Reseller : lâche-moi tes baskets !
Acteurs incontournables de la communauté grandissante de la basket, les resellers sont de plus en plus actifs dans une période où la sneaker n’a jamais semblé aussi prisée. En plus de cette nouvelle notoriété s’installe la pensée persistante que ces revendeurs sont responsables de beaucoup des plaies du milieu : pénurie des produits ou prix parfois exorbitants qui se pratiquent à la revente. Peut-on tout leur mettre sur le dos ? Éléments de réponse auprès de ceux qui sont accusés de marcher à côté de leurs pompes.
Photos : Jérémie Masuka
XI Concord, Infrared VI, I Bred, Foamposite Galaxy, Gel Lyte V Fieg… Pour beaucoup ces noms n’évoquent rien. Pour d’autres, ce sont de véritables sésames et… des dollars en perspective. Le resell de sneakers, un anglicisme qui définit la revente de basket le plus souvent par des passionnés, hors du sillage des points de vente. Boosté par un « baby-boom » version sneakerhead ces dernières années et un appétit vorace pour les paires rares, ce marché secondaire a passé l’an dernier la barre du milliard de dollars. Pour ses multiples adeptes, c’est une compétition où chacun veut le modèle que les autres n’ont pas, et où revendre à forte plus-value est perçu comme une pratique tendance. Le phénomène n’a rien de nouveau, les resellers ont toujours fait partie de la communauté sneaker. Mais plus qu’avant ils semblent avoir pris une place imposante dans le circuit. Une emprise qui dérange et fait germer l’idée qu’ils sont la cause de l’inflation des prix, à une époque où certains produits peuvent ne durer que quelques heures en rayons.
Désormais une des capitales du milieu, Paris abrite aussi ses propres protagonistes. Julien, plus connu sous l’appellation de Larry Deadstock, est l’un d’entre eux. Larry pour « le côté US » et Deadstock pour « la référence aux sneakers ». Comme la majorité des collectionneurs, sa passion vient d’une enfance à baver sur des paires alors inaccessibles. Puisant son inspiration chez Michael Jordan et Michael Jackson, ses premiers bons souvenirs chaussés sont colorés : « La LA Gear cloutée ! Quand je la portais à l’époque, on me prenait pour un extraterrestre ! » Reconnaissable à une « barbouze » devenue sa marque de fabrique, Larry tombe par hasard dans la revente il y a une dizaine d’années. Le déclencheur surgit lors de l’acquisition d’un lot de soixante paires Fila à un routier sur Le Bon Coin. Achetée 5 € la pièce, il les revend chacune 60 € en un mois. Boom ! Ce bon plan lui met définitivement le pied à l’étrier et pose les bases de son business. Malgré tout, cette activité ne reste qu’un hobby, un prolongement de passion pour un collectionneur forcené d’Air Force 1 et consommateur sélectif : « Pas besoin de porter une paire par jour, j’ai une rotation de trente paires et une centaine que je ne vendrais jamais. »
Sois le premier ou paie le prix fort !
