Kim Chapiron : « Avec Romain, on met sur papier des projets de long métrage. »
En février 2013, nous étions en studio avec Kim Chapiron en plein mixage de son nouveau long métrage, La Crème de la crème. Alors en total immersion dans la post-production, le cinéaste a pris quelques instants pour répondre à nos questions. Une interview qui explore l’histoire cinématographique du cofondateur de Kourtrajmé, de ses débuts à son dernier film, en entrouvrant la porte de l’avenir.
Quels ont été les éléments déclencheurs qui t’ont amené au cinéma ?
C’est la BD, mon père faisait pas mal de BD et donc, par mimétisme, conscient ou inconscient, j’ai voulu faire la même chose. J’ai commencé à écrire des histoires et à penser découpage, car la BD c’est du découpage et de petites histoires. C’était des histoires très courtes qui faisaient quatre ou six pages et c’est ce qui m’a amené au court métrage. Le déclencheur, c’est qu’à l’époque où je dessinais beaucoup, j’ai eu la chance de vivre la montée en puissance de l’équipe Vincent Cassel, Mathieu Kassovitz, Assassin, que je voyais depuis pas mal de temps faire leurs choses dans leur coin. Et du jour au lendemain Métisse a vraiment révélé toute cette clique. C’est Métisse qui m’a donné envie de transformer la BD en court métrage. Mathieu Kassovitz a commencé à jouer dans nos vidéos, puis Vincent Cassel qui a eu une grosse implication et avec qui on est devenus très proches. C’était le début de tous les courts métrages qu’on a fait avec Romain Gavras, Sheitan y compris.
Koutrajmé a-t-il influencé ton cinéma, qui peut sembler un peu différent?
Kourtrajmé a été un incroyable laboratoire où tout était permis, donc forcément ça a influencé la suite quand on est arrivés au bout de cette expérience de groupe. C’était une expérience de meute, on faisait tout ensemble, on sortait ensemble, on dormait ensemble. Ça a forcément influencé la dynamique de travail des films qui ont suivi, des longs métrages, en tout cas. Tout vient de ce moment. C’est là qu’ont pris naissance les amitiés et les collaborations qu’on a d’ailleurs conservées avec tous les membres de Koutrajmé.
Les réalisateurs et vidéastes d’aujourd’hui ont-ils été influencés par Kourtrajmé, selon toi ?
Je pense que le fait que nous ayons pratiqué cette liberté est lié à cette chance d’être arrivé au tout début d’Internet. On a atterri sur les premiers réseaux de diffusion Internet qui nous ont permis à l’époque d’être mis en avant par une multitudes de sites, car il fallait du contenu. Je pense que nous aussi, nous avons bossé avec l’idée de profiter de tous les réseaux de diffusion possibles.
Je pense que Kourtrajmé a contribué à nous décomplexer au niveau de la vidéo, où avant on se disait que c’était seulement l’affaire des grosses équipes, des grosses lumières… Nous, on avait une vraie liberté de ton qui faisait qu’on se permettait tout, car il n’y avait aucun enjeu. On n’avait aucun compte à rendre à aucun producteur, à aucun diffuseur. On était extrêmement sauvages. Tout se faisait de manière extrêmement décomplexée et si Kourtrajmé a montré un chemin, c’est bien celui-là.
Avec Romain Gavras, vous avez été les deux têtes pensantes de Kourtrajmé. Que penses-tu de son évolution et de ses projets ?
Moi, je suis un fan absolu de Romain et je trouve parfait l’enchaînement du clip de M.I.A. et de « No Church In The Wild ». Se retrouver deux fois nominé aux Grammy Awards, c’est quand même assez dingue. Quand tu penses qu’il a mis des costumes à des flics grecs en train de faire une guerre civile en se servant de la puissance médiatique de Jay Z et Kanye West, c’est vraiment génial ! Je trouve que ce que fait Romain en termes de propagation d’idées folles est vraiment incroyable.
