez avant d’entamer cette collaboration, vous aviez vous-mêmes déjà collaboré d’une autre façon en 2014 avec « Le pont de la reine ». Comment en êtes-vous venus à décider de faire un projet entier ensemble ? 

C : Encore une fois très naturellement. On travaille tous les deux au Blackared, le studio d’amis de longue date. Tout est fait en famille, du coup l’aventure qu’on avait commencé avec « Le Pont de la Reine » a continué mais cette fois sous une autre forme,  la Double hélice.

JJ : On fait du son ensemble depuis quelques années déjà, bien avant « Le pont de la reine ». C’est venu très naturellement. On a créé le morceau « Yessai » en premier sans se dire qu’on était parti pour un 10 titres. On s’est dit qu’on tenait une belle cartouche et qu’on ferait bien d’autres morceaux ensemble. 1 an plus tard, Double Hélice était né.

Pourquoi ce projet commun alors que aviez déjà connu une longue expérience en groupe/collectif respectivement ?

: C’était une expérience qu’on voulait tous les deux vivre , on en parlait depuis assez longtemps déjà mais le truc s’est officialisé après qu’on ai fait « Yessai » . On a trouvé le résultat vraiment intéressant et réussi donc on s’est dit que c’était le bon moment d’unir nos forces !

JJ : Bon ok je vais te dire la vérité :  Caballero m’a proposé une mallette pleine de billets de 500 contre deux ou trois prods et quelques couplets. Voilà.

Lomepal, Le Seize, Hologram Lo’… Vous semblez apprécier le formule EP en duo, soit producteur/rappeur ou rappeur/rappeur.

C : Oui , j’aime beaucoup ces défis et expériences . En plus de ça, on se donne de la force mutuellement en s’unissant autour d’un projet. Que du positif !

JJ : Les duos dans le rap existent depuis le début. On ne fait que suivre des recettes classiques, en rajoutant quelques épices par-ci par-là. Sur scène nous devenons même un trio avec DJ Eskondo (Exodarap Crew). C’est une affaire de famille.

Caballero, comment s’est faite la rencontre avec Hologram Lo’ et l’affiliation à Don Dada ? Peux-tu décrire la nature de votre relation aujourd’hui et ton statut au sein de l’écurie ?

C : J’ai rencontré Lo’ via mon gars Lomepal au moment du projet Le singe fume sa cigarette. Une grosse amitié en est ressortie et depuis on avance parallèlement mais en se suivant et en se donnant de la force ! Plus récemment, ils m’ont fait confiance et m’ont demandé d’accompagner Alpha lors de toutes ses dates, histoire de backer, d’ambiancer les concerts et de faire quelques morceaux sur scène. Encore une fois, on unit nos forces pour aller plus haut. Je suis un affilié Don Dada sans que ce soit vraiment officiel même s’ils me traitent et me voient comme un membre du gang. Tout un honneur pour moi parce que je suis fan de leur image et de tout ce qu’ils font.

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Des mecs comme Alpha Wann, Hologram Lo’ avec 1995 ou L’entourage sont une inspiration pour vous ?

C : Évidemment, j’aime beaucoup ce qu’ils font et la façon dont ils entreprennent pour que leur musique aille le plus loin possible .

JJ : Certains d’entre eux sont devenus des amis comme Alpha ou Lo’, ça va au-delà du rap. J’ai beaucoup d’estime pour leur musique et leur démarche. Ils ont bouleversé le game en France et ils sont forcément devenus une grosse influence pour énormément d’artistes. Nekfeu nous a invité pour sa dernière date à Bruxelles devant des milliers de personnes ! C’est un geste fort que je n’oublierai pas. « Shout out » à la famille parisienne.

Vous n’êtes pas un groupe à proprement parler, néanmoins votre duo fonctionne. Envisageriez-vous de remettre le couvert ensemble si Double hélice est un succès? 

: Oui pourquoi pas, on en a déjà parlé. Maintenant il ne reste plus qu’à passer à l’acte !

JJ : Seulement si Caba me donne une autre mallette pleine de billets.

Pour finir, que feriez-vous si ne faisiez pas de musique aujourd’hui? 

C : Un job qui me ferait chier (rires) !

JJ : Je ne préfère pas me poser la question. Cette musique, c’est tout ce que je sais faire !

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