13 Block : La réalité comme seul mot d’ordre
Les cases musicales ont cela de cruel qu’elles sont comme des aimants. Elles attirent de facto certains auditeurs, en même temps qu’elles en éloignent d’autres de possibles découvertes. Les nombreuses occasions que j’ai eu d’évoquer le 13 Block depuis deux ou trois ans n’échappent pas à la règle : chez certains la curiosité était attisée d’office, chez d’autres la fatigue se lisait déjà sur le visage. Pour cause, ce crew de Sevranais a justement commencé à faire du bruit entre 2014 et 2015. Soit la période qui a vu arriver le XVBarbar, Ninho, 40000 Gang, PSO Thug et autres jeunes adultes roulant en roue arrière sur les boulevards du rap de rue. Cette nouvelle génération, du fait des influences d’une partie de ses représentants (la drill de Chicago) et de son penchant à parler de bicrave s’est vite vue rangée dans la même case un peu fourre-tout. Pourtant, qu’on les écoute ou pas, dire que leur musique à tous se ressemble est tant irrespectueux pour leurs univers respectifs que faux. Ce que la rencontre avec les quatre membres du crew ZeFor, OldPee, Zèd et DeTess, m’a confirmé. Quatre membres, mais des réponses comme un tout.
La routine du détail
Pas de studio, de jolie réception d’hôtel ou de locaux de maison de disque pour le rendez-vous fixé avec l’équipe. C’est dans un grec de Villepinte, à la frontière de Sevran, que les gars de la ville nous ont convié. Surprise du tenancier lorsqu’il voit ces habitués débarquer entourés d’un photographe, des sacs Nike remplis à rabord de paires de chaussures neuves dans les mains. Nul besoin de crier sous tous les toits qu’ils sont rappeurs et de pavoiser, les yeux amusés du chef nous le confirment. Pourquoi cet endroit alors ? « Parce que c’est le meilleur grec du coin. » m’explique-t-on. Tout simplement.
Un lieu de rencontre à l’image de leur musique : celle de jeunes Sevranais qui racontent leur vie de jeunes Sevranais dans la bibi. Pas question de s’inventer des vies, de faire semblant, le 13 Block est profondément attaché à sa realness. C’est d’ailleurs là que se trouve le principal intérêt de leur univers musical. La fidélité à ce qu’ils vivent, à leur quotidien de vendeur au quartier, qui se ressent dans leur sens lyrical du détail. Du guetteur qui joue au con à leurs horaires de travail jusqu’au rrain-te sous CR. L’exposition de leur quotidien et des aléas de la vie de dope dealer est presque documentaire. Loin de l’exagération à la mode dans le rap, des jets privés en papier, des tonnes de farine et des gamos Majorette revendiqués par bien des rappeurs. « On va pas parler de tonnes, on n’a jamais vu de tonnes. On peut dire qu’on en veut, ou qu’on s’en rapproche, mais on n’a pas besoin d’inventer, on a grandi dans le bain. »
Une narration de la réalité qui peut rappeler par moments ce que propose PNL, et leur rap de la visser qui a fait sauter les verrous bloquant habituellement l’accès du genre au mainstream. « Si PNL l’a fait, le rap de rue peut faire de grands festivals. On est les premiers contents de voir que leur rap cartonne. Leurs textes sont comme les nôtres, les instrus sont juste plus lentes, sur des BPM avec d’autres effets. Leur rap nous parle vraiment beaucoup, si t’es vraiment dans le délire tu sais ce qu’ils disent, parce qu’il y a les codes. Et maintenant, des mecs qui ont les codes peuvent faire les plus gros festivals ? Pourquoi pas les autres aussi. D’ailleurs, si certains ont besoin de plusieurs écoutes pour comprendre, nous en général il en suffit d’une seule. »
Une routine du détail ancrée dans leur ADN lyrical. Ce qui pourrait laisser croire que l’effort est volontaire de leur part. Et pourtant, « on ne fait pas exprès. » Ces textes, ils les pêchent dans les eaux de leur quotidien, un stylo en guise de canne, une prod comme appât, postés sur un canapé confortablement posé sur une rive en forme de studio. C’est près de la cabine d’enregistrement qu’ils la trouvent cette énergie lyricale. « Les textes, on les écrit jamais chez nous. A la limite, si on a une inspiration comme sur ‘Insomnie’, peut-être qu’on a juste eu un petit début écrit à l’avance. Mais la grande partie du texte, il se finit au studio. » Le studio, point névralgique dictant tout de la musique du Treize. Jusqu’à leurs featurings. Prévoir d’inviter telle ou telle personne à l’écoute de la prod ? « Nan, ça s’est jamais passé comme ça, on n’a jamais fait exprès, c’est toujours naturel. » A l’exception bien sûr de l’abrasif featuring avec Gino Marley sur « Implication ». Un studio où ils se plaisent à créer de vraies atmosphères, des pièces musicales notamment sur des compositions « qui font référence à des atmosphères de films d’horreur, comme sur ‘Insomnie’. Il faut respecter l’univers amené par une prod, tout simplement. »
