SZA, first lady par accident
Août 2013. L’ouverture commence chez TDE avec la signature de la première dame du label ainsi que de la première artiste hors-rap, SZA. Avec trois EPs, dont Z sorti cette semaine, à son actif elle est surtout armée d’une véritable identité créative : ses morceaux intriguent, ses clips fascinent. Cette profondeur artistique s’explique par une construction singulière forgée notamment par une éducation religieuse islamique conjuguée à une vision culturelle éloignée de l’américanisme qu’elle a rejeté puis adopté. Une force paradoxale qui l’amènera un temps à porter le voile et à un autre d’être barmaid dans un stripclub.
Une culture mais plusieurs facettes
Si proche de New-York mais si loin de sa frénésie, Solana Rowe a grandi à Maplewood dans le New Jersey. L’une de ces calmes banlieues américaines avec des maisons identiques et des jardins qui sont à la brindille près similaires à celui du voisin. C’est dans cet éloignement qu’elle se construit.
Une distance à la fois géographique et symbolique, SZA définit elle même son éducation comme conservatrice : « Mon père est musulman et ma mère est la femme la plus conservatrice que tu n’aies jamais rencontré. Ils sont très aristocrates de la manière la plus charmante et suburbaine qu’il soit ». C’est cet isolement au conformisme culturel qu’elle revendique aujourd’hui comme la base de sa créativité. Une base qui l’éloigne des autres artistes qui ont grandi, à l’inverse, avec des représentations culturelles populaires. C’est avec cela que sa singularité s’enracine.
C’est l’Islam qui façonnera la jeunesse de Solana, elle porte voile et baggys jusqu’à ses 16 ans. L’âge où elle deviendra une femme aux yeux de son père, l’âge où elle voudra rattraper le temps qui l’a séparée de l’Amérique. Cette Amérique qui l’a insultée de terroriste lors du 11 septembre au pied de sa porte par la voix de ses camarades de classe. Elle découvre alors tous les artifices qui permettent à une jeune fille de devenir une femme : vêtements, cheveux, sourcils, ongles. Mais cette initiation ne s’arrête pas là car à la marge de cette jeunesse qui se veut branchée, elle est totalement captivée par ce qu’elle dégage. Alors Solana commence par se faire une fausse carte d’identité pour boire de l’alcool et avoir ses droits d’entrées dans les soirées les plus électrisantes de sa ville. Cette phase de sa vie aujourd’hui enterée, elle porte encore en elle l’Islam qu’elle pratique dans l’intimité, « dans son propre espace ». C’est d’ailleurs dans cette culture qu’elle puise l’inspiration qui construira son nom de scène SZA. En effet, il est tiré du Supreme Alphabet inventé par le Five Percent Nation, une organisation dissidente de la Nation of Islam.
SZA s’est d’abord forgée dans l’éloignement en privilégiant l’esprit et l’imagination prodigués par sa famille puis elle affirmera ensuite son goût pour l’esthétisme et l’image de soi.
Les goûts et les couleurs
Même si la musique est arrivée accidentellement lors d’une session studio avec Emile Haynes et que la chanson n’est jamais venue naturellement, SZA se revendique d’abord artiste. Elle a cultivé un amour pour la lecture dès le lycée en s’inscrivant aux cours supplémentaires de littérature afin de nourrir sa fascination pour la poésie. Une passion qu’elle met au service de l’écriture : « J’étais écrivaine avant de chanter ou quoi que ce soit d’autre pendant très longtemps…». Logiquement, ses lyrics prennent une importance essentielle dans son travail, elle les habille d’un visuel soigné des clips aux pochettes.
Une esthétique qui l’érige comme la Déméter de la pop music qui met en avant la nature et plus particulièrement une fascination pour les fleurs. Un bouquet garni qu’on retrouve sur les jaquettes de ses trois EPs (See.SZA.Run et S et Z) ainsi que dans ses clips : « Ice Moon » et « Time Travel Undone » en sont l’illustration. Cette fascination elle la doit à une mère botaniste, un père passionné de plantes et ses études en biologie.
C’est ce type d’influence qui construit SZA et qui font d’elle une artiste avant tout, ce qui l’intéresse c’est de créer quel que soit le moyen. C’est cette fibre artistique qu’elle décrit lorsqu’elle parle de la conception du titre « Teen Spirit » : « Nous n’avons pas mixé ce morceau, je crois qu’on m’entend même me racler la gorge. Il n’y avait pas d’ingénieur et on l’a enregistré en deux heures. Il y avait tellement de passion dans le processus d’enregistrement, les choses volées naturellement de ma bouche… ». Sa création passe par la musique, son art prend forme par sa voix ; une puissance abstraite qu’elle refuse de catégoriser : « Je m’amuse à faire des choses différentes sur chaque morceau, pour moi jouer de la musique c’est comme s’habiller . Donc pour « Julia » produit par Felix Snow je deviens Cindy Lauper et lorsque je suis avec Emile Haynes je me transforme en Johnny Cash…» .
TDE, la famille avant tout
SZA n’est définitivement pas comme tout le monde. Lorsqu’elle a signé chez TDE, il n’y a eu aucune célébration et l’annonce s’est faite en douceur. Une sobriété qui dénote dans un milieu où le clinquant est devenu culturel. Cette discrétion est autant due à son caractère qu’à la crainte de ne pas être à la hauteur des figures monstrueuses incarnées par Kendrick Lamar, Schoolboy Q et consorts. C’est naturellement que SZA a pris ses marques, elle se révèle au fur et à mesure et son introversion épouse les valeurs de sa nouvelle famille : « Ce sont les gens les plus honnêtes. Ils ne se foutent pas de toi mais personne ne te tient la main. La manière dont ils te montrent leur respect c’est en valorisant ton talent. Ils se battent pout toi pour que tu ais ce que tu veux. Ils nourrissent ta créativité, c’est comme ça qu’ils travaillent. Ils ne sont pas du genre à faire péter des bouteilles dans des restos ou soirées et d’ailleurs la moitié d’entre eux ne boivent même pas. C’est vraiment ma famille… ».
Musicalement, elle offre à TDE une sensibilité qui respire l’authenticité et propose la possibilité d’une nouvelle texture, d’une nouvelle exploration musicale pour le crew et certains de ses membres. Mais la force de son art reste sa faculté à s’adapter à une ambiance et à un artiste. La simplicité de l’association de sa voix au rap d’Isaiah Rashad dans « Ronnie Drake » est d’une mélancolie rafraîchissante ; mais elle sait aussi se muer en souffle aérien pour « His and Her Fiend » dans Oxymoron, dernier album de Schoolboy Q.
Cette nouvelle corde vocale semble être dans les meilleures dispositions pour prendre une place qu’elle se crée sereinement. Son talent naturel et son entourage artistique permettent une belle mise en valeur des différentes facettes de sa personnalité artistique et de son histoire. SZA se révèle autant qu’elle révèle les autres, un ricochet qui devrait rejaillir sur le prestige de TDE et faire briller encore plus le label.