Tessa B : « C’est très rare de tomber sur son alter ego musical »
De chanteuse pour Synapson à artiste solo, Tessa B a tracé sa route entre discrétion et foules en délire, parfois dans les plus grandes salles de France. On l’a redécouverte avec les singles « Jamais » et « Repose en paix », dans lesquels elle se réapproprie les sonorités r&b à la française. Son premier EP paraîtra cet été, et elle sera en concert à la Boule Noire le 17 mai prochain.
Photos : @alextrescool
Tessa B. De son vrai nom Marine Basset — on vous confie la tâche d’en inverser le sens —, la chanteuse, auteure et interprète que l’on a pu voir sur les plus grandes scènes des festivals français revient aujourd’hui sous le feu des projecteurs mais, cette fois-ci, avec un projet qui lui appartient. L’artiste de vingt-cinq ans, qui a grandi aux Lilas puis en Seine-et-Marne, a sillonné les routes de France aux côtés de têtes d’affiche de la pop française (Synapson, Jabberwocky, Arigato Massaï…) pendant plusieurs années, avant de chercher de nouveau à définir son identité musicale. Tessa B fait des blagues, a tout l’air d’une hyperactive et bavarde allègrement : « Si je meurs c’est de rire que je vais clamser » projette la chanteuse dans « Repose en paix ». La bonne humeur a l’air de toujours l’emporter mais se teinte parfois de cynisme, comme traversée d’une inquiétude : qu’est-ce qui pourrait bien nous arriver demain ? En attendant de le savoir, on vous fait les présentations.
D’où vient la musique dans ta vie ?
Mes parents ne sont pas de grands mélomanes. Ma mère est fonctionnaire et maître nageur, mon père est dans le transport… Mais mon grand-père était DJ dans les mariages [rires] ! Mine de rien, quand on allait le voir en week-end, il partageait cette passion pour la musique… En tout cas, ma petite sœur et moi, on a toujours chanté. J’ai toujours été fascinée par les grandes voix, c’est ce qui me touche le plus. J’essayais de reproduire, d’imiter. Inconsciemment, je travaillais sur ma voix, j’imagine que j’ai aussi évolué comme ça. Et la scène m’a toujours intriguée.
Tu te souviens de la première fois que tu es montée sur scène ?
Oh la la, il y avait un festival des jeunes talents à Meaux… C’était à l’espace Caravalle. Ma mère voulait absolument que je le fasse, elle me disait : « Monte sur scène, ça va te faire de l’expérience », alors je me suis inscrite. J’avais quinze ans. C’était une salle de trois cents personnes. J’avais chanté « What’s Up » des 4 Non Blondes, « Thinking Of You » de Katy Perry, et « Black Horse And The Cherry Tree » de KT Tunstall. C’était une catastrophe, j’avais un look de chanteuse country, genre Miley Cyrus période Hannah Montana ! Et pourtant… J’ai gagné ! J’étais choquée. Mais ça a débloqué un truc.
Tu as fait tes classes très jeune au sein de l’industrie musicale.
Au lycée, je passais ma vie à envoyer des candidatures. J’avais besoin de m’exprimer, de faire du théâtre, de la figuration… J’ai été dans deux écoles de théâtre différentes. Je n’écrivais pas de chansons, mais à dix-sept ans, j’avais déjà rencontré mon premier producteur, après qu’il soit tombé sur une démo où je reprenais « Atlas » de Etta James. On a fait un album hyper rapidement après, mais ce n’est jamais sorti. Et j’ai signé chez Parlophone. Pour moi, c’était normal d’être signée au bout de trois mois en maison de disque, alors qu’en fait, les gens galèrent ! Plus tard, je me suis dit : « Putain, j’ai sauté une étape ». Et je suis très reconnaissante pour ça.
C’est à partir de ce moment-là que tu as enchaîné sur des tournées pendant plusieurs années ?
Mon directeur artistique m’avait appelée pour me dire qu’il manquait une chanteuse sur une tournée de Synapson. Je pensais faire deux trois dates et en fait, deux semaines après, on m’a proposé les Zéniths. Il y a également eu les concerts avec Jabberwocky et d’autres encore. Moi, j’avais une petite expérience scénique avec le théâtre. Mais j’ai compris que la musique me correspondait beaucoup mieux. Peut-être parce que ce n’était pas mon projet, j’avais donc un certain nombre de libertés et je pouvais me permettre plus de choses.
Quels ont été les grands moments d’enseignement pour toi, pendant cette période ?
Clairement, les Zéniths m’ont marquée. On a fait toute une tournée « Flash Deep » : je me suis retrouvée devant six mille, huit mille personnes… Je n’avais jamais vécu ça, donc c’était fou. J’avais le trac mais j’ai pris goût à l’adrénaline. Avec Alexandre et Paul de Synapson, mais aussi le reste de l’équipe, on est devenus une famille. Et la dernière date à Rouen restera à vie gravée dans ma mémoire. C’est le concert où j’ai le plus réussi à être moi-même et à profiter de chaque instant avec les gens sur scène. En fait, le concert où j’ai le plus aimé être sur scène.
