Libéré, délivré : pourquoi Tory Lanez a tout gagné avec sa Quarantine Radio
La nouvelle a été éclipsée par le succès des Quarantine Radios, mais Tory Lanez a quitté son label avec lequel il était en froid depuis plusieurs mois. Une véritable libération pour le rappeur canadien, qui entame un tournant majeur de sa carrière au moment où il s’est hissé en MVP du confinement. Beaucoup d’enseignements peuvent être tirés de son parcours.
Photos : @MidJordan
Confinement ou pas, hors de question pour Tory Lanez de lâcher le micro. À cela près que depuis mars, il s’en sert moins pour chanter que pour s’improviser host de sa désormais fameuse « Quarantine Radio ». En live sur Instagram, Daystar Peterson (de son vrai nom) anime le quotidien morne de ses fans en leur proposant un divertissement impliquant de la tise, du bon son, beaucoup de twerk et, depuis quelques temps, du lait ou de l’huile de massage… Et alors que la plupart des artistes subissent les conséquences du COVID-19, sa Quarantine Radio est carrément devenu un rendez-vous incontournable du game. À tel point point que de nombreuses stars – telles que Jordyn Woods, Wiz Khalifa, Alexis Texas, Chris Brown et même Drake – y viennent pour « passer le salam » et s’enquiller un shot, profitant de l’ambiance et de la visibilité permise par cette plateforme, qui dépasse régulièrement les 350 000 viewers en simultané.
Le soir du 9 avril, justement, Lanez a réitéré l’exploit des +300 000 participants. Alors que la fête touche à sa fin, il ne lui reste plus qu’à profiter de toute cette audience pour sortir The New Toronto 3 (TN3), son cinquième album au sein du label Mad Love Records, en distribution avec Interscope Records. Annoncé en février, TN3 devait clôturer de manière opportune la Quarantine Radio du jour. Difficile de faire mieux niveau promo’.
Mais ce qui aurait pu s’apparenter à une banale sortie prend des airs de libération dans une ambiance grave, solennelle, en contraste avec le reste du live. Plusieurs fois, une petite phrase lâchée par-ci, par-là, avait pu nous rencarder sur la hâte du rappeur, malgré tout concentré sur son show. Mais à 23h55, le temps s’accélère. Le Canadien approche ce moment dont il a tant rêvé. Son émotion grimpe à mesure que les minutes s’écoulent… avant que ne sonne 00h. Nous sommes le vendredi 10 avril, et Tory Lanez est officiellement libéré de ses obligations contractuelles. « Je veux partager ce moment avec tous ceux qui sont présents ici. Je suis officiellement, officiellement… […] indépendant… Je suis libéré de ce putain de label ! […] On est libre, bébé ! ». Au bord des larmes, il exulte de joie et s’offrir naturellement un shot pour fêter ça.
Avec le label, ce n’est pas l’amour fou
Pourtant, 5 ans plus tôt, lorsqu’il signe avec le hit-maker Benny Blanco, le jeune Tory est plein d’enthousiasme. Avec des titres comme « Tik Tok » de Kesha, « Moove Like Jagger » de Maroon 5, « Love Yourself » de Justin Bieber ou encore « Work Hard, Play Hard » de Wiz Khalifa, la discographie du producteur a de quoi impressionner notre jeune canadien, qui compte tout de même déjà une dizaine de projets à son actif. Il sort d’une brève relation contractuelle avec Sean Kingston, au sein de sa structure Time is Money Entertainment, qui lui a permis de faire un peu parler de lui à l’échelon national américain. Empêché d’aller au bout de cette aventure pour des raisons administratives, Tory cherche désormais un label qui lui permettra de révéler son talent au monde.
