Comment le PSG est-il devenu une marque hype ?
Le PSG rêve en grand. De trophées européens mais aussi de conquête marketing mondiale. Représentant d’une ville crâne, le club s’est taillé une place de choix sur le terrain de la mode et du cool. Vulgarisée par ses partenariats avec Jordan et BAPE, sa stratégie hors rectangle vert s’est mise en train il y a déjà quelques poussières d’années.
Paris, sa tour coquette en fer, ses immeubles bien moulés, sa plus belle avenue du monde, ses Maisons de mode qui flambent. Puis son club de foot qui profite de ce qu’elle soit grande. En février 2013, le PSG dévoilait un logo tout neuf, qui réaffirmait sa filiation à la Ville Lumière. On avait effacé la date de création – 1970 – parce qu’elle sentait trop le frais, avec son âge pas même cinquantenaire. En revanche, on avait écrit « Paris », la sublime, la pleine d’histoire, en lettres bien grosses, reléguant « Saint-Germain » tout bas, en petit. Elément toujours central du logo, la Tour Eiffel est, elle, depuis presque toutes les communications. Le maillot third 2017/2018 lui empruntait même ses lignes croisées graphiques, qui habillaient ses numéros dans le dos et ses bandes blanches aux épaules. Le phare de Paname et tous ses jolis monuments se glissent dans des iconographies, des covers Facebook ou des posts Instagram.
« Paris symbolise la mode, le style, la créativité et l’énergie », pose Nasser al-Khelaïfi. « Nous voulons que le PSG embrasse ces valeurs, qui font la singularité de la ville. » Depuis sa nomination en 2011, le président du club martèle la même ambition : faire du PSG l’une des plus grandes marques de sport au monde, une qui résonne et rassemble dehors les stades. Bien né, le PSG ne défend pas n’importe quelle ville ; la sienne est capitale de la mode. Comme elle, il doit produire du beau, humer l’air du temps, innover, inspirer. Ici, c’est Paris. Au coeur de l’ADN du club, l’ancrage géographique a composé un mantra, qu’on blasonne et qu’on rebat.
Il y a quelques années, le maillot de foot avait ce truc ringard dans la dégaine, qu’on assumait pas trop. Aujourd’hui, il se fait voir en ville, flashy sur un jogging ou sage avec un jean.
Elles se sont bien brouillées, les frontières entre mode et ballon rond. Il y a quelques années, le maillot de foot avait ce truc ringard dans la dégaine, qu’on assumait pas trop. Aujourd’hui, il se fait voir en ville, flashy sur un jogging ou sage avec un jean. Il faut dire qu’entre temps, la tendance athleisure est passée par là, celle qui prône le vêtement de sport pour tous les jours. En dessinant une marinière puis un polo pour l’Equipe de France, Nike avait senti la vague. Fatalement, la mode qu’on dit d’en haut n’avait pas tardé à revisiter la panoplie du supporter. Façon de « faire peuple ». Gosha Rubchinskiy et Demna Gvasalia les premiers, avant les grandes Maisons comme Versace, Dolce & Gabbana et Diesel. Puis tout ce que le streetwear compte de labels hype : Supreme, Bape, Patta, KITH, Stüssy, Palace.
« Les codes ont changé. Il est possible de porter un maillot de foot avec une jupe de créateur ! Une fille peut être très sexy en portant un maillot de foot », observe Christelle Kocher, fondatrice du label Koché. Cet été, Virgil Abloh et Kim Jones révélaient même chacun une collection-capsule pour Nike, Gosha Rubchinskiy pour adidas, rapport au Mondial en Russie. Adoubé par l’élite créative, le foot convoque un nouvel imaginaire, à contre-pied du bar PMU et des bières qu’on siffle en hâte. Le PSG, lui, a accompagné, et peut-être même surtout dopé, la glamourisation du genre.
