John Dieme, de la rue à Groomer.s Barbershop
John, que tout le monde surnomme « Sicap » comme la ville au Sénégal, est catégorique: ses employés ne sont pas coiffeurs, ni barbiers, mais barbers. Il est le chef d’escouade de l’équipe Groomer.s, un barbershop inspiré de ceux que l’on peut trouver dans de nombreuses villes aux États-Unis. Si John vient d’Aulnay-sous-bois, il insiste pour qu’on note qu’il représente également le département du 02 (Aisne), où il passe une partie de son enfance. En quelques mois seulement, Groomer.s est devenu l’un des salons urbains phare de la jeunesse parisienne et il n’a rien à envier à ses homologues américains.
Tout l’été, ils ont tracé les meilleurs contours dans leur cage au YARD Summer Club et c’est à cet endroit précis qu’on a posé quelques questions au fondateur de Groomer.s.
Comment l’histoire Groomer.s a-t-elle débutée ?
L’idée vient de très loin. J’ai d’abord commencé avec un salon de coiffure pour femme, appelé « Maridié », et par la suite je me suis associé avec un frère à moi et on a fait « 235th Barber Street ». Le concept s’est bien lancé et après j’ai pris une autre direction parce qu’on avait deux visions différentes. Quand y’a deux capitaines dans un même bateau ça ne peut pas marcher si l’un veut prendre à gauche et l’autre à droite. Il n’y a pas de soucis entre nous, on a juste deux identités différentes.
Du coup, c’est quoi la différence entre vos deux navires ?
Moi je voulais faire un truc beaucoup plus urbain, street, avec les codes du ghetto français qui représentent mon identité. Son navire est plus orienté Hip-Hop US et culture américaine.
Le concept de la cage Groomer.s est donc lié à cette idée de ghetto français ?
Oui en fait la cage c’est emblématique dans le ghetto. C’est en rapport avec tout ce qui est incarcération, garde-à-vue etc. Ce sont des réalités auxquelles on fait face. La cage c’est le quartier, on se sent un peu enfermé, même à l’air libre. Mais notre état d’esprit c’est qu’aujourd’hui, notre cage, elle déborde d’énergie : il y’a des artistes, il y a des footballeurs, il y a des photographes, il y a des ingénieurs et c’est ça que ça représente. On joue sur ce cliché, sur la façon dont les gens nous voient. Ils pensent qu’on va finir dans une cage mais en fin de compte on s’en sert pour en faire quelque chose de positif.
« On joue sur ce cliché, sur la façon dont les gens nous voient. Ils pensent qu’on va finir dans une cage mais en fin de compte on s’en sert pour en faire quelque chose de positif. »
Tous nos barbers possèdent des éléments de rue. Nos caisses sont entourés de grilles que l’on peut trouver dans une cellule de prison. C’est une pensée pour les gens incarcérés et aussi pour dire qu’on va au-dessus de tout ça. Il y a aussi des gyrophares qui rappellent la police et qui font office de réveil, ils nous disent qu’il est temps qu’on fasse des choses. Nos bars sont fait en pièces de cinq centimes qui nous rappellent l’importance de l’argent : un sous c’est un sous. Ensuite, toutes les structures sont faites avec du bois et de la ferraille pour dire que tout a été fait pour nous et par nous, en mode artisanal. 40% de nos coiffeurs n’étaient pas coiffeurs l’année d’avant, on prend des petits qui ne font rien, qui font des conneries ou qui se cherchent et on essaie de les sortir de là pour qu’ils puissent devenir barber. Chaque semaine, nous faisons suivre à nos apprentis des formations intensives dans nos salons, menées par des barbers pros. C’est ça le concept. Ça va au-delà de la simple déco, c’est tout un état d’esprit.
Comment expliques-tu le succès Groomer.s ?
Je pense que c’est parce qu’on a lancé un vrai concept. Quand on a fait « 235th Barber Street », on a lancé cette vibe de barber shop un peu cainri et on a été les précurseurs dans Paris. On a lancé une tendance et aujourd’hui cette tendance, elle prend. C’est un peu comme les bars à chicha ou les VTC. Les gens avaient envie de ce renouveau là, ils ont envie de connaître un truc qui leur correspond et y’a des choses qui sont vieillissantes alors qu’on est dans une ère de consommateurs et de paraître. Si aujourd’hui on est débordés c’est parce qu’on fait partie des premiers et y’en a pas encore énormément. Les gens se battent pour venir dans notre barber.
Quelle a été la réaction des gens face à la cage dans le Wanderlust ?