Chaque jour de sortie exclusive, c’est la même rengaine. Les prix s’envolent en même temps que la frustration des déçus. En plus des acheteurs classiques, il faut faire avec ceux qui s’en procurent pour tenter de revendre l’objet 1,5 à parfois 5 fois plus cher quelques heures plus tard. Pour mériter son dû, il faut se lever très tôt. Be first or pay hard money. « Il y a quatre-cinq ans, pour récupérer sa paire, il suffisait de venir à 6 ou 7 heures du mat’ pour l’ouverture du magasin à 10 heures. On était une vingtaine, sûrs de l’avoir. Maintenant, pour n’importe quelle sortie, les gens se mettent à camper deux ou trois jours à l’avance. C’est un bon baromètre », témoigne Larry. Se considérant « trop vieux » pour se planter devant les boutiques et surtout peu enthousiaste à l’idée de passer « trois jours dehors pour des clopinettes », il achète à d’autres resellers, « de 20 € de plus à trois fois le prix », en sortie de magasin pour revendre ensuite à son tour. Un système pyramidal amenant parfois un produit à passer, de la sortie du magasin au porteur, par quatre ou cinq personnes différentes. Quand ce n’est pas du rachat en direct, c’est sur Internet qu’il se procure ses trouvailles, le digging. Quid des arrangements avec certains shops ? Très rare, cela reste un tabou dans le milieu. Il faut mériter sa récompense, comme l’explique notre interlocuteur : « Le consommateur qui veut payer le prix normal doit s’en donner les moyens. Pour obtenir toutes les paires que je revends, je ne suis pas Superman. Quand on souhaite arriver à ses fins, on y arrive. Ceux qui ne veulent pas payer une paire plus chère n’ont qu’à venir la veille à 17 heures et rester toute la nuit devant, et ils l’auront. »
« Il y a quatre-cinq ans, pour récupérer sa paire, il suffisait de venir à 6 ou 7 heures du mat’ pour l’ouverture du magasin à 10 heures. Maintenant, pour n’importe quelle sortie, les gens se mettent à camper deux ou trois jours à l’avance. » – Larry Deadstock, reseller
Faut-il pour autant tout mettre sur le dos des resellers ? Il faut plutôt distinguer les passionnés des revendeurs qui spéculent sur un produit tendance en produisant un « overpricing », faussant le marché seulement dans l’optique de faire un rapide profit. Un usage qui empêche les « vrais » amateurs et collectionneurs d’obtenir ce qu’ils veulent au prix retail affiché en boutique. « Certains pensent qu’en un claquement de doigts ils vont devenir riches avec les baskets, il y a un fantasme du reseller multimilliardaire qui n’existe pas. Ils arrivent dans le business et pensent pouvoir vendre plus cher que Flight Club, qui pratique les prix les plus élevés, se défend Larry. Il y a des revendeurs d’un jour qui voient que la Yeezy marche et tentent de la revendre un maximum. » Prêchant pour sa paroisse, il souligne malgré tout le point positif du resell : « En tant que collectionneur et acheteur, le resell permet de remettre la main sur des modèles sortis en 2004 ou 2005 qu’on a complètement zappés. Et là, on est content de payer plus cher. Faut être juste au niveau des prix.»
Vends-là !
Les revendeurs ne sont qu’un maillon de la chaîne, les rennes du business sont tenus et maîtrisés par les marques. Le cas de Nike est certainement le plus significatif. Ses nombreux modèles iconiques et ses fans inconditionnels font depuis longtemps tourné la légende du swoosh. La firme de l’Oregon a compris que la limitation et l’exclusivité accroissent le désir, valorisent le produit, à l’image du luxe. Chaque sortie est le fruit d’une stratégie précise fondée sur un équilibre entre des prix et des quantités jamais trop élevés. En s’assurant que l’offre n’atteigne jamais vraiment la demande, elle alimente également un marché secondaire qui concentre des millions d’adeptes, et cultive ainsi son image auprès de ses consommateurs. Une publicité gratuite.
« Certains pensent qu’en un claquement de doigts ils vont devenir riches avec les baskets, il y a un fantasme du reseller multimilliardaire qui n’existe pas. » – Larry Deadstock, reseller
Yeezy, Just Don, Concord et autres raretés ne sont que l’arbre cachant la forêt. Derrière ces modèles prisés qui servent de vitrine, ce sont les ceux soumis à la grande distribution, appelés general releases, qui renflouent les caisses. « Si ce n’était pas Kanye West, la Yeezy Boost serait tout le temps en magasin et les gens pourraient l’acheter tranquillement, même trois semaines plus tard. Mais il y a un travail des marques créant la frustration et le buzz. La meilleure des pubs », appuie Larry. Hypebeasts, resellers, marques, autant d’acteurs d’un business d’initiés. Les revendeurs paraissent être des coupables idéaux dans ce système, mais, comme dans chaque marché où la demande dépasse de loin l’offre, ils sont inévitables. Combien de temps cela durera encore ? Notre confident nous répond par une comparaison musicale : « C’est un peu le même phénomène que dans le rap, où il y a sans cesse de nouveaux styles, comme la trap… Tous les gens pensent que ça va mourir dans un ou deux ans, mais il y a toujours quelque chose de nouveau pour relancer la machine et, au final, il y a de plus en plus d’adeptes. »