L’évolution des bandes originales hip-hop dans GTA
A l’occasion de la sortie hier de GTA V sur les consoles « next-gen » Xbox One et Playstation 4, Rockstar Games a annoncé l’ajout de 162 nouveaux titres sur les différentes stations de radios comprises dans le célèbre jeu. La bande originale, un élément habituellement plutôt futile lorsque l’on parle de jeu vidéo, est devenu une marque de fabrique de la saga, au point d’en devenir l’un des atouts principaux. Explication du phénomène.
Chaque année de sortie de GTA, c’est toujours la même folie. Les gamers du monde entier abandonnent le jeu qui faisait office de passe-temps, quel qu’il soit, pour se consacrer à ce qui est toujours la sortie de l’année. Depuis sa création et son premier épisode en 1997, Grand Theft Auto, s’est imposé comme une véritable institution, un jeu vidéo qui dépasse son simple cadre d’origine, pour devenir un phénomène de mode réel et palpable. Rockstar Games, éditeur du jeu, a réussi le tour de force de créer un produit représentatif de la culture américaine, d’une part par le contexte de l’intrigue, retraçant des périodes et des communautés caractéristiques comme l’univers mafieux de Miami ou la violence des gangs en Californie ; et d’autre part en étant l’un des symboles de l’ « entertainment » vidéo-ludique, notion essentielle au pays de l’Oncle Sam.
Une belle revanche pour un jeu qui aura connu de nombreuses controverses et de détracteurs lors de ses premières années notamment pour son extrême violence. Il est devenu aujourd’hui une référence et un best-seller absolu. 1 milliard de dollars américains. C’est ce qu’a rapporté GTA IV seulement trois jours après sa sortie, faisant de ce nouvel épisode, le produit de divertissement qui s’est vendu le plus rapidement de l’histoire ainsi que la meilleure vente de jeu pour la PlayStation 3. En plus de ce large- succès commercial, GTA bénéficie d’un unanimisme constant de la part des critiques, de la presse spécialisée et autres, comme en témoignent les nombreuses nominations et awards remportés par le jeu depuis son lancement.
Si l’annonce de la sortie du jeu représente un événement mondial, GTA peut se targuer d’avoir comme second atout promotionnel l’annonce de sa bande originale. En quelques années, les studios Rockstar ont réussi à faire de la bande son un élément à part entière du jeu, un événement en lui-même, autant apprécié par les fans que par les mélomanes. Du simple autoradio gadget, la bande originale a évolué d’année en année pour devenir une sélection de plus en plus pointue. Les plus anciens se rappelleront de la dizaine de stations radios disponibles dans les deux premières versions, contenant chacune un ensemble de 4 à 5 titres inconnus et crées spécialement pour le jeu. Ces stations, que l’on peut écouter lorsque l’on est à l’intérieur d’une voiture, sont construites de telles sortes qu’elles correspondent toutes à l’univers et l’époque que traverse chaque édition du jeu. C’est ainsi que l’on retrouve par exemple dans les premières versions une fréquence dédiée à chacun des gangs présents dans le jeu.
Le premier indice de cette évolution de la bande viendra au moment de la sortie du GTA II sur PC, qui donnera lieu à la réalisation d’un coffret comprenant le CD du jeu ainsi qu’un disque compilant tous les sons qu’on pouvait y retrouver. Mais c’est véritablement à partir du troisième volet qui impulse les grands changements au niveau de la direction musicale, avec l’instauration d’un système de playlists composées de « vraies » chansons choisies par un DJ ou une personnalité, répartis par genre musicaux : classique, pop, reggae, world, dancehall, house, italo fisco, rock…Une palette diversifiée. En ce qui concerne le hip-hop, on peut trouver DJ Strech Armstrong et Lord Sear dans GTA III , DJ Clue dans Liberty City, Forth Right MC et Chuck D pour San Andreas, et Mr. Magic pour l’épisode se déroulant à Vice City. Si les noms ne sont pas tous très clinquants, les sélections sont déjà pointues, démontrant une envie d’accentuer l’expérience de jeu et sa crédibilité sur un créneau urbain qui constitue l’environnement de l’intrigue.
Le niveau montera définitivement d’un cran avec le quatrième épisode de la saga, qui fait appel à Mister Cee, Green Lantern, Funkmaster Flex, DJ Premier au rayon hip-hop, mais également à des pointures comme Crookers pour l’électro, Femi Kuti en Afrobeat, Iggy Pop pour le rock et se paye même le privilège d’avoir une sélection choisie par…Karl Lagerfeld ! Une tendance exacerbée qui se confirme dans le cinquième épisode de la saga, qui invite l’actrice Pam Grier et le modèle Cara Delevingne, parmi Bootsy Collins, Flying Lotus ou encore l’animateur Big Boy. Le choix est clair. Il s’agit de faire appel à des célébrités, en lien plus ou moins étroit avec la musique. Un casting de leaders d’opinions et de cautions musicales dans leur genre respectif, pour asseoir encore plus la légitimité du jeu et de sa B.O. Un échange gagnant-gagnant : le prestige de l’artiste et son expertise sont consacrés et Rockstar Games s’offre encore un peu plus de promotion à un moment où les artistes deviennent leur propre média.
Lorsque l’on demande à ces DJ’s ou célébrités d’établir des playlists, c’est aussi un accès direct à leur univers musical qui nous est ouvert. À la vue des différentes playlists hip-hop du dernier jeu, on peut tirer des tendances certaines sur les mouvements et les artistes dominants du moment. À l’exception de la sélection de Flying Lotus, extrêmement « spé », fortement imprégnée de son univers musical et de ses propres sons, les autres playlists, plus particulièrement celle concoctée par le DJ Big Boy, sont dominés par les artistes West Coast, notamment les incontournables du Black Hippy (Kendrick Lamar, Schoolboy Q, Ab-Soul et Jay Rock), The Game, Nipsey Hussle, YG ou encore Iamsu!. L’autre tendance qui se dégage vient d’Atlanta, bien représentée par T.I, Gucci Mane, et encore Future. À coté de ceux la, on retrouve des artistes plus classiques comme les membres d’A$AP Mob (Rocky, Ferg…), Freddie Gibbs, Rick Ross, Danny Brown mais qui témoignent de leur importance actuelle sur la scène hip-hop.
Cette compilation de titres qui évolue à chaque sortie d’un nouveau jeu forme peu à peu une encyclopédie sonore, une sorte de témoin figé collant à l’actualité musicale de son époque. Par cela, GTA a peut-être lancé un nouveau medium et pérennise le hip-hop dans l’un des médias les plus important à nos jours, les jeux vidéos.