Est-ce que vous envisagez de faire une nouvelle coréalisation ?
Pour « No Church In The Wild », j’étais en seconde équipe et, sur La Crème de la crème, Romain était aussi en seconde équipe. C’est systématique. Mais une collaboration officielle sur laquelle on coréaliserait tous les deux, on a différents projets qu’on est en train de mettre sur papier, oui. Plutôt du long métrage.
Comment expliques-tu le succès international de Sheitan ?
Vincent a été une pièce maitresse dans l’exposition internationale. Je sais par exemple qu’en Russie, à l’époque où on est sorti, ils adoraient Vincent Cassel.
Le long métrage a été classé film d’horreur, mais je ne pense pas que ce soit spécialement le cas, je suis toujours incapable de dire quel est le style de Sheitan. La carte « horreur » entre dans le film de genre, c’est ce qui s’exporte le mieux.
Peux-tu nous parler de la Crème de la crème, ton dernier film ?
C’est un groupe d’étudiants à HEC qui monte un réseau de prostitution. Ils vont mettre en pratique toutes leurs connaissances et leur savoir-faire, car ce sont des jeunes gens plutôt brillants et leur association va très bien marcher. C’est l’histoire d’une expérience qui va se transformer en grande entreprise qui va cartonner dans le campus.
Comment t’est venue l’idée du scénario ?
C’est la rencontre avec Noé Debré (le scénariste) et Benjamin Elalouf (le producteur) qui a fait naître le projet. Quand je les ai rencontrés, j’ai vraiment flashé sur cet univers. Ensuite, avec toute l’équipe de production et Alexandre Syrota (le coproducteur), on s’est promenés sur le campus d’HEC, on a fait les élections des futurs BDE (NDLR : bureau des étudiants). On a exploré l’univers des grosses fêtes et le fantasme qu’on a des écoles de commerce, on s’est baladés un peu partout : Grenoble, La Rochelle, l’ESCP (École supérieure de Commerce de Paris). On s’est un peu infiltrés dans ce monde où il y a un folklore incroyable, c’est surtout ça qui m’a donné envie. De là, en pêchant des petits bouts de réalité et en mélangeant ça avec la plume de Noé, on a écrit La Crème de la crème.
Comment fais-tu pour tourner des sujets très simples (scolarité, prison…) avec des angles toujours originaux ?
Ce qui m’intéresse, c’est de clore une trilogie autour de l’adolescence. Les thématiques générales qui m’intéressent dans les trois films sont aussi bien le jeune âge, donc le passage de l’enfance à l’âge adulte, que les personnages que l’on n’aime pas.
Dans Sheitan, a priori on n’aime pas les trois gars qui sont en boîte de nuit et qui font chier. Ces mêmes types qui se font péter une bouteille sur le coin de la gueule et qui se retrouvent en dérive. Dans Dog Pound, ce sont de jeunes délinquants et, dans la Crème, ce sont les premiers de la classe depuis le primaire.
Pour se retrouver dans ces écoles il faut être premier de la classe dès le début, on n’aime pas les premiers de la classe. On parlait avec un jeune étudiant d’HEC qui nous disait que la seule et unique question qu’il s’était posée depuis le début de sa scolarité était : « Comment je vais réussir à rentrer à HEC ? ». On est avec des gens qui ont un but et qui l’atteignent, des gens extrêmement déterminés.
Ce que j’aime bien, c’est présenter des personnages a priori antipathiques et de les rendre touchants. Puis d’observer ces contradictions, qu’il s’agisse de mecs du dernier ou du premier rang. Les personnages de Dan, Jaffar, Louis et Kelly sont quatre protagonistes qui apparaissent détestables au vu de leurs actions et de leurs statuts : le premier réflexe est de les détester et, pendant toute leur trajectoire, on apprend à les aimer. Moi, l’exercice qui m’amuse, c’est de jouer avec cette contradiction : comment on peut être touché et attendri par quelqu’un que l’on déteste a priori.
