Dandyguel, maître de toutes les cérémonies
À 37 ans, Dandyguel se retrouve face à un drôle de dilemme : ce représentant du 91 a à la fois tout et plus grand chose à prouver. Exaltant en tant qu’MC, précieux comme guide pour la jeunesse, celui qui se dit influencé par « James Brown, [ses] grandes soeurs et Godé, un boug de Viry » cherche aussi à faire passer ses messages par le rap à travers la sortie d’un nouvel album, Histoires Vraies. Pas vraiment dans la tendance, moins loin d’être en marge. Portrait d’un homme aux mille casquettes, mais à l’unique conviction.
Photos : @lebougmelo, @alyasmusic, @hlenie
Des années à animer des ateliers pour les gamins du Grand Paris. Des années à ambiancer Giánnis Antetokokúnmpo, LeBron James, ou encore feu Kobe Bryant lors de leurs passages à Paris. Des années à improviser des battles de danse à La Grande Borne pour le Summer Park de Nike, ou à en être officiellement le MC pour Red Bull. Des années de générosité, de sourire, avec une carrière de rappeur qu’il gardait en tête jusqu’au jour où il pourrait relancer les choses de la bonne manière.
Aujourd’hui, dans une volonté de rassembler tous ses univers dans un projet qui lui ressemble, Dandyguel sort un nouvel album, le premier qu’il sort de manière si « professionnelle ». Même si par le passé il a déjà livré des disques ou été programmé au Printemps de Bourges, ce nouveau projet fait figure d’accomplissement pour lui. Un projet composé de samples et d’histoires optimistes, surement à contre-courant de la tendance, mais assurément fidèle à ses combats, ainsi qu’à une certaine vision du hip-hop.
Hip-hop, un mot dont le sens est trouble aujourd’hui en France, à l’heure où la culture rap a pris d’assaut la culture populaire. Le hip-hop fait presque référence au passé, à une époque révolue, mais que certains s’efforcent de dépoussiérer. « Aujourd’hui quand les gens entendent hip-hop, ils pensent à l’ancienne, au mec qui va mettre un carton au sol et qui va commencer à tourner sur la tête. » Dandyguel, lui, reste persuadé que le mouvement hip-hop, dans l’état d’esprit, rassemble des valeurs essentielles encore aujourd’hui. Au sens d’un code de l’honneur qui se transmet. Un lot de valeurs positives qui dicte toutes ses activités, depuis toujours. « Certains me connaissent qu’en tant que rappeur, certains apprennent par hasard que je rappe, pour les gens c’est compliqué de comprendre que tu évolues dans plusieurs prismes. C’est même contradictoire pour certaines personnes que je puisse kiffer sur du Niska et valider des valeurs autres du hip-hop plus “élevantes”. »
« En France il faut faire un seul truc pour être reconnu ou qu’on comprenne ce que tu fais »
Déjà accompli et couronné de succès en tant que speaker, beatmaker, chroniqueur sur France Ô, animateur dans les écoles ou pour Nike, Dandyguel recentre désormais sur son album l’énergie qu’il dépense tant pour les autres. « Je fais plein de trucs, et en France il faut faire un seul truc pour être reconnu ou qu’on comprenne ce que tu fais. La multiple compétence est dure à présenter. Il n’y a pas de mot décrit mon profil. Cet album me permet d’accepter ça, de le défendre de manière authentique, je le fais pour moi. »
Mais difficile de diriger les spotlights autrement que vers les autres, qui demeurent souvent le sujet de ses sons quand il laisse de côté l’egotrip — qu’il affectionne particulièrement, comme tout rappeur normalement constitué. Chaque track de cet album nommé Histoires Vraies narre des histoires de vies qui ne sont pas forcément les siennes, mais qui sont toutes vraies. Contrairement aux jeunes rappeurs qu’on aime voir débarquer dans le rap, brûler de rage et d’envie de prendre place sans trop se demander pourquoi, Dandyguel ne s’est jamais vraiment senti pressé et a su canaliser son énergie pour livrer une musique fidèle à lui-même, en accord avec ce qu’il représente. Légitime.
