Kader Diaby veut être pris au sérieux
Rappeur qui fait de l’humour ou humoriste qui fait du rap. Kader Diaby a fait le choix de ne pas véritablement choisir – même si la sortie prochaine de son premier EP n’est pas anodine. Lui se veut « artiste », dans son sens large, et ne s’interdit pas d’ajouter encore d’autres cordes à son arc. Rencontre.
Photos : @lebougmelo
Le 25 février dernier, au lendemain d’un « turn up ibérique » à la Machine du Moulin Rouge en compagnie de l’espagnol Kidd Keo, on interpelle YARD sur Instagram. Face caméra, un certain Kader Diaby ironise sur le déroulement de sa soirée, le comportement des gens qu’il y a croisé ou encore le prix des boissons, dans un débit de parole effréné. La vidéo dure un peu plus de 50 secondes, et s’achève avant même que l’intéressé n’ait pu finir sa dernière phrase. C’est brut, drôle, spontané, efficace. À ce moment précis, nous ne savons pas encore exactement qui est Kader Diaby. Mais les quelques centaines de milliers de followers qu’il revendique déjà nous suggèrent tout de même que nous passons peut-être à côté d’un petit phénomène.
Au premier abord, Kader Diaby semble pourtant être un de ces « humoristes » dont regorge Internet. Il abreuve sa communauté de brèves vidéos dans lesquelles il s’amuse de situations du quotidien, s’emporte sur le moindre petit rien. Ceux qui le suivent de longue date savent cependant qu’il existe au moins une autre facette de sa personne, qui ne se manifeste – d’abord – que les dimanches, le temps d’un freestyle hebdomadaire. Car la véritable passion de ce natif de Pithiviers, c’est le rap, qu’il commence à exercer vers l’âge de 15 ans. La comédie n’est venue qu’un an et demi plus tard, avec un plébiscite autrement plus significatif.
« Ma page Instagram, c’est moi. Demain, si je veux y mettre de la danse classique, je le ferai. Chacun aime ce qu’il veut dessus, mais au bout du compte, tu suis une personne. »
Mais celui qui survole le compte Instagram @kaderdiaby4real peut très bien passer à côté de tout ça. Si Kader Diaby n’a jamais cessé d’enfiler simultanément ses deux casquettes, les vidéos permettant d’apprécier ses talents de rimeur ont longtemps été noyées dans une abondance de contenus à vocation humoristique. « Le truc, c’est que les vidéos sont beaucoup plus virales que le rap, explique t-il simplement. Sur une même semaine, tu avais trois vidéos d’humour pour un freestyle rap. Pourquoi trois vidéos d’humour ? Parce que le buzz était en train de monter, je ne pouvais pas me permettre de n’en faire qu’une par semaine. Il fallait que je bombarde. » Mais même là, Kader Diaby se considérait comme un « rappeur qui fait des vannes », et non l’inverse, comme il le clamait déjà sur « Forreal ».
Décider de vivre de l’art, du sport ou de la comédie s’apparente souvent à un grand saut dans le vide. Combien de gosses se sont imaginés footballeurs avant d’être dissuadés par des parents leur sommant de considérer une profession plus « modeste » ? Kader Diaby, lui, a grandi à Cannes dans une famille de footeux (son frère cadet, Lamine Diaby Fadiga, a récemment signé son premier pro avec l’OGC Nice). Et ses aspirations artistiques ont été accueillies avec le même genre de scepticisme. « Ça a été difficile au début, mais c’est logique quand tu es le premier à dévier sur des générations et des générations », concède t-il. Après s’être brièvement essayé au stand up, le jeune homme décide à 18 ans de quitter le Sud pour passer des tests dans une école de théâtre en région parisienne, sans succès. « Je n’ai pas été pris mais j’avais déjà comme projet de monter à Paris, donc je me suis dit “Nique sa mère, je reste” », se remémore le cannois d’origine. « Ne pas faire l’école de théâtre, ça m’a aidé à buzzer parce que j’ai pu faire des vidéos tout le temps. »
Et si ces vidéos ont grandement contribué à la cyber-notoriété de Kader Diaby, l’intéressé s’est d’ores et déjà lassé de les faire. On ne trouve d’ailleurs presque plus de traces de celles-ci sur son compte Instagram, à l’aube de la sortie de son premier EP, 4Réal, prévu pour le 16 décembre. Un EP qui sera d’ailleurs éponyme, puisqu’à cette occasion, Kader Diaby devient 4Réal. Comme s’il cherchait à tourner la page. « J’en ai laissé quelques unes pour moi, des vidéos bien tournées dont je veux que les gens se rappellent », corrige t-il tout de même. « J’ai fait mes vidéos, c’était bien, on a bien ri une année, mais maintenant, c’est bon. » Dans une France qui aime tant définir, et qui n’envisage pas toujours que l’on puisse opérer dans plusieurs disciplines, l’artiste aujourd’hui âgé de 20 ans sent qu’il a des choses à prouver. Plutôt que de teaser son projet à travers des extraits, il a choisi de se défendre sur le terrain de prédilection des rappeurs, étant à créditer de freestyles plutôt remarqués du côté des Planète Rap de Bigflo & Oli et 4Keus, ou dans la deuxième saison de Rentre dans le Cercle.
On ne peut que le comprendre. Entre Mister V, Prime ou Yannou JR, de plus en plus de personnalités issues de YouTube ou des réseaux sociaux se lancent dans le rap, sans pour autant que le public ne semble véritablement les prendre au sérieux, et les considérer comme des « rappeurs » à proprement parler. Kader Diaby ne se considère pas de ceux-là. Pour lui, en mettant les vidéos en stand-by au profit de la musique, il ne s’agit pas d’opérer un changement de cap, mais plutôt de recontextualiser, de remettre l’église au milieu du village. De rappeler que celui qui répond désormais au nom de 4Réal, est avant tout un artiste, dans son sens large, dont la démarche se veut plus proche d’une Cardi B – toutes proportions gardées – que d’un Ohmondieusalva : ses réseaux sociaux lui servent à passer toutes sortes de « coups de gueule » qui, de par leur ton, prennent naturellement une tournure comique. « Ma page Instagram, c’est moi. Tu ne suis pas ‘Les vidéos de Kader Diaby’, mais ‘Kader Diaby’. Demain, si je veux y mettre de la danse classique, je le ferai. Chacun aime ce qu’il veut sur mon Insta, mais au bout du compte, tu suis une personne. »
Pour ne jamais s’ennuyer, Kader Diaby s’est autorisé à tout tenter, au risque de s’éparpiller. Ce sera toujours le meilleur moyen de trouver sa (ses ?) voie(s). « Ma vie sera riche en expériences. Il y a plein de gens qui sont des artistes cachés, mais qui ne le savent pas parce qu’ils se lancent pas. Si ça se trouve, j’ai peut-être un don de malade au tennis, on sait pas… », ironise t-il. Quand on lui demande où pense t-il en être dans dix ans, le jeune rappeur nous parle de détente à Los Angeles ou à Miami et d’une belle vie… d’acteur. Lui continue d’ailleurs d’être à l’affut de toutes opportunités de rôles et de castings. « Je vais re-switcher, c’est sûr et certain. Parce que je ne veux pas rapper toute ma vie. Un jour, je vais essayer d’être acteur. Il faut faire plein de trucs, faire ce que tu as envie de faire. Tu n’as une vie, si tu ne fais pas ce que tu as envie de faire, tu vas trop regretter. » Le futur de Kader Diaby ne cesse de s’écrire en pointillés, et c’est sans doute mieux comme ça.