Vas-tu passer à autre chose que l’adolescence dans tes futurs projets ?
Je pense que oui, car ce n’était pas stratégique de me retrouver là encore à bosser sur un film avec de très jeunes gens qui envoient vraiment de la grosse prestation. Continuer à travailler avec de jeunes acteurs, c’est aussi un vrai confort car il y a un lâché prise que je retrouve systématiquement. Partir dans un autre univers me donne envie aussi, mais c’est surtout par rapport à ce que je vis. Avec Kourtrjamé, on était constamment dans une même direction avec cet effet de meute, on a toujours bossé avec l’environnement. Étant père de famille et changeant d’univers, je pense que naturellement je vais avoir des acteurs plus âgés. L’idée est d’être en accord avec ce que l’on vit
Comment expliques-tu le laps de temps assez long que tu laisses entre chacun de tes films?
Je ne suis pas pressé. Chaque moment dans la construction d’un film me nourrit énormément : que ce soit l’écriture où on partage des choses beaucoup plus intimes, ou le tournage où on se retrouve avec toute une équipe. C’est encore extrêmement différent. Et maintenant, la postproduction qui est un moment que j’adore. Moi, j’ai commencé par ça, où justement je passais mes journées dans des salles noires à trafiquer des petits boutons et à regarder des écrans. Je prends autant de plaisir dans les trois étapes de la construction d’un film, donc j’en profite, je prends du bon temps.
Quelles sont tes attentes par rapport au film ?
Passer un bon moment et faire de belles projections. De mes trois films, c’est celui qui tend le plus vers la comédie, donc ça va être nouveau d’avoir des salles qui rigolent. Car il y a des scènes où officiellement on est là pour vraiment se marrer. D’un autre côté, comme tout ce qui touche aux extrêmes, l’objectif est de mêler ça aux contradictions. On va avoir le cul entre deux chaises, ce qui est mon mood préféré.
Comment vois-tu ta progression et ton évolution en tant que réalisateur ?
Je n’utiliserais ni le mot progression, ni celui d’évolution, mais je pense que ce qui est important pour moi dans la mise en scène, c’est de m’adapter au sujet. À l’époque de Kourtrajmé, on travaillait avec de petits caméscopes. Sheitan était dans une image nerveuse, avec des courtes focales, et Dog Pound dans un rapport très froid, distant et neutre. La Crème est plus chaleureux, ce n’est pas une évolution, mais une adaptation de la mise en scène au service d’une histoire et de personnages.
Respectes-tu toujours le dogme de Kourtrajmé : « Ne jamais écrire un scénario digne de ce nom » ?
À la base, ce dogme, on se l’était donné avec Romain Gavras. Nous étions justement de jeunes fans du Dogme 95 de Lars von Trier et de Thomas Vinterberg qui, à l’époque, avaient fait ça pour justifier Festen (film de Vinterberg) et les Idiots (film de Lars von Trier). On était totalement en admiration devant cette branche de réalisateurs et, d’ailleurs, on l’est toujours. Ils s’imposaient ce qu’ils appelaient un vœu de chasteté. Nous, pour rebondir sur cette vision du cinéma, on avait fait le nôtre, qui en était quand même fortement inspiré. Au début c’était surtout de l’imagerie : on nourrissait notre univers en trouvant des échos dans d’autres cliques de réalisateurs.
« Je jure de ne pas écrire un scénario digne de ce nom », je pense qu’on est toujours assez fidèles à ce dogme-là car on essaie toujours d’avoir un regard un peu sur le côté et de rester toujours ambigus. Nos débuts, nos fins et nos personnages ont toujours des trajectoires assez étranges et on essaie d’affirmer le moins de choses possible. Le dogme est très flou, comme nos histoires, je pense.