Le PSG version Qataris rutile, rayonne. Floqués au nom de joueurs-marques – hier Javier Pastore, Zlatan Ibrahimovic ou David Beckham, aujourd’hui Edinson Cavani, Neymar ou Kylian Mbappé – ses maillots s’écoulent par centaines de milliers chaque année. 900 000 en 2017, à ça de chatouiller le million. Tout aussi footballeurs qu’égéries, les stars du PSG projettent leur image sur le club et gonflent sa grandeur, son prestige, sa popularité. « Grâce à ça, les populations qui ne sont pas ‘club orientées’ mais ‘icônes orientées’ ont commencé à consommer des produits Paris Saint-Germain », relève Fabien Allègre, directeur du développement de la marque PSG. Puis voilà que le gratin médiatique mondial – sportifs de haut niveau (LeBron James, Stephen Curry, Ben Simmons, Kevin Durant, Jimmy Butler…), chanteurs (Jay-Z, Beyoncé, Rihanna, 6ix9ine, Lil Pump, Tyga, Ciara…) ou figures mode (Virgil Abloh, Kendall Jenner, Gigi & Bella Hadid, Naomi Campbell…) – porte beau le rouge et bleu ou se presse en tribune VIP. Des idoles qu’on adule, qu’on écoute, qu’on imite. VRP de luxe, qui étendent l’influence du PSG au monde, à la mode, au cool.
L’emballage se veut élégant, à la parisienne. Depuis 2011, on n’en finit plus de réinventer l’uniforme, en du moderne, du différent, du qui-vend. La saison dernière, il se déclinait en jaune Brésil pour l’extérieur, collant à l’humeur maillots fluo du moment. Une version qui s’était mieux vendue que celle maison, avait même paradé dans un clip sur J. Cole. Imaginé par feu le président Daniel Hechter, le design originel s’oublie dans des bandes rouges déformées ou amincies, des bords blancs qui s’éclipsent, des touches roses ou lie-de-vin qui jaillissent. Ça crée un brin de tension entre l’identité historique du club et son développement commercial, les supporters de toujours et les nouveaux fans. « Ceux qui défendent le maillot Hechter, c’est une cible que l’on respecte pleinement », rassure Fabien Allègre. « Nous faisons toujours en sorte d’avoir des ‘produits fans’ qui représentent le logo dans son pur ADN foot, mais, derrière, nous essayons aussi de suivre une évolution qui fait partie du projet du club, pour aller chercher une autre clientèle. C’est ce qui nous a notamment amené à faire des collaborations. »
Porte-drapeau d’une ville dont il revendique l’essence créative, le club est le seul au monde à nouer des partenariats – hors contrats de sponsoring – avec des créateurs de mode.
Ç’avait vraiment commencé au printemps 2014, les collab’ branchées. Avec une dizaine d’œuvres hommage et une ligne de produits dérivés, exposés chez colette. Le concept-store avait accueilli ensuite tout un tas de capsules co-griffées PSG, avec Civissum, Commune de Paris, Maison Labiche, Iro, George Esquivel… Juste avant de fermer définitivement ses portes, colette s’était offert un dernier partenariat avec le club, un coffret de deux maillots collector à 380€, limité à 100 exemplaires. Sous la caution du temple du cool parigot, le PSG a assis son positionnement lifestyle, gagné ses galons mode et hype.
Pour conforter sa légitimité toute fraîche, le club a continué de collaborer avec l’avant-garde de la création parisienne. Afterhomework, un label ultra pointu, a revisité son maillot dans des versions déstructurées, mais surtout, Koché lui a dédié deux collections. En septembre 2017, la marque faisait défiler des maillots rebrodés de cristaux, ornés de grosses fleurs ou gansés de dentelle, des robes patchwork et des sweats portés sous des bustiers. Des pièces offertes au regard des modeux du monde entier pendant la sacro-sainte Fashion Week. La pré-collection Automne 2018 récidivait, en apposant le logo du club sur des survêtements, des chemises d’homme et des robes. « Koché porte dans son ADN un mix entre la Couture et le streetwear. Il était naturel pour moi de travailler avec ce club emblématique qui lie tous les parisiens et fans du PSG, quelles que soient leurs origines », explique Christelle Kocher. « Le PSG a découvert un nouvel univers, celui de la mode. C’était très stimulant pour eux comme pour nous d’un point de vue créatif. » Porte-drapeau d’une ville dont il revendique l’essence créative, le club est le seul au monde à nouer des partenariats – hors contrats de sponsoring – avec des créateurs de mode.
