PNL, sur le trône du royaume de la com’
Y’a du Daft Punk en PNL. Avec des grands verres fumés comme des casques en acier et un truc un peu mystique. Cette façon de fuir les médias et d’enfouir sa vie privée tout en décochant des coups de pub sublimes. Y’a du génie dans leur communication, de la pudeur, du viral, du malin, du gonflé. Des millions de vues, des millions de clics, des milliers de fans, des milliers de disques.
J’en ai bouffé de la com’ pendant mes études, j’en ai décortiqué du cas pratique, j’en ai chié de la théorie. Six ans. Alors j’ai tiré mes vieux classeurs de leur malle turquoise, des fois que j’aurais gribouillé un quelque chose d’un peu sociologique sur le sujet. Mais rien. Rien sur ce genre de stratégie aussi fascinante que taiseuse. Nous, on nous rabâchait qu’il fallait communiquer, toujours plus communiquer, au temps de l’hyper information. Eux ont tout compris. N.O.S et Ademo n’ont pas ciré les bancs d’une grande école, pas plus qu’ils n’ont loué les services d’experts communicants, ils doivent tout à leur cran, leur flair et leur intelligence.
Des deux frères, on ne sait que ce qu’on a lu ici ou là, vaguement entendu à cet endroit. La mère, grande absente, est d’origine algérienne. Le père, René Andrieu, un pied-noir corse et ancien braqueur à grande gueule, une figure à Corbeil-Essonnes. Nabil, N.O.S, et Tarik, Ademo, ont toujours vécu dans la cité des Tarterêts, leur « Zoo », leur cage d’attache. Un temps en Corrèze aussi, adolescents contraints à l’exil par le patriarche. Il y a eu des magouilles, du trafic, des go fast et puis un séjour à Fleury-Mérogis pour Tarik. Lui, l’aîné, aurait trente ans aujourd’hui, le cadet deux de moins. Les grandes lignes.
Elle a plus d’impact, la parole rare, plus de valeur. Le mutisme intrigue, la parole rare excite. Elle crée l’événement, chaque fois qu’elle jaillit.
Le tandem décline toutes les demandes d’interview. L’été dernier, il devenait le premier groupe de rap français à poser en couverture de The Fader, sans avoir répondu à aucune vraie question. « Tout est dans la musique » dit-on. Ça nourrit le mythe et les fantasmes. PNL s’auto-produirait avec de l’argent sale, compterait sur le soutien de poids lourds de l’industrie ou, mieux, ne serait qu’une vaste opération marketing. Ça les amuse, d’où ils sont. Et puis ce qu’ils s’en foutent au fond, des médias. Ils ne croient pas au star-system, en la nécessité de montrer sa gueule à la télé ou de bavarder sur sa vie privée. « Nique ta célébrité, nique ton buzz » (Naha). Le défilé Chanel haute-couture ? Sans eux. Leur Planète Rap à Skyrock ? Aussi. Qu’on plante une jungle avec un singe dedans. Qu’on apporte les sept boules de Dragon Ball dans un décor façon planète Namek. Qu’on dresse des tables de poker avec des mecs lookés Scarface. C’est leur truc ça, raconter des histoires, composer des univers et se cacher derrière. Le pied de nez fait marrer tout le monde. PNL ose, ne fait rien comme personne. Ça force l’admiration. #pascommeeux.
Dans les années 90, Jacques Pilhan, pubard et conseiller en communication politique, écrivait : « Le citoyen, bombardé de messages, vit dans le bruit permanent des médias. En tant qu’homme public, si je parle souvent, je me confonds avec le bruit médiatique. La fréquence rapide de mes interventions diminue considérablement l’intensité du désir de m’entendre et l’attention avec laquelle je suis écouté. » La théorie du silence, ou plutôt de la parole rare. Elle a plus d’impact, la parole rare, plus de valeur. Le mutisme intrigue, la parole rare excite. Elle crée l’événement, chaque fois qu’elle jaillit. La parole rare ne s’étouffe pas dans le babil médiatique, on l’écoute, on l’intègre. PNL se tait et se terre pour laisser parler sa musique. Omniprésente, celle-là. Trois opus et dix-huit clips en deux ans. C’est bien là l’essentiel. Puis contrôler son image, se préserver. Contre l’impudeur, l’exploitation, le faux pas, la critique et la déformation. L’autotune aussi, quelque part, ça protège. Ça masque le grain de voix, ça l’enrobe. Le mystère captive, aura troublante et magnétique.
