Après Rejjie Snow, la nouvelle pépite venue d’Irlande s’appelle Biig Piig
Entendue du coté de COLORS ou du Pitchfork Avant-Garde, Biig Piig est une petite bulle de délicatesse cachée derrière un alias qui rappelle qu’il ne faut pas se fier aux apparences. Entretien.
Photos : @alextrescool
Il y a chez Biig Piig quelque chose de Cassie Ainsworth, personnage étrange mais attachant de la série britannique Skins. Si elle peut paraître assez lunaire au premier abord, avec son regard qui s’égare et son débit nonchalant, ses interventions témoignent généralement d’une grande lucidité. Et preuve – s’il en fallait – qu’il ne faut décidément pas se fier aux apparences, sa musique ne correspond en rien à ce qu’on aurait tendance à imaginer d’une petite rouquine venue d’Irlande. D’un single à l’autre, Apple Music la classe tantôt côté « Hip-Hop/Rap », tantôt côté « R&B/Soul ». « Soulful » semble effectivement être un terme adéquat pour qualifier les sons que Biig Piig entonne d’une voix poussive mais particulièrement délicate, et qui se sont dernièrement fait entendre sur la fameuse chaîne COLORS ou lors du Pitchfork Avant-Garde. À l’occasion de son dernier passage dans la capitale, on a rencontré Jess Smyth – son nom à l’état civil – pour une première présentation, qui suit la sortie de son EP Big Fan of the Sesh, Vol.1.
J’ai pu lire que tu avais pas mal bougé d’un pays à un autre au cours de ton enfance et ton adolescence. Est-ce que tu peux nous aider à retracer un peu d’où tu viens et où tu as été ?
Alors je suis née en Irlande, puis j’ai été élevée en Espagne de 4 à 12 ans. Je suis ensuite revenue brièvement en Irlande, puis je suis partie à Londres quand j’avais 14 ans. Donc ouais, j’ai eu une enfance assez dispersée… Mais c’était cool. Il y a quelque chose de vraiment bénéfique à grandir entre plusieurs cultures.
Qu’en est-il de la France ? C’est ta première fois ici ?
En France ? Du tout ! Je suis déjà venue l’année dernière, puis je viens assez souvent en général. La première fois, ça a du être quand j’avais 16 ou 17 ans et depuis, c’est presque devenu une habitude. J’ai dû y revenir genre cinq fois, à peu près chaque année. C’est un endroit vraiment charmant. Parfois, j’ai un peu le sentiment que Londres peut être un peu harassant. Quand je viens ici, je peux réellement décompresser.
C’est drôle de t’entendre dire ça parce que Paris a justement la réputation d’être une ville particulièrement usante.
Pour le coup, je n’ai jamais eu ce ressenti-là. Ici c’est juste cool, je n’ai pas besoin de me précipiter pour quoique ce soit.
Qu’est-ce que tu as tiré de toutes ces expériences à l’étranger ?
Je pense qu’en grandissant dans différents pays, tu apprends à t’adapter d’un environnement à un autre et tu te rends compte que les communautés ne sont pas si différentes que ça les unes des autres. Même si on se ressemble pas sur tous les points, on reste tous des êtres humains au bout du compte. Puis tu apprends à communiquer, à te faire comprendre et à faire en sorte de trouver du confort dans un endroit qui ne l’est pas forcément au premier abord.
Et comment ça te sert dans l’industrie de la musique ?
Dans l’industrie de la musique… [Elle réfléchit] C’est assez étrange, en vrai. Parce que c’est difficile de se sentir vraiment confortable dans un environnement qui change constamment. Le monde de la musique a quelque chose d’assez effrayant, pour être honnête. Pour grandir en tant que musicienne, je pense qu’il te faut savoir ce dans quoi tu es bonne au départ, et ne pas avoir peur de changer et d’évoluer à mesure que tu avances. Il faut toujours essayer de garder la tête haute.
Comment en es-tu arrivée à faire la musique que tu fais aujourd’hui ?
J’ai commencé à faire de la musique autour de mes 14 ans, principalement des trucs acoustiques au départ. J’ai arrêté pendant un petit moment quand j’avais 16 ans. Puis j’ai rencontré un tas de très bons amis quand je suis allée au College, notamment Lava La Rue et Mac Wetha, dont je suis très proche. Ils font tous deux partie de mon collectif NINE8. Un jour, Lava avait organisé une soirée et m’avait dit de venir parce qu’on ne s’était pas vues depuis longtemps. À un moment donné, ils faisaient un cypher dans la chambre d’à côté, et je me rappelle d’être entrée dans la pièce, avoir attrapé le micro pour improviser sur le beat. Et là, Lava me dit : « Putain, c’était trop chaud ce que tu as fait ! » À l’époque, elle faisait déjà une sorte de hip-hop expérimental, donc elle m’a dit : « Il faut que tu viennes avec moi pour qu’on enregistre ». Donc on a commencé à aller régulièrement chez Lloyd [le vrai nom de Mac Wetha, ndlr], et tout est parti de là. C’est important d’avoir cette dynamique de groupe, parce que tout va tellement vite dans ce milieu, tu peux facilement te sentir un peu isolée.