La cage, c’était pour frapper fort. Aujourd’hui tout ce que je veux faire c’est marquer le coup, comme on dit on est là pour mettre des punchlines et se faire remarquer tu vois [rires, ndlr]. On veut interpeler les gens et marquer le temps. Si on a fait Groomer.s ce n’est pas que pour vivre aujourd’hui mais pour être là encore dans 20 ans et 25 ans, si Dieu le veut. En mettant une cage on a affirmé notre identité et on leur a montré un autre univers du barbershop qui est propre à nous. Elle montre notre côté urbain et je pense que c’était bien perçu par le public. Après je sais qu’on a eu des retours genre “oui les renois pourquoi ils ont toujours besoin d’être enfermés” etc. Moi je répond qu’on sait d’où on vient et on ne se lamente pas sur notre sort en disant qu’on nous voit toujours de telle ou telle façon. Au contraire, on se dit “ok ils nous voient comme ça alors on va détourner le truc”. Je pense qu’en mettant la cage et avec le fait d’être noir, certains vont peut être dire du mal de nous. Mais nous on affirme tout ça, on a un passé qu’on ne peut pas oublier.
« On veut interpeler les gens et marquer le temps. Si on a fait Groomer.s ce n’est pas que pour vivre aujourd’hui mais pour être là encore dans 20 ans et 25 ans, si Dieu le veut. »
Si tu veux marquer le temps il faut choquer, donc bien-sûr qu’on en joue. Soit tu vas jusqu’au bout de ton concept et t’assumes ton positionnement, soit tu le fais pas. Et dans ce cas-là tu passes inaperçu tout en sachant que la concurrence va être rude. La cage pour nous ce n’est qu’un avant-goût de ce qu’on peut faire et je pense que dans les jours à venir vous verrez qu’on n’était qu’à 10% avec la cage.
Tu nous disais plus tôt que tu formais des jeunes à devenir coiffeur. Comment est-ce que tu t’es formé toi ?
Mon premier salon de coiffure c’était en 2010 à Aulnay, c’était un salon mixte. Je travaillais avec une coiffeuse et un barber et quand je fais quelque chose c’est toujours à fond. Donc pour apprendre je les regardais faire mais surtout, je lisais des bouquins de coiffure et je regardais des tutos sur YouTube tous les jours. Grâce à ça maintenant je peux faire des colorations etc. J’envisage quand même de passer mon Brevet Professionnel, parce qu’on a kidnappé un métier en fait, on l’a vulgarisé. Mais c’est essentiel de connaître les bases parce que si tu veux être à la tête d’un groupe il faut avoir ces connaissances là. Je me suis mis à fond dedans parce que j’ai de grandes ambitions et pour les atteindre, il faut y mettre beaucoup de soi.
Maintenant qu’on en sait un peu plus sur toi on va partir sur quelque chose de plus fun. C’est quoi la demande de coupe la plus folle que t’aies jamais eu ?
Pour moi c’est quand un mec vient au salon et me demande de lui faire une teinture rose. C’est le truc le plus fou parce qu’à une époque tu ne pouvais pas faire ça. Aujourd’hui les gens sont plus ouverts et sont plus gais, quand je dis gai je parle bien de la gaieté. Mais nous on est encore dans un esprit ghetto, enfermé, genre pour nous si tu veux faire une crête c’est un truc de ouf tu vois [rires]. Aujourd’hui les jeunes s’habillent comme Young Thug etc. et c’est une nouvelle ère. C’est pour ça aussi qu’on prend beaucoup de jeunes, pour pas que le shop vieillisse.
« On prend des petits qui ne font rien, qui font des conneries ou qui se cherchent et on essaie de les sortir de là pour qu’ils puissent devenir barber. C’est ça le concept. Ça va au-delà de la simple déco, c’est tout un état d’esprit. »
Y’a des coupes que tu as déjà refusé ?
Que j’ai refusé non, mais que je déconseille oui. Comme les défrisages par exemple. Quand je vois un mec avec une crête défrisée chelou je le valide pas. Si un client me demande de lui faire un défrisage je lui dis “noooooon djo laisse ça aux autres. Laisse tomber !” [rires]. Moi j’aime bien les cheveux crépus, naturels, on s’affirme quoi !
Disons que j’ai un rendez-vous avec une fille ce week-end, tu me conseilles quelle coupe ?
J’te conseille un Taper. C’est un fondu sur les tempes et sur la nuque, on t’égalise ça bien et voilà ça fera beau. C’est une coupe que Drake a remis un peu à la mode. C’est pas vraiment un dégradé parce qu’ils sont faits plus bas mais voilà un petit Taper ça passe bien. Comme ça la meuf voit que t’es dans le coup aussi.
C’est quoi les projets pour Groomer.s ?
Déjà on va ouvrir un flagship en fin d’année, ça va être notre lab dans lequel on vendra des baskets, des boissons, etc., on mettra la barre encore plus haute. Ensuite il y a une application Groomer.s qui va sortir en septembre et je pense que ça va révolutionner un peu le monde du barber. Elle va servir à faire en sorte que le client attende beaucoup moins. Tu pourras te mettre sur liste d’attente, et non prendre rendez-vous parce qu’on connait notre clientèle: une personne en retard, ça décale toutes les autres et ça crée des embrouilles. Donc tout simplement liste d’attente, tu reçois une notification qui te dit que dans 15 min c’est ton tour, si on a fini plus tôt t’es aussi averti et voilà. Ça met une meilleure fluidité dans le business et ça nous fera une seconde punchline [rires]. Et voilà on espère qu’on va bien faire évoluer les choses et faire du bruit dans Paris.
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