On se sent en être, de la mif, on croit y appartenir, à cette communauté de valeurs. L’esprit tient dans un mot-dièse : QLF.
Novembre 2011. Début du compte à rebours de « 365 jours pour percer », le projet ambitieux d’un N.O.S pas encore vocodé. Des comptes dédiés sur Facebook, Twitter et YouTube, et six morceaux en téléchargement libre, distillés au fil de l’année selon un calendrier précis (J-365, J-353 …). Un plan marketing bien rodé. Déjà l’art de teaser. Ils savent y faire les frangins pour piquer l’intérêt, capter l’attention pour ne plus jamais la lâcher. Ils sèment des miettes, soufflent des mises en bouche qui donnent envie d’en savoir plus. Des indices se livrent au compte-goutte sur les réseaux sociaux, quelques mots, une date, un hashtag, un bout de visuel, une annonce, un extrait de clip … et ça embrase la Toile. J-10, J-8, J-2, Jour J. On tient en haleine. Mais le coup de maître, c’est le feuilleton « Naha-Onizuka-Bené ». Une histoire étirée sur plusieurs épisodes de huit à seize minutes. La recette du soap opera. On nous avait prévenu dès le départ, en glissant l’air de rien des maillots floqués « Onizuka » et « Bené » dans le clip de « Naha ». Y’a du gentil, du méchant, du destin brisé, de l’intrigue, du rebondissement, du sang et de l’action laissée en suspens, ce qu’il faut pour vouloir voir la suite. Plus de cinquante millions de vues sur Youtube pour « Naha », vingt-six millions pour « Onizuka » et sept millions en cinq jours pour « Bené ». Les vidéos se commentent et s’analysent façon AlloCiné, on spécule sur la suite, ça provoque du blabla médiatique. Deux semaines avant le dévoilement de « Bené », ç’avait été toute une histoire, une combine marketing lumineuse. Des affiches sauvages à la Wanted placardées sur les murs de Paris avec la face de « Coca-Cola », le super-vilain des clips, et un numéro rouge, « urgent ». Comme si le récit s’intégrait à la vraie vie, et qu’on pouvait, à notre tour, en faire partie. Un genre de film interactif. Impliquer pour créer de la proximité relationnelle, de l’affect. Tout en bas, un logo PNL à peine perceptible, pour que le message reste crédible. Fallait satisfaire sa curiosité, et vite. Au bout du fil, les premières notes de « Bené », juste ça. On a tout de suite compris. Avec les photos des posters publiées par les fans sur les réseaux sociaux, c’est vite devenu viral.
Beaucoup de bruit, peu de coûts. C’était déjà génial, ça aurait pu en rester-là. Jour de la Saint-Valentin. Tour de passe-passe pour annoncer la tournée. Des fans reçoivent un texto-surprise de PNL, les mêmes qui avaient appelé pour « Bené ». Le coup de la base de données, avec l’aide de l’opérateur BJT Partners. Plus de 90 % des messages reçus sur son téléphone s’ouvrent dans les trois minutes, quand beaucoup de mails restent non-lus. Un SMS passe rarement inaperçu, celui-là n’aura même pas été jugé intrusif. Trop inattendu. Les go se sont imaginé que « bae » avait pensé à elles, les autres se sont sentis au moins privilégiés. Ça donne l’illusion d’une relation directe et personnelle, exclusive. Ça rapproche, ça fidélise. D’ailleurs, on nous donne rendez-vous : « On se voit au mois de mai la mif ». On se sent en être, de la mif, on croit y appartenir, à cette communauté de valeurs. L’esprit tient dans un mot-dièse : QLF. Le slogan du groupe. Une accroche publicitaire, un gimmick, une devise, un cri de ralliement. Un acronyme aussi frappant que concis, trois lettres qui facilitent la mémorisation et encouragent la reprise. QLF. On le chante, on le scande, on l’hashtague (plus de 220 000 publications sur Instagram), on le parle au quotidien. Puisque la formule prend, PNL la décline en produits dérivés. La paire produit un modèle de t-shirt unique d’abord, qui se vend sous le manteau, puis élargit la gamme, ajoute des accessoires et ouvre une boutique en ligne, shop.qlf.fr. On place judicieusement les pièces sur le dos des potes dans les clips, pour éveiller un désir d’achat un peu inconscient. Ça favorise la projection quand le produit est naturalisé, mis en scène dans le récit filmique.
