Les maisons de disques sont-elles arnaquées par leurs rappeurs millionnaires ?
Les unions se font et se défont. Les mœurs sont de plus en plus légères et l’industrie du disque épouse cette évolution, encore plus celle du hip-hop. Dans le même instant, Mac Miller signe l’un des contrats les plus lucratifs de l’histoire du hip-hop pour un artiste aussi jeune ; alors que Chief Keef retourne aux méandres de l’indépendance avec la perte de son juteux deal avec Interscope. Ces acquisitions artistiques à gros coups de chéquiers donnent souvent lieux à de véritables accidents industriels. Les maisons de disques sont-elles devenues irresponsables ou le hip-hop est-il la nouvelle machine à lait dont il faut téter les mamelles avant même que son produit ne soit vraiment prêt à être délivré ?
Le nouveau fer de lance culturel mainstream
Depuis quelques années, une nouvelle race d’artistes prolifère dans les milieux autorisés, ils sont appelés les « one-hit wonder » ; dans les autres, ils sont catégorisés parmi les « stars d’un jour ». Le rap en compte une véritable armée, ils additionnent plusieurs millions de vues sur You Tube et lancent avec eux de véritables mouvements culturels. Le dernier en date, la « Shmoney Dance » impulsée par l’intrépide Bobby Shmurda. Son « Hot Nigga » culmine à 30 millions de vues et ses pas de danse ont été répété par autant d’anonymes que de célébrités. Jermaine Dupri, Chris Brown s’y sont essayés et le déhanché du Brooklynite a même fini au Stade de France avec Beyoncé pendant l’attendu remix de « Flawless ».
Forcément ce type de frémissements émoustille les maisons de disques qui sont prêtes à payer le prix fort pour ces jeunes artistes sortis de nulle part. Ce titre phare est leur porte d’entrée dans le monde de l’industrie et avoir un crew derrière eux leur permet de mettre un peu plus de beurre dans leurs épinards. Une recette simpliste : pour A$AP Rocky, il s’agissait de « Purple Swagg » et d’A$AP Worldwide (3 millions de dollars) ; pour Trinidad James, c’était « All Gold Everything » et Gold Gang Records (2 millions de dollars) ; puis pour Chief Keef nous étions sur « I Don’t Like » et Glory Boyz Entertainment (6 millions de dollars). Quant à Bobby Shmurda, il n’hésitera pas à affirmer au micro de Jenny Boom Boom que le montant de son contrat avec EPIC « was over a mili ».
Forcément autant de signatures impliquent un taux de déchet proportionnel et en moins d’un mois Trinidad James et Chief Keef ont vu leur contrat être rompu. Alors que le premier préserve une certaine élégance dans ses déclarations, le second mélange bouleversements au sein de l’équipe d’Interscope et racisme sur Twitter. Ingérable ou surestimé à tous les niveaux, ces investissements débouchent sur de lourdes pertes financières pour les majors. Mais pourquoi risquent elles autant d’investissements avant d’avoir tous les éléments sur la texture artistique réelle du produit ?
Un chéquier illimité mais des risques limités
La beauté du hip-hop a longtemps été celle de la rue, c’est elle qui adoubait l’artiste qui se voyait récompensé seulement dans un second temps par les maisons disques. Une vision aujourd’hui obsolète au temps où Internet est devenu le véritable faiseur de roi. Les phénomènes appartiennent à la Terre entière grâce au décloisonnement culturel opéré à la vitesse des kilobits. L’exposition de ces artistes est virale et toutes les maisons de disques craignent de passer à côté du nouveau Drake, A$AP Rocky ou Kendrick Lamar. C’est à ce niveau que se positionnent les enjeux, le risque de rater un produit commercial bénéficiaire est plus grave que de se tromper sur l’un d’entre eux. Donc les maisons de disques signent sans se poser de questions en espérant voir tomber le gros lot.
Cependant, malgré leur expérience et l’optimisation des techniques de marketing, les majors ne peuvent prévoir le renouvellement du succès du premier single qui les a fait connaître. De cette incertitude Richard Caves en tire une règle, celle du « nobody knows ».
Économiquement, un doute irrationnel ne peut être tôleré dans une industrie culturelle aussi puissante. C’est donc pour y palier que la dialectique du catalogue se met en place comme la théorise Bernard Miège. Il s’agit d’étaler les risques sur un éventail de dix titres en partant du principe que le succès de l’un d’entre eux épongera les pertes des neufs autres et dégagera même des profits. C’est cette réflexion globalisée qui pousse finalement les maisons de disques à signer des artistes exagérément. Une folie rationnalisée.
En effet, Drake a largement rentabilisé les deux millions investis par Young Money (et donc Universal), une belle affaire. De plus ces investissements témoignent de l’excellente santé financière des maisons de disques qui ont su encaisser la crise du disque (depuis 2010 le chiffre d’affaire d’Universal ne cesse d’augmenter) malgré les discours médiatiques victimaires sur Internet. Un merveilleux cercle vertueux entre les artistes et leurs employeurs. All Gold Everything.