« Beaucoup de noms peuvent te mettre dans une case, et ce que mon nom fait, c’est dire ‘Tu as le droit d’en avoir rien à foutre’. »
Quels artistes t’ont inspirée étant plus jeune ?
Quand j’étais vraiment petite, j’adorais Gabrielle. C’était une grande chanteuse de soul britannique. Puis en grandissant, j’ai eu un petit faible pour Ben Harper, et le côté très acoustique de sa musique. Otis Redding, également. Après je n’ai pas réellement cherché à découvrir de la musique avant d’être bien plus âgée. J’aimais juste écouter la radio, et notamment cette station qui s’appelait Smooth et qui passait tous les classiques.
Que veux-tu faire ressentir à l’auditeur qui écoute ta musique ?
Je veux que ma musique soit presque comme une confrontation. Comme si on était assis dans une chambre face à face, et qu’on avait une conversation. Je veux qu’il puisse se sentir impliqué, lui communiquer des émotions qu’il est en mesure de comprendre précisément. À côté de ça, je veux que mon message soit compréhensible par tous, et pas uniquement par ceux qui me sont proches. Genre ceux qui m’ont déjà vue, qui me connaissent en tant que personne, ou qui parlent la même langue que moi. Je ne veux pas me limiter à ces gens-là. Même si tu ne comprends pas les lyrics, il faut que tu puisses comprendre les émotions, que la mélodie puisse te parler d’une certaine manière.
Parle-moi de ton nom, « Biig Piig ». D’où est-ce que ça vient ?
Ça vient d’une fois où j’étais chez moi avec des amis. L’un d’eux a dit : « Venez, on commande des pizzas ? » Donc j’ai attrapé un menu au hasard et dessus, il y a avait une pizza qui s’appelait Biig Piig. On l’a commandée et logiquement elle était assez écoeurante. [rires] Mais c’est limite devenu une blague entre nous, et comme je n’arrivais pas à trouver un nom pour mon compte SoundCloud j’ai dit « Allons-y pour Biig Piig ».
Qu’est-ce qui t’a fait dire que ce nom te convenait ?
Je pense que beaucoup de noms peuvent te mettre dans une case, et ce que mon nom fait – ou du moins, ce que j’espère qu’il fait – c’est dire : « Tu as le droit d’en avoir rien à foutre ». Tu n’as pas à être parfaitement belle et soignée tout le temps, tu peux aussi te négliger et il n’y pas de problème à ça. Ça te donne la liberté de faire ce que tu veux. Enfin, c’est ce que je pense.
Parlons de ton dernier EP, Big Fan of the Sesh EP, Vol. 1. Dans quel état d’esprit étais-tu au moment de l’écrire et de l’enregistrer ?
Ça m’a pris pas mal de temps pour l’écrire, certains sons remontent à pas mal de temps. À cette époque, c’était un peu les montagnes russes pour moi. Le projet évoque beaucoup de moments intenses que j’ai vécus quand j’avais genre 17 ans, et écrire m’a fait me replonger dans ces moments. Tu te rends vulnérable. Mais je pense que le travail n’est jamais meilleur que quand il est difficile. Si faire cet EP avait été facile, je ne pense pas que j’en aurais été aussi fière.
Et puisque que ce projet est le « volume 1 », que peut-on attendre des autres volumes ?
C’est une histoire en trois parties que je voulais raconter. La première est sortie, je travaille actuellement sur la seconde qui devrait sortir cette année et la troisième… On verra. Je voulais raconter trois périodes de ma vie qui ont fait la personne que je suis. Mais c’est assez compliqué parce que je suis en constante évolution à mesure que j’avance. Tout est si différent depuis que j’ai commencé ce projet… Mais oui, le second sera cool et il aura un titre différent d’ailleurs.
J’ai demandé ce que nous pouvions attendre de ce projet, mais qu’est-ce que tu en attends personnellement ?
C’est difficile à dire. J’espère que ce projet m’aidera à mieux me comprendre encore. Depuis j’ai commencé, la musique a été une sorte de bénédiction qui m’aide à réaliser pourquoi je fais ce que je fais et pourquoi certaines choses m’affectent plus que d’autres. Aujourd’hui, tout a plus de sens. Je prends beaucoup en maturité à travers la musique. D’un point de vue carrière, j’adorerais dire « C’est CE projet qui va tout péter ! » Mais je n’en ai aucune idée en réalité. Tu ne sais jamais. À vrai dire, je ne m’en soucie pas vraiment. Du moment que je suis heureuse avec ça, contente de ce que je sors, que les gens écoutent les morceaux et comprennent ce que je dis, ça me va.