D’où sa quête d’un mentor, qu’il trouve en la personne de Benny Blanco, dont il annonce rejoindre le label à la sortie de « Say It », issu de son premier album studio I Told You (2016). Interrogé à l’époque par The Guardian sur sa place dans l’écurie Mad Love, le Canadien est formel : « [Benny Blanco] est l’un des plus grands producteurs avec lesquels j’aurais pu travailler, c’est une légende et je ne serais pas ici sans lui ». Dans un premier temps, l’histoire semble lui donner raison. Le producteur l’aidera en effet à confectionner « Luv », son deuxième plus gros hit, avec un double platine décroché aux États-Unis et au Canada, 20 semaines passées dans les charts, plusieurs nominations et même un remix avec Sean Paul. L’album lui-même tapera fort, décrochant la quatrième place du US Billboard 200 et la deuxième place du US Top R&B/Hip-Hop Albums dès sa sortie. Il est le premier des cinq que Peterson doit à Mad Love/Interscope. Mais comme il l’explique dans « Letter To The City 2″ , sa maison de disque lui en soutirera 12 : « Au moment où vous entendrez ce couplet, j’aurai fini mon contrat / Ils [m’ont eu sur] 12 albums, quatre ans, et c’est encore un record ».
Difficile de comprendre le calcul du rappeur. Outre les deux mixtapes The Chixtape IV et The New Toronto 2 (janvier 2017) et les albums studios Memories Don’t Die (mars 2018), Love Me Now (octobre 2018), The Chixtape 5 (novembre 2019) et The New Toronto 3 (avril 2020), ses autres projets n’apparaissent pas comme estampillés « Mad Love / Interscope Records ». Une incohérence qui illustre les parts d’ombres de la querelle l’opposant à sa maison de disque. Malgré les déclarations publiques de Peterson, il est encore difficile de faire la lumière sur ce qui s’est réellement passé. Dans « Letter To The City 2 », Tory fustige Blanco sans le nommer, détaillant son ressenti sur 5 années de relation professionnelle éprouvante, entre exploitation, dénigrement et litiges financiers. Un malaise qui éclate au grand jour après la sortie de Chixtape 5.
The Chixtape 5 : tout ce qui brille…
Dans la lignée des autres « Chixtapes », Chixtape 5 est une nouvelle ode aux classiques des années 2000. Sorti en novembre 2019, le projet reprend les samples de « Beautiful » de Snoop Dogg et Pharrell Williams, « I’m Sprung » de T-Pain, « Your Body » de Pretty Ricky ou encore « You » de Lloyd et Lil Wayne. Mais le coût des droits d’utilisation de ces samples fut particulièrement élevé. Logique car pour chacun d’eux, il a fallu obtenir l’autorisation pour le titre en question, pour le sample originel figurant sur le titre, auprès de l’auteur qui avait écrit le titre, de l’artiste ayant interprété le titre, de l’éditeur de musique du label détenteur du titre et dudit label, comme l’explique Tory Lanez au cours d’une interview avec Hot97. Un exploit qui a pris 6 mois de négociations.
Et si le fait d’inviter leurs interprètes sur le projet a bien aidé – pour un album « blockbuster » où figurent Snoop Dogg, Jermaine Dupri, T-Pain, Trey Songz, Lil Wayne, Chris Brown, Mario, The Dream, Fabolous et même Ashanti –, l’addition fut salée. Une production déficitaire malgré le succès de Chixtape 5, qui a décroché une première place aux US Top R&B/Hip-Hop Albums (Billboard) et une seconde place aux Canadian Top Albums (Billboard) – derrière Céline Dion – pour 83 000 copies écoulées sa première semaine d’exploitation. Tory lui-même a généreusement mis la main à la poche : « En fait, nous ne l’avons pas fait d’un point de vue financier, nous l’avons fait d’un point de vue [artistique] du genre, je perds de l’argent en faisant l’album, […] mais bien sûr, ça va être incroyable. »
Quant au label, il n’aurait que partiellement contribué à l’effort, d’après les propos de Sascha Stone Guttfrend, l’un des membres de l’équipe du Torontois, dans les pages de DJBooth. Ce refus d’investir dans sa musique constituerait le dernier épisode d’une longue série de désaccords entre le chanteur et sa major.
Tory Lanez en sursis
Cette ultime brouille l’aurait poussé à porter ses griefs sur la place publique en décembre 2019 – près d’un mois après la sortie de TC5. D’abord le 14 décembre, avec une première sommation sur Instagram menaçant Interscope de révéler « ce qui se passe vraiment dans ce putain de bâtiment si Interscope n’arrête pas de « jouer avec lui », puis le 20 décembre sur Twitter.