Ses multiples casquettes ont le point commun d’être toutes à destination d’un tiers. Que ce soit les jeunes que Dandyguel aide à se révéler dans ses ateliers, ou les véritables audiences qui n’attendent que lui pour s’ambiancer aux événements qu’il anime. Ce qui est certain aussi, c’est que l’artiste excelle dans l’art de transmettre et se nourrit d’ailleurs de cette énergie collective. « Ça fait du bien de s’exprimer, c’est une réalité. Quand j’anime des ateliers dans des écoles primaires, dans des MJC, pour de jeunes handicapés, ça m’apporte au niveau personnel de les voir être capables de s’exprimer sur leur réalité, c’est un exemple pour moi. M’exprimer ça me donne de la force, et pour les petits c’est pareil. » Et si la passion et l’amour de l’autre ont toujours guidé l’artiste dans ses choix d’activités, ils lui ont aussi beaucoup donné l’impression de s’éparpiller. De s’oublier peut-être. L’album arrive alors à point nommé, après des années de doutes, de perfectionnisme, de quête personnelle, de besoin d’actions concrètes.
Lorsqu’il se présente aujourd’hui, Dandy semble avoir digéré certaines de ses insécurités et pris le temps de mûrement autoanalyser ses expériences. « Quand je travaillais à côté avant, en tant que consultant en recrutement, je ne disais pas à mes collègues que je rappais, il y avait trop de clichés autour du rap. Aujourd’hui, je peux dire que je suis un MC. C’est l’étiquette qui me correspond le plus, car elle symbolise une part de la culture hip-hop et recoupe toutes mes activités. » Le MC est celui qui va insuffler l’énergie au public pour que l’expérience soit maximale. En plus d’être une figure authentique du mouvement original, le rôle du MC permet à l’artiste de donner une ligne directrice sensée à ce qui rythme son quotidien.
MC sonne comme une évidence. Rien de surprenant quand on connait le parcours de l’artiste, pour qui tout est une célébration de la culture hip-hop. Gagnant du battle de rap international End of the Weak en 2012, au moment où l’effervescence rap à Paris bat son plein, il se retrouve sur France Ô, dans l’émission Le LabÔ², à accueillir les invités en freestylant. Là aussi pourtant, Dandy n’assumait pas l’étiquette de rappeur. Ce n’était encore juste qu’un état d’esprit. Surtout, l’idée que le rap puisse devenir une vraie source de revenus commence à peine à faire son trou dans sa gamberge. « Au début des années 2000, c’était impossible de considérer l’activité de rappeur comme un métier, comme une voie d’avenir. » Il aura fallu qu’un collègue l’aperçoive à la TV pour que Dandy assume pleinement cette nouvelle casquette au-delà des limites de ses proches et de son quartier.
« Le ghetto, c’est pas de l’entertainment »
Le « premier album » de Dandyguel arrive donc le 21 février 2020, près de 10 ans après ses débuts. Après des années d’expériences de proximité. Des activités de terrain qui ont cultivé sa sensibilité au monde… ainsi que son scepticisme vis-à-vis de ceux qu’il considère s’éloigner du vrai. « Déjà à l’époque quand je commençais à rapper j’étais à contre-courant. Il y avait un truc un peu ghetto dans le rap, mais je ne me reconnaissais pas vraiment dedans. » Pas de rap fataliste, triste ou noir. « Je suis en première ligne pour savoir que les fantasmes de la street, ça fuck up grave, surtout les petits. Et en vrai, le ghetto, c’est pas de l’entertainment. » L’animateur en lui reprend le dessus, campant sur ses good vibes pour défendre sa démarche et l’idée qu’il faut être capable de faire la part des choses. « Tu peux écouter de la trap autant que tu veux, j’en écoute énormément, mais tous les petits n’ont parfois pas le recul nécessaire pour détacher réalité et fiction. »
Les enfants qu’il côtoie au quotidien restent inévitablement en tête lorsqu’il pense à sa musique et ce qu’il souhaite y véhiculer. « Ils ne sont pas encore matrixés, quand tu leur montres autre chose, ils le prennent. » Et là en l’occurrence, l’album est un concentré d’autre chose, toujours aussi authentique. Jusqu’au bout de sa passion et de sa mission. En clin d’œil à sa la culture, les samples, funk et soul, sont très fréquents sur Histoires Vraies. L’écriture, elle, découle directement de la vie de ses rencontres, et de son impact à lui, optimiste, sur les jeunes qui sont la force du futur pour changer le monde.
« Quand j’ai commencé le rap, je voulais tout péter. » Tout écraser certes, mais pas les autres. Tout écraser en faisant le meilleur plutôt. Sans surprise, sa musique pense aux autres : les 200 premiers CDs disponibles en précommande contenaient quatre titres inédits en plus de la version streaming, et les premiers à prendre leur place pour la release party du 12 mars au FGO avaient le droit à l’album gratuit en lui écrivant sur son mail perso. Accessible. Un pied dans l’industrie, à condition d’avoir le reste du corps dans la vraie vie.