L’optimisme du trio Sy-Toledano-Nakache peut-il vraiment être contagieux ?

Sorti sur les grands écrans cette semaine, Samba constitue la quatrième collaboration entre Omar Sy, Olivier Nakache et Eric Toledano. Trois ans après l’immense succès d’Intouchables, ce trio d’autodidactes, perçu comme un vent de fraîcheur incontournable de notre cinéma populaire national, confirme son tournant assumé vers la comédie sociale. Mais à mesure que leur approche solaire sensibilise le grand public à des thèmes société de plus en plus délicats comme l’immigration, les banlieues ou l’exclusion ; la probabilité de voir leur idéal de mixité culturelle aboutir à un consensus bancal s’agrandit, avec ce risque inhérent de conforter la France dans sa posture bienpensante et ses propres contradictions.

Animer la société française comme en colo

Bien avant l’explosion d’Intouchables, la pâte d’Olivier Nakache et Eric Toledano était déjà palpable. Les deux amis l’ont toujours répété et assumé : ils ne sont pas réalisateurs à l’origine, ce qui s’est avéré être une force d’insouciance et de fraîcheur quand il a fallu s’affranchir des canons classiques des films de comédie à la française pour proposer un regard différent et éclectique dans le divertissement et la création d’émotions.

Si l’on cherche à savoir d’où vient leur fraîcheur et leur énergie compensant leur absence de formation cinématographique, l’habillage musical de leurs créations reste souvent une bonne piste. Que ce soit MJ époque Jackson Five, The Braxtons, Earth, Wind and Fire ou encore Stevie Wonder, les bandes-originales de leurs films, très souvent connotées soul-funk et r’n’b, pourraient très bien faire office de playlist de mariage ou de booms de collégiens. Et c’est là qu’on se remémore que l’identité très pêchue et familiale de leurs créations découle principalement de l’endroit où leur histoire commune avait commencé : les colos. Avant de devenir réalisateurs, Nakache et Toledano se sont d’abord rencontrés en tant qu’animateurs de colonie de vacances, activité qui se révèle être une école de vie en communauté indélébile, et qui peut forger autant la capacité de mener une aventure humaine collective comme la réalisation d’un long-métrage qu’une vision résolument optimiste du vivre-ensemble de nos sociétés.

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Cette vie de « monos » les a tellement marqués que ce fut l’objet de leur premier court-métrage et de leur premier succès au grand écran, Nos Jours Heureux. De la création d’animations telles que les sketchs ou les veillées, à la gestion de jeunes turbulents et de conflits, en passant par l’organisation logistique de plusieurs jours de camp de vacances, les deux réalisateurs ont su cultiver une empathie et des qualités humaines qui leurs ont servi pour gérer une équipe de tournage, aider les acteurs à trouver la bonne réplique et le ton juste pour toucher les Français à grande échelle. En somme, le tour de force entrepris par Olivier Nakache et Eric Toledano reste d’insuffler à la société française ces bonnes ondes cultivées par leurs expériences passées en séjours de vacances, lieux où les soucis personnels doivent s’effacer et où des rencontres improbables peuvent se créer.

S’arranger avec la réalité, ou les écueils de la comédie sociale

En proposant des relations d’amitié et/ou sentimentales entre les différents rôles d’Omar Sy avec des personnages – aussi bien celui de Charlotte Gainsbourg dans Samba ou François Cluzet dans Intouchables – qui ne sont pas issus de leurs milieux sociaux et qui ne partagent pas les mêmes origines culturelles, les réalisateurs affichent leur volonté de faire bouger des lignes.

En analysant le succès d’Intouchables, Eric Toledano s’était réjouit que parmi ses 19,4 millions de spectateurs, deux Frances distinctes avaient regardé son film et s’étaient émues de ce conte de fées à la française. Seulement si ce projet fédérateur semble bienvenu à une époque où notre société est en proie au doute et au repli sur soi, son impact dans l’imaginaire collectif français, en dépit du ras-de-marrée médiatique qu’il a produit, reste à nuancer, chose que le réalisateur Spike Lee ne s’est pas privé de faire avec un saillant « Intouchables ? L’homme noir qui montre la lumière au blanc ? Déjà vu.  » Au même titre qu’une colonie de vacances neutre et éphémère où l’on promet de se revoir à la fin, l’élan d’ouverture commun de ces deux Frances – décrites par Eric Toledano et qui le temps d’un film se sont reconnues et  acceptés l’une et l’autre – se dissipe dans les méandres de leurs réalités respectives.

