Pourquoi Tess, nouvelle chanteuse est déjà à la croisée des chemins
Tout commence par un vague courrier électronique du label évoquant la signature d’une nouvelle artiste originaire de La Réunion. C’est la fin d’année, c’est le genre de mails qui ont tendance à vite s’accumuler si on ne fait pas attention. Je clique, le message s’ouvre, je scroll tellement vite que j’ai pas le temps d’en extraire la moindre information. J’abuse. Pris de remords je remonte au début de la page et clique sans conviction sur le 1er lien qui me tombe sous le nez.
Youtube. J’avance le curseur au niveau de la première minute…au point où j’en suis, hein. Sans rien vous cacher, à ce moment là j’entends plus que je n’écoute. C’est pas contre toi Tess, j’te jure. Mais en vrai y’a un truc qui attire mon attention, je serai très embêté de vous dire quoi. Alors là, je tends l’oreille et j’accroche. Tellement que je rewind le clip, chose que je fais pas souvent. Bien. Y’a un truc actuel dans son délire, un truc qui me donne envie d’en savoir plus. Google. Y’a pas grand chose, assez en tout cas pour situer la jeune artiste. Moi perso j’appelle ça du Cloud&B. Faut pas avoir fait HEC pour comprendre l’étymologie hybride de ce genre musical.
Après quelques échanges E-pistolaire avec le label, rendez vous est pris pour un entretien avec la jeune artiste. J’annonce d’emblée que je ne souhaite pas traiter de son premier E.P (T.E.S.S., sorti le 20 janvier). Non pas qu’il soit nul, bien au contraire. Mais j’estime que pour une première introduction, mieux vaut faire les choses dans l’ordre, donc par une présentation de l’artiste. Château d’Eau, Paris. C’est pas une blague, aussitôt sorti de la bouche du métro que je me fais embrouiller par des rabatteurs : « mon ami, tu veux te couper les cheveux ? Mon frère, tu veux tailler ta barbe ? ». Wow ! Vous voyez pas que j’ai une calvitie ?! Tu ne peux plus rien pour moi. Faut laisser. Gawdamn… Arrivé à l’hôtel Grand Amour, je suis réceptionné par quelqu’un du label. Je suis pile poil à l’heure, faut le noter quelque part. On me dirige vers la pièce où je suis sensé « rompre le pain » avec l’artiste (qui doit sûrement m’attendre). Faut savoir que les journées promo c’est quelque chose. Tout est chronométré, les médias s’enchainent les uns après les autres, y’a un truc assez impersonnel dans l’approche mais faut s’y faire, rien de bien méchant. Tess. Je tends la main qu’elle s’empresse de serrer en faisant un grand sourire de circonstance. Elle est jeune, timide et pas rompue au jeu de la promo, même si on décèle une lueur malicieuse dans ces grands yeux marrons. Ce petit bout de femme se perd dans un sweatshirt noir beaucoup trop grand pour elle.
« C’était comment L.A ? », du moins c’est ce que je crois entendre. En fait il vient de dire « Koman i lé ? », ce qui veut dire « Comment ça va ? » en créole réunionnais.
Tess est originaire de l’île de La Réunion et y a vécu toute sa vie. Je ne peux réfréner un gloussement en repensant à la scène du métro, j’ai envie de lui demander qu’est ce que ça fait de passer du paradis à la jungle mais j’ai peur qu’elle me prenne pour un raciste. Moi. De toutes façons je suis pris de court par mon binôme photographe qui se fend d’un grand « C’était comment L.A ? », du moins c’est ce que je crois entendre. En fait il vient de dire « Koman i lé ? », ce qui veut dire « Comment ça va ? » en créole réunionnais. Voilà. On sera beaucoup à aller se coucher moins con ce soir, c’est sûr. Je disais, la phrase a fait son effet, l’ambiance est plus détendue, on peut donc entrer dans le vif du sujet.
J’ai envie qu’elle me fasse voyager en me racontant son île, ce qui en fait un lieu à part. J’ai envie qu’elle me narre la création d’un de ses morceaux qui j’imagine, a forcément dû tirer son inspiration de son bout de terre niché en plein milieu de l’océan indien. J’ai envie de savoir comment on parvient à se construire musicalement quand on vient de là bas, carrefour culturel impressionnant. J’ai peur de perdre Tess au milieu de tous ces mots, mais l’artiste enquille comme une pro : « C’est petit La Réunion, on y fait le tour en à peine une heure, par contre c’est très varié. Y’a la plage, la montagne et comme le cadre est paradisiaque, on y trouve beaucoup de touristes. J’y ai eu mon diplôme de kinésithérapie et j’ai exercé un mois avant de mettre ça de côté pour me consacrer pleinement à la musique ». Elle attire la sympathie, y’a pas à chier. Tellement gentille, tellement propre que j’ai peur que Paris déteigne sur elle. Vraiment. Et puis je me dis que ça ne lui ferait pas de mal, sincèrement, juste un peu de gris dans ce ciel trop bleu.