Mais d’où viennent ces automatismes, eux qui ont émergé au milieu de notre décennie, dans un gangsta rap où les lyrics importent peu tant que les flows sont présents ? « Ca fait des dix, douze ans que ça rappe. » On y vient. Le rap du 13 Block n’est pas né de la dernière pluie de 808s. Et ça, je l’avais compris bien avant que l’interview ne débute. Parce que fumer des clopes avec le 13Block entre deux prises du photographe, c’est avoir l’occasion de les entendre se rappeler au bon souvenir des couplets de Sazamyzy, louer les qualités de Sucez-moi avant l’album ou se féliciter du succès de leur pote Ninho. Ils sont définitivement de ces gars qui se sont fumés au rap français, ce rap de rue qui ne ment pas, celui des années 2000, qui remplissait les lecteurs MP3 256Mo les accompagnant sur la route du collège.
Un vécu d’auditeurs évident à l’écoute de leur musique. Alors quand on leur demande de citer leurs artistes favoris de ce temps-là, les noms fusent de partout, tous plus respectables les uns que les autres. De Salif à Alpha 5.20, de Nessbeal à la Mafia K1 Fry, de Seth Gueko à Sefyu. Et de Booba à Rohff, évidemment. D’ailleurs, certains de ces anciens leur donnent de petits conseils aujourd’hui, de Mac Tyer à Alkpote en passant par Kennedy, Despo ou Escobar Macson. Des influences indélébiles qui mixées à leur amour du Brick Squad et surtout à leur propre vie, fait d’eux de solides soldats du rap de rue. Des pères musicaux qui sont loin d’être leurs seules modèles. Ainsi, le groupe ne propose pas une sorte de revival de l’époque, loin s’en faut. Si le fond profite de ces influences, la forme est on ne peut plus moderne. Des flows qui varient énormément, beaucoup de couplets à deux, trois voire quatre pour ne jamais laisser retomber le rythme. Et quatre grains de voix d’une différence aussi remarquable que leur complémentarité. OldPee et ses intonations plus énergisantes qu’un gramme de la fameuse blanche sevranaise, DeTess en guise d’ogre, ZeFor et son timbre glacial semblant ne jamais sortir de l’ombre, Zed et sa facilité à aller vers les aigus qui aide grandement pour les refrains. D’autant qu’ils fonctionnent par phase, comme pour mettre leur inspiration en jachère. Quelques mois à travailler, puis quelques autres à lâcher prise histoire de toujours savoir se renouveler. La recette 13 Block est savamment préparée.
Dès lors, si leur buzz est né à cette période où sont apparus tout un tas de jeunes goons marqués par la drill de Chicago (40000 Gang, PSO Thug, XVBarbar, etc.), il s’agit plus d’un hasard que d’autre chose. « La musique qu’on fait, on la faisait bien avant. Vu du public c’est normal de nous ranger là parce qu’on est arrivés au même moment. Après, ça ne nous énerve pas, c’est à chacun de se différencier, puis ça nous fait plaisir même, il y a de la concurrence. Et il y en a plein avec qui on s’entend bien. »
Le neuf-treize
Qu’ils rappent la rue, de par leur provenance géographique, c’était presque une évidence. A l’exception d’OldPee, né à Paris mais arrivé à Sevran à 8 piges, tous sont nés et ont grandi dans cette commune parmi les plus pauvres de France. Comme l’énonce Zed avec malice, « c’est pas une ville à chanter du R&B. » Ce rap de rue, « c’est celui qui nous correspondait le plus dans cette ville. » Une origine qui forcément offre d’office la crédibilité. « Ca paraitra toujours moins crédible un rappeur d’une petite ville de province qu’un mec du 9.3. Après c’est le talent qui parle, un mec comme Gradur il a réussi à le faire sans venir d’ici », donc « il n’y a pas que le département qui parle, mais ça joue un rôle. » Toutefois, eux ne se sentent pas forcément membres d’un grand mouvement unifié des rappeurs du 93. Et s’ils ne ressentent aucune animosité envers les autres, ils font leur route. « Y’a des rappeurs du 9.3 avec qui on se connait hein. Même, on peut être potes dans la vie, mais la musique parle et nos univers peuvent ne pas correspondre. » Et quand il s’agit de comprendre leur absence du clip de « 93 Empire », la réplique est simple : « Nous, on n’a pas la réponse hein. » Il en va de même pour la relation avec les autres artistes sevranais. « On se connait tous, mais chacun fait son chemin. Et si on se trouve sur le chemin, tant mieux. » Ce qui ne les empêche évidemment pas de revendiquer la fierté de venir de Seine-Saint-Denis. « Mais le 9.3 on le représente pas parce que d’autres rappeurs le crient, pour faire pareil. C’est parce qu’on l’aime vraiment, tout simplement. » Une fierté qui se ressent tant dans les ad-libs de certains morceaux que dans le titre de leur premier album, Violence Urbaine Emeute, voulu comme un clin d’œil à l’historique émeutier du département.