Il a fallu travailler l’emballage avant tout ça, se trouver une esthétique différenciante. Le look. Cheveux mi-longs gominés à l’italienne, t-shirts moulants, polos boutonnés jusqu’au cou, maillots de foot, joggings ajustés et pièces griffées. Tout ça mélangé. Un style unique, qui a pondu des petits dans tout l’hexagone. La musique. Planante, hypnotique, ponctuée d’onomatopées entêtantes. C’est beau, c’est élégant, ça berce, on se fout de pas tout comprendre. Dans la trilogie « Naha-Onizuka-Bené », la mélodie sonne même en arrière-plan, atmosphérique, elle habille seulement, on l’écoute à peine. Les clips, justement. Islande, Namibie, Italie, Japon, Corée du sud. Des paysages à perte de vue filmés du-dessus par des drones ou des scénarios dignes de blockbusters hollywoodiens. Des vidéos grandioses et léchées à millions de vues qui « méritent le Festival de Cannes » (Laisse), densifient les artistes, les sacralisent presque. Des contenus qui prolongent et étoffent leur imaginaire. Ils n’y flambent pas avec de grosses caisses, de gros billets, de grosses chaînes et de gros culs. Pas leur genre. On s’identifie. On se passe même de les voir, N.O.S et Ademo, dans leurs derniers clips. L’histoire fonctionne avec n’importe quel autre banlieusard, finalement. Mecs standards qui ne veulent pas faire les stars.
Les vrais, ils disent, ce sont leurs fans, qu’ils appellent« reufs » et « reuss ». Inaccessibles mais proches de « ceux qui [leur] envoient la force », une armée de fidèles qui jouent les ambassadeurs sur les réseaux sociaux, immense bouche-à-oreille virtuel. À chaque fin de clip, on rappelle les comptes Twitter, Facebook et Instagram du groupe. Le duo n’a pas de site internet, ça ne permet pas de rapports directs. Sur Instagram, on les célèbre ces soutiens, en relayant leurs photos posées avec le dernier album, « Dans la légende ». Par centaines. « C’est le feu dans les bacs grâce à vous », #onvidetout. Ça séduit, la reconnaissance, ça valorise. On espère voir sa tête repostée comme une récompense. C’est pas tout. Pour booster les ventes matérielles, PNL pense une version rose, une autre orange, chacune avec un bonus track différent. Les plus fervents craquent pour les deux, forcément. Et au prix unique de 9,99€ l’édition numérique comme physique, autant choisir l’objet. Il y a eu l’affichage, aussi. 4×3 dans le métro et panneau gigantal de 665m2 au-dessus du périphérique parisien. Médias de masse. La campagne aura touché tout le monde, les usagers du métro et les automobilistes, les anciens et les ados, les bourgeois et les cailleras. Puis les affiches, on n’y échappe pas, ça ne se zappe pas comme une annonce à la télé, ça ne se tourne pas comme une page de magazine. Visibilité maximale, rien n’est trop grand. Résultat : 30 655 disques physiques écoulés dès la première semaine, 20 000 et des poussières en digital.
Il aurait fallu que je trouve des limites, pour faire une jolie conclusion. Mais moi je ne vois que du plus grand, du plus loin. J’imagine une carrière internationale, des concerts surréels, des CD comme des bijoux, un long métrage, une série, une BD, une (vraie) ligne de vêtements, une boutique parisienne, une marque de gel, une agence de pub, un centre artistique aux Tarterêts … un tout créatif. Des limites, y’en a pas. Le monde ou rien, jamais moins.