Cassius Clay met les Beatles à terre (1964)
Cinq artistes à un tournant déterminant de leur carrière, les uns sont chanteurs et l’autre est boxeur mais les deux entités sont en quête de cogner l’histoire.
Les Beatles débarquent outre-Atlantique avec leur Beatlemania pour confirmer la frénésie déjà installée en Angleterre. Si la Grande-Bretagne est conquise en 1963, le groupe souffre d’un déficit d’exposition aux États-Unis notamment dû au distributeur Vee-Jay qui se matérialise par le faible retentissement de leurs deux premiers albums. Face à cet échec, EMI, la maison de disque du groupe, fait monter la pression sur Capitol afin qu’ils promeuvent le groupe aux USA. Une enveloppe de 40 000 $ est avancée pour livrer les Beatles à New-York, Washington et Miami.
Quant à Cassius Clay, après son titre de champion olympique, il enchaîne des performances fracassantes sur le ring et des envolées lyriques arrogantes sur les ondes. Son objectif est d’amener au combat Sonny Liston, champion du monde en titre, et enfin se battre pour la ceinture. Pour cela, Clay mène une campagne truculente d’harcèlement notamment en louant un bus et un porte-voix pour provoquer Liston en pleine nuit au pied de chez lui.
En février 1964, ils sont tous les cinq à Miami et pendant que les Beatles enchaînent un deuxième live pour le Ed Sullivan Show, Ali s’entraîne à dominer son adversaire. Les British fascinent les masses mais rendent dubitatifs les journalistes. Le New York Herald Tribune écrira : « En fait de talent, les Beatles semblent être 75 % de publicité, 20 % de cosmétique et 5% de jérémiade mélodieuse ». La presse est quasi unanime.
Quant à Cassius, les bookmakers en font un outsider peu crédible face à Sony Liston qui tient son titre depuis 1962, notamment après avoir explosé Floyd Patterson au premier round d’une série destructrice de six crochets du gauche et un du droit qui fissura les esprits. Malgré sa côte de 8 contre 1, partout où il passe Clay dégage une véritable sympathie, celle que l’on a pour un gamin à la langue un peu trop pendue en attendant que la vie le fasse taire, que Sonny le fasse taire.
Deux jours après le concert pour Ed Sullivan et sept avant le combat au Convention Hall, le 18 février 1964 boxeurs et rockeurs montent par hasard sur le même ring. À l’instar d’un public frileux, les quatre garçons dans le vent, préfèrent le champion en titre, convaincus, comme le disait John Lennon, « que la grande gueule allait perdre », même Ringo Starr a parié sur le poids lourd. Le groupe aux États-Unis, pour étendre sa notoriété, préfère s’afficher avec Liston plutôt que l’arrogant Clay. Harry James Benson, photographe de la tournée américaine du quatuor, essaie d’organiser cette opération, en vain. « Qui sont ces gays ? » a élégamment demandé le tenant du titre au micro d’un journaliste du New-York Times. Il fallait donc trouver une solution de secours. Benson décide d’organiser cette séance photo avec Cassius face à des Beatles plus que réticents, mais c’est toujours mieux que rien. En retard le futur Muhammad Ali et sa bonne humeur caractéristique ont rendu ce moment unique. Il ouvre la porte et crie : « Hey les Beatles, on va faire des tournées sur les routes ensembles, on deviendra riches ». Le ton est donné, le personnage est placé.
Ils s’amusent et se mettent dans toutes les situations, Cassius Clay les renverse comme des dominos puis il évite les assauts du groupe et finit par les terrasser. Un instant suspendu dans le temps pour ceux qui y ont assisté. Ali déclarera : « Quand Liston lira que les Beatles sont venus me voir, il deviendra tellement fou que je le mettrai KO au troisième round ». Sept jours plus tard et quatre reprises en plus, Cassius Clay deviendra champion du monde.
Les six artistes se sont croisés à un carrefour qui allait marquer leur avenir, l’Amérique aurait pu enterrer les Beatles, Sonny Liston aurait dû défigurer Clay. Mais ce mois de février les a intronisés comme des icônes populaires qui marqueront leurs domaines respectifs mais aussi l’histoire.