C’est pas une posture. Les meufs de la nouvelle scène R&B, très peu pour elle. Mais Tess a envie de les connaitre ces go.
Et puis ça continue. Après avoir précisé que malgré qu’elle ait baigné dans un univers musical cosmopolite, sa préférence s’oriente vers des sonorités plus internationales. Du coup elle cite des artistes tels que Sia, Ed Sheraan, The Weeknd, Lorde, Bruno Mars, Drake, Rihanna, Passenger, Birdy ou encore Lana Del Rey. Ok. On comprend du coup pourquoi Tess est autant à l’aise avec la langue de Shakespeare et qu’elle chante en anglais. « Je pense qu’à force de reprendre des morceaux d’artistes anglophones et d’écouter exclusivement des titres chantées dans cette langue, mon anglais s’est façonné. Je n’étais pas spécialement douée à l’école ». Elle me parle de son style musical, discours que je trouve un peu trop formaté, du coup j’essaie de capter dans quel courant elle se situe. Je lui tends des perches en citant des noms. Rien. Grand moment de solitude pour moi mais j’insiste. Il s’avère que Tess n’a pas menti quand elle disait quelques minutes plus tôt qu’elle n’écoutait pas vraiment de musique française. C’est pas une posture. Les meufs de la nouvelle scène R&B, très peu pour elle. Mais Tess a envie de les connaitre ces go. Son expression faciale est sincère. On nous apporte des boissons. Je comprends bien que la jeune chanteuse veut s’inscrire dans la catégorie Pop, voire Électro Pop…mais c’est trop. Trop acidulé, trop doux, trop propre, c’est très…Tess. J’ai envie de la voir se promener sur un fil au dessus du vide des beats aux sonorités Cloud. J’ai envie de l’écouter et qu’elle me fasse le même effet que quand je lis « Les colchiques » d’Apollinaire. J’assume. C’est qu’elle écrit super bien en plus : tout en retenu et subtilité. Et c’est compliqué de ne pas aimer tant ce qu’elle propose est tellement sincère encore une fois. Mais voilà, il y a cette innocence ambiante qui ferait rougir de jalousie Candide et vomir de dégout Martin. Un peu comme si Voltaire lui-même s’était penché sur le berceau de la jeune chanteuse.
Y’a un lien de cause à effet avec son île, un truc à la Lost, j’sais pas moi. Une mise en abime grandeur nature entre elle, La Réunion, ses textes, sa musique. On s’y perd. Je me perds. Le fait de devoir poursuivre sa carrière en métropole l’obligera t-elle à un moment ou un autre, à franchir un cap dans sa musique et son style ? Pour moi c’est écrit. Impossible de rester insensible aux couleurs maussades parisiennes ou à la torpeur contagieuse française. J’suis pire que patriote, j’vous jure.
C’est l’époque de l’hyper visuel, de l’hypra graphique. Je demande donc comment une artiste comme Tess, qui mise sur la simplicité ou encore le naturel, peut survivre dans un univers aussi fort. Je sens que j’ai peut être piqué son ego quand elle déclare : « Je préfère agir naturellement, que cela se produise sans que je fasse exprès. Je reste qui je suis. Simple, sobre. Sans en faire trop ». Son orgueil me surprendrait presque et je me dis qu’il y a matière à quelque chose avec cette artiste là. Pas avec celle qui était face à moi quelques secondes plus tôt. Alors j’appuie là où je crois desceller une faille, je demande comment elle compte développer sa personnalité que j’estime encore trop légère. Rire gêné, je sens que je la perds. Merde. Je lui explique que mon constat n’a rien de méchant. T’inquiètes Tess, t’es un peu comme le vin. Tu vas bonifier avec le temps, oui, tu es vouée à muscler ton jeu comme aimait à le dire Aimé à Robert. Après tout, quitter La Réunion pour s’installer en métropole c’est un peu naitre une seconde fois. Il faut s’ajuster, il faut découvrir, il faut se (re)découvrir.
Au risque de faire l’enfoiré de con de râleur parisien, voici avec ce court mais honnête portrait, un premier pas vers le « non parfait », Tess.
Donc, quand arrive l’ultime question : « À 22 ans, quelles sont tes certitudes ? » et qu’elle me répond : « Je sais que mon EP va sortir et qui dit album dit concerts. La scène c’est quelque chose que j’adore. J’étais danseuse avant de me mettre au chant et à chaque fois que je suis sur scène, je me sens vraiment bien », j’acquiesce. Au risque de faire l’enfoiré de con de râleur parisien, voici avec ce court mais honnête portrait, un premier pas vers le « non parfait », Tess. Un petit grain de sable qui vient enrayer la magnifique mécanique. Je t’ai trouvé fort sympathique, fraiche et souriante, Tess. T’as une bonne bouille et quand tu chantes j’ai des sensations. Pourtant tu gagnerais beaucoup, à te perdre un peu.