Toutefois, à Sevran il y en a un qui a su leur donner un coup de pouce. C’était en 2015, alors que leur morceau « Slovaquie » commençait à bien tourner sur YouTube. Kaaris leur offre l’occasion de voir leur nom apparaître sur la tracklist de son second album, Le bruit de mon âme. Le morceau « Vie Sauvage » sera la première occasion d’entendre le 13 Block pour pas mal d’amateurs de rap hardcore. « C’est pas le morceau qui a rendu notre carrière sérieuse en tant que groupe. Le morceau n’a pas assez tourné, il y a des gens qui ne connaissent pas ce son-là. Mais ça a poussé le truc, d’ailleurs le label [Hot Def Records, structure dans laquelle ils sont entourés de beatmakers] s’est créé vers cette période. En fait, on ne connaissait rien au business de la musique, on savait juste écrire, donc ça nous a aidé à nous concentrer là-dessus. On a juste pris cette force-là, à-côté ça ne nous a pas apporté de buzz ou de motivation en plus. Mais c’était un plaisir d’être sur un gros album, puis c’est un truc en plus dans le CV. Simplement, c’est pas une fin en soi. » Une star du rap français et un grand de la ville, à qui ils montrent le respect qu’il mérite. « C’est lui qui a mis un peu de lumière sur le rap sombre et sur la ville. Sans lui ça aurait peut-être été plus difficile de faire le rap qu’on fait et de marcher. Avant ce rap était un peu dénigré, il n’y avait que Booba qui y arrivait. Maintenant, les rappeurs hardcore sont appelés pour des showcases, ils vendent leurs CD. » Et puis, « il a envoyé de la force aux rappeurs de Sevran. »
Du chocolat aux pépites ?
Une grosse apparition qui sera suivie un an plus tard d’un premier album, V.U.E en 2016, qu’ils avouent avoir offert un peu trop tôt malgré l’arrivée de nouveaux auditeurs. Entre vécu de la rue (« Insomnie », « Implication », « 2,3 Kils »), bangers aboutis (« Olaskurt », « L.K.T.E.B », « Vrai n***o ») ou morceaux plus politiques (« Libérez », « Hors la Loi »). Une sérieuse carte de visite suivie quelques mois plus tard d’U L T R A P, mixtape énervée comme le bon rap hardcore sait en délivrer. Puis, dans les mois à venir, un second album pour lequel ils se sentent prêts, au titre encore inconnu mais teasé depuis quelques temps, à coups d’extraits musicalement variés ayant tous pour point commun d’avoir été soigneusement préparés. L’occasion de toucher à leur premier disque d’or, si les planètes s’alignent correctement. Mais alors, où le poseront-ils ? « On voudrait bien le ramener au tiekson, mais les autres l’ont tous fait. Donc, on va essayer d’inventer un nouveau truc. En fait, il en faut absolument quatre, pour que chacun le mette dans ses toilettes et soit content de le voir chaque fois qu’il y rentre. »
Ce disque d’or épinglé à la tapisserie désuète de leurs cabinets, c’est tout ce que l’on a envie de leur souhaiter. Pour leur amour du rap, pour leurs méthodes de travail, pour ce qu’ils apportent, et tout simplement pour leur mérite. Et pourquoi pas même le platine. Histoire de voir Sevran briller encore un peu plus, elle que les JT aiment tant dénigrer, elle qu’ils connaissent par cœur et dont aucun quartier ne leur est difficile d’accès, comme des gars de la ville qui se respectent. Elle qui s’imposerait alors un peu plus encore comme la place forte du rap de rue en cette fin de décennie.