Fait étrange, certains de ses fans affirment craindre pour la vie de l’artiste en pleine rébellion contre sa maison de disque. Si Tory répond être plus concerné par le « respect de son intégrité » et son « chemin vers la lumière » que par sa sécurité, il tweetera tout de même ce message alarmant 5 jours plus tard : « À tous mes amis artistes, si quelque chose devait m’arriver à n’importe quel moment de ce processus. J’ai fait tout ça pour que mes artistes montants soient plus malins dans ces deals et soient dans une meilleure position pour leurs familles et qu’ils soient conscients des dangers MÊME QUAND LES AFFAIRES MARCHENT !!!! »
Se sentait-il menacé professionnellement ou physiquement ? Difficile à dire. Ce qui est sûr, c’est que déjà à l’époque de son deuxième album Memories Don’t Die, Tory Lanez avait indiqué sa lassitude. Dans une interview pour Billboard, il affirmait ne plus attendre de sa maison de disque qu’elle débloque le budget nécessaire pour réaliser l’un de ses clips – préférant la mettre devant le fait accompli en apportant la facture contre remboursement. Ces restrictions dans ses choix artistiques l’auraient poussé à sortir ses titres les plus moyens ces quatre dernières années. S’y est ajouté la volonté de « sauver ses pépites« de sa maison de disque. Ce qui expliquerait la certaine monotonie de ses derniers disques, à l’exception de Chixtape 5, où il aurait accepté de monter à « 60% » pour ne pas perdre ses fans. Ultime preuve à l’appui, The New Toronto 3 est une mixtape et non un album per se. La différence avec Chixtape 5 est de taille et a nourri les discussions sur Twitter. Néanmoins, tout porte à croire que cette mixtape a offert à Lanez sa carte de sortie. Une sortie vers le haut qui le place dans une trajectoire prometteuse, avec une indépendance qu’il entend mettre à bon escient et une notoriété qui atteint des sommets.
Capitaliser sur le confinement avec Instagram, un micro et des litres de lait
Car avec les Quarantine Radios, Tory Lanez a peut-être pris une nouvelle envergure. Rappeur-chanteur à l’auditoire fidèle mais célébrité de second rang, il est devenu un phénomène international grâce à une recette aussi simple qu’efficace. Durag posé sur le crâne, backwood dans une main, micro dans l’autre. À droite, un hype-man qui enchaîne des gimmicks devenus mythiques (« Quarantine-Quarantine ! »), certains étant même samplés sur des morceaux ou vidéos populaires, comme les fameux « Ain’t nobody got time for that », « Take a shot for me » et « Coronavirus ». À gauche, une bouteille de liqueur que le rappeur dégaine dès que l’occasion se présente. Mais c’est à l’écran que se joue le clou du spectacle. Révélant son incroyable talent de maître de cérémonie, Tory s’agite, crie, chante, juge des twerks, boit, fume et challenge ses participants et participantes pendant près de deux heures nonstop. En quelques épisodes, il parvient à faire évoluer son show d’un live Instagram parmi tant d’autres à un rendez-vous culte, dont même le patron d’Instagram est fan. Résultat : un show qui explose largement le record de 150 000 viewers live précédemment détenu par Taylor Swift, un compte Instagram qui gagne 1 million d’abonnés sur le mois, un autre record sur la plateforme TikTok de 77 000 viewers live – « sans montrer de culs » cette fois…
Et l’auteur de « Who Needs Love » ne compte pas s’arrêter là. Capitalisant sur son concept, il s’associe avec YouTube pour produire un concert d’un tout nouveau genre : « The Tory Lanez Social Distancing Tour », dont la première date s’est tenue le 1er mai dernier (cf vidéo ci-dessus). Dans une salle aménagée à cet effet, le rappeur chante devant 50 000 viewers en simultané, épaulé par un guitariste, un batteur, son DJ et, bien entendu, le fameux hype-man des Quarantine Radios. Quant aux fans, ils interagissent avec lui via une plateforme de chat sur laquelle ils peuvent poser de l’argent contre un changement de lumière ou la requête de leur choix. Plusieurs d’entre eux vont jusqu’à lâcher 500$ pour qu’il leur interprète « The Take », « B.I.D » ou encore « K Lo K », son dernier hit avec