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Pour préserver cet élan commun précaire, les deux réalisateurs adoptent un ton qui  ne se veut en aucun cas satirique, et encore moins militant, à l’inverse de leurs modèles, que ce soit les comédies sociales italiennes ou encore les réalisateurs britanniques Ken Loach et Stephen Frears. Ainsi, la force narratrice des films d’Olivier Nakache et Eric Toledano dépend davantage de la rencontre improbable de personnages très différents que du contexte en lui-même, reléguant les problématiques sociales dans un rôle bien secondaire. Dès lors, dans cette volonté cinématographique de vouloir interpeler certains dysfonctionnements de notre société que les réalisateurs n’ont pas toujours vécus, l’exercice qui consiste à s’arranger avec la réalité peut facilement se bâcler, provoquant davantage des réactions de complaisance gênantes que de prises de conscience substantielles. Et si elle permet d’apporter un angle frais au tout début, la formation autodidacte d’Olivier Nakache et Eric Toledano offre également de nombreux risques quand il s’agit d’évoluer juste après : l’absence de recul, le manque de cohérence, ou des répétitions hasardeuses. Après le succès de Nos Jours Heureux, on avait notamment reproché à leur troisième long-métrage Tellement Proches où les réalisateurs ont commencé à injecter par-ci par-là davantage de problématiques de société comme les banlieues, la délinquance ou le mélange des cultures – une dernière partie maladroite et excessivement dégoulinante, comme si les deux réalisateurs avaient du mal à avancer et conclure une fois les rencontres originales créées et les problématiques soulevées. Même si le trait s’est affiné par expérience, et ce notamment avec l’histoire vraie qui a inspiré Intouchables, on peut se demander si Samba pourra éviter ces écueils.

 L’étiquette « caution diversité » de la discrimination positive

Avec leur insouciance originelle, le duo de réalisateurs pourrait être perçu comme un nouveau type de Don Quichotte dans une quête d’un rêve multiculturel, et qui serait tombé sur le meilleur cheval de bataille qui soit en la personne d’Omar Sy.

Avec une douzaine d’années de collaboration depuis leur premier court-métrage de Ces jours heureux, l’humoriste cultive peu à peu le profil parfait pour devenir leur comédien favori : simplicité, bonhommie et surtout un apprentissage du jeu d’acteur sur le tas. Repéré sur Radio Nova en 1997, boosté par Le Cinéma de Jamel sur Canal+, son duo avec Fred Testot finit par s’installer dans le showbiz humoristique français avec le SAV des émissions qui concluait le Grand Journal de Denisot pendant six saisons. Malgré son humour potache à souhait qui faisait office de fil rouge, la série a permis à cet humoriste généreux de s’adapter à des rôles comiques différents avec une légèreté déconcertante, démontrant sa capacité à ne pas vraiment se prendre trop au sérieux.

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Partout où il passe, que ce soit au cinéma, avec des rôles de moins en moins secondaires, à la télévision ou sur scène, Omar transmet naturellement des bonnes vibes dont le duo Toledano-Nakache est friand. D’autant que son « pédigrée », Français d’origine sénégalo-mauritanienne de Trappes à la personnalité solaire et fédératrice (ou consensuelle, c’est selon), s’avère être parfait pour construire une évolution commune et promouvoir leur idéal métissé. À cet égard, jusqu’au succès retentissant et inespéré d’Intouchables, Omar Sy avouait a posteriori cultiver un réel complexe de légitimité dans la profession de comédien, jusqu’à ce que son César de meilleur acteur vienne valider ce qu’il appelle le « bac en cinéma ».

Pour autant, peut-on réellement affirmer que le succès et les récompenses sous-jacentes de ce film ont fait dissiper les relents de discrimination positive à l’égard de son parcours digne d’un rêve à la française ? Avec la déferlante Intouchables, qui les a par ailleurs tous complètement dépassés, Omar est devenu Monsieur Sy, a pu enfin s’essayer à des rôles non-burlesques dans l’Ecume des Jours de Michel Gondry, et surtout est devenu le comédien français le plus bankable d’Hollywood, passant d’un rôle d’ambassadeur des banlieues à celui d’une France qui devrait être à l’aise avec sa pluralité culturelle et sociale aux yeux du monde entier. Le signal est fort et l’histoire est belle, lui le banlieusard noir en haut de l’affiche d’un cinéma français souvent décrié comme un milieu de « fils de », mais le prix à payer sera cette étiquette de « caution diversité » dans l’imaginaire collectif français, qui risque de masquer ses performances pendant un bon bout de temps.

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