À la rentrée 2018, le PSG s’était piqué d’audace et avait vu plus grand, avec un co-branding sans précédent. Pour la première fois dans l’histoire, Jordan brodait son « Jumpman » sur la poitrine d’un maillot de foot. « C’est une exclusivité, c’est ça qui est important. Ce n’est pas comme si c’était quelque chose de beau que quelqu’un avait déjà, tu en es l’unique détenteur », soufflait Thomas Meunier dans une vidéo de promotion de la collaboration. Par son esthétique, son caractère inédit et son exclusivité, le maillot suggère à ses possesseurs qu’ils sont privilégiés, presque uniques. La valeur d’un objet est d’autant plus grande qu’il est rare. En même temps que les équipements de la Champions League, le PSG et Jordan avaient dévoilé une série de pièces lifestyle en noir et blanc : t-shirts, hoodie, joggings, casquettes, maillots de basket, vestes, Air Jordan 5… Tout s’était épuisé trop vite, façon drop Supreme du jeudi. Le communiqué de presse s’était enorgueilli, comme quoi c’était « une nouvelle ère dans l’alliance du football et du style ». On voulait tout à la fois affirmer son avant-gardisme et séduire un public plus large, pluriel, international.
« La rue, c’est de là d’où tout part. Quoi de plus urbain que la ville de Paris. » – Fabien Allègre, directeur du développement de la marque PSG
Des modèles de la collection avaient été offerts en avant-première à une sélection pointue de personnalités ; ça avait renforcé le sentiment d’exceptionnalité. Sur les vedettes, l’ordinaire devient extra. Là, on avait aperçu Travis Scott avec un maillot de basket (au festival du Cabaret Vert à Charleville-Mézières). Ici, Justin Timberlake en veste coach (lors d’un concert à Bercy). On avait choisi des ambassadeurs qui inspirent, puis façonné un imaginaire genre cool urbain. Le 13 septembre, quelques dizaines de journalistes et influenceurs s’étaient serrés dans les entrailles du Parc, pour le lancement de la collection. Dans un décor tamisé, des danseurs se contorsionnaient sur une bande-son lo-fi hip hop, autour d’une installation à base de filets de buts qui se croisent et de paniers de basket éclairés par des tubes néons. Puis les spots crachaient leur lumière blanche sur Kylian Mbappé et Dani Alves, entourés de Wale, de Fabolous, d’Aleali May et des Twins, étendards de la culture street. C’était frais, bien senti. Comme l’ensemble du projet, abouti. En interne, on se flatte de ce que les retombées ventes soient formidables.
Quelques semaines plus tard, le frisson était à peine retombé quand le PSG et BAPE livraient main dans la main une collection streetwear ultra limitée. Sa production bien serrée, sa rangée de prix élevés (jusqu’à 750€ pour la doudoune) et sa distribution sélective avaient fonctionné comme des marqueurs de préciosité, créant de la survaleur, excitant la désirabilité. Pour l’incarner, on avait tranché pour un visage street mais un peu niche, le rappeur Kekra. Un référent pour la jeunesse urbaine, le cœur de cible du PSG. « Cette collection s’adresse à une communauté qui aime le foot mais surtout la rue », commente Fabien Allègre. « La rue, c’est de là d’où tout part. Quoi de plus urbain que la ville de Paris. » Dans la même veine, le logo du PSG s’était récemment décliné sur des planches de skate Primitive à Los Angeles, Andrew à Miami. La rue inspire, contamine. Elle dicte les goûts, les tendances. La nouvelle génération, celle qu’on appelle Y ou Z, lui emprunte ses codes esthétiques comme une norme. Le PSG s’était associé à BAPE pour son identité territoriale, aussi. Le Japon et le PSG se ressemblent, dans leur approche créative. Question technicité, design et excellence. En 2015, déjà, le club confiait la conception d’une collection à Hirofumi Kiyonaga, l’une des figures les plus influentes du streetwear nippon. Le PSG a étendu son univers et son expertise, vers plus de style, de savoir-faire, d’innovation. Là, mais aussi ailleurs.
Sur la seule année 2018, le PSG a inspiré une dizaine de collaborations, dont certaines exclusives à des marchés spécifiques, comme Edifice à Tokyo ou Dover Street Market à Singapour. Une volonté d’envelopper le monde tout entier. Avec du Hello Kitty pour les adolescentes, du Levi’s pour le grand public, du Manish Arora pour les gens du luxe. Le PSG ne veut pas faire dans l’élitisme, le triage. Fabien Allègre dit qu’il doit pouvoir proposer des produits qui répondent aux demandes de tous les supporters, quels qu’ils soient. Être partout, mais surtout, « là où on ne l’attend pas ».