Justement, je me demande si la scène n’est pas ton réel premier amour, avant même la musique.
C’est cliché ce que je vais dire, mais quand je suis sur scène, je me sens hyper bien. J’ai appris avec Synapson que j’adorais faire le show et partager avec les gens, les voir danser, des trucs bêtes comme ça. Ça me fascine à quel point la musique rassemble les gens, et quand tu te prends ça dans la gueule, c’est quelque chose. Avec le temps, je me dis que c’est ma place, je ne pourrais pas faire autre chose. Le jeu m’attire beaucoup aussi, je sais que ça va être quelque chose qui va faire partie de ma vie. Je commence un peu à faire des démarches d’acting. Que ce soit au théâtre ou au cinéma, je ne veux pas être frustrée dans dix ans et me dire que je n’ai pas essayé au moment où j’aurais dû le faire.
Tu étais tout le temps occupée à travailler pour d’autres artistes, comment est apparue l’artiste solo ?
Je t’avoue que les deux premières années, je n’y pensais pas du tout. C’était tellement fou… Je n’avais pas le temps de réfléchir ! Mais quand tu es signée en label et que tu n’as plus de projet… Ça te revient. Alors j’ai testé des choses. Mais l’anglais me perdait, et puis ça ne fait pas longtemps que j’écris. J’ai eu envie d’autre chose mais j’ai eu une mauvaise expérience avec le français sur mon premier album, du coup, je pensais que ce n’était pas pour moi. Alors que c’est ma langue. Et c’est tellement riche, il y a tellement de choses à faire avec, il fallait que j’arrête avec l’anglais ! En fait, c’est Benny Adam qui m’a débloqué un truc de dingue. C’est très rare de tomber sur son alter ego musical.
Comment est-ce que vous avez commencé à travailler ensemble ?
Je l’ai rencontré complètement par hasard. Je devais enregistrer une chanson avec Anna, du groupe Haute. Benny était là, il m’avait entendue chanter et il voulait qu’on se revoie. On s’est vus et on a écrit des prods qu’il avait mises de côté. J’ai écouté ma voix et je l’ai entendue différemment : j’ai entendu une autre personne. Je ne pouvais pas passer à côté de ça. Humainement et musicalement, il a compris qui j’étais et ce que je voulais. Moi, je n’arrivais pas à mettre les mots dessus. On a fait des sons comme ça, pendant plusieurs semaines, ça a été un long processus musical. Quand j’y pense, ma rencontre avec Benny Adam, c’est le destin. La Tessa B actuelle est née à ce moment-là. Mais ce projet, c’est nous.
Est-ce que tu as le sentiment de tout recommencer à zéro ?
Oui, c’est très bizarre. Déjà, le public ne sera pas le même, j’ai été habituée à faire des scènes où les gens sautent, font des pogos… Là, je sais que je dois me recentrer. Ce n’est pas la même musique, pas la même scénographie… On travaille là-dessus d’ailleurs… Jusqu’à maintenant, j’ai fait des petits concerts ici et là en tant que Tessa B, pour Deezer, et une première partie pour Moha La Squale. Cette fois-là, j’avais trop peur et ça s’est très bien passé. Moha La Squale est adorable. Et puis je me sens moi en fait, ce projet me représente.
Qu’est-ce que tu as envie de transmettre désormais ?
Je mise beaucoup sur l’interprétation, sur les paroles… Mais je vais danser hein ! Je songe à intégrer la danse à mes live car c’est vraiment une passion.
La chanson « Jamais » aborde beaucoup de sujets différents. C’est une chanson d’amour qui parle de loyer !
Elle a été écrite en collaboration avec Benny, peu de temps avant qu’elle sorte. On n’avait pas prévu de faire une session. Il m’a fait écouter cette prod et ça s’est fait naturellement. On écrit tout ensemble. C’est un texte d’amour, comme presque toujours… Il y a aussi des constatations. Et j’aimais beaucoup les vibes hispaniques et orientales. Je ne sais pas pourquoi. J’ai très peu de références, à part Rosalía maintenant ! J’avais aussi envie d’un son un peu urbain mais ça s’est fait au fur et à mesure, à force de travailler.
Tu as un début de carrière assez singulier. Est-ce que, malgré cela, tu as le sentiment de faire partie d’une génération qui renouvelle la chanson française ?
Oui, pour moi, je fais de la chanson française. Je n’arrive jamais à décrire ma musique parce qu’il y a beaucoup d’influences mais finalement, j’ai écouté assez peu d’artistes qui chantent en français, à part Stromae, ou encore Bashung, Barbara, Brel.… En tout cas, j’ai plutôt l’impression que j’arrive avec une force en plus : je sais que rien n’est acquis mais j’ai déjà développé des choses. Au niveau de la musicalité, j’avais besoin de trouver mon truc à moi. Et maintenant, je sais ce que je veux. Je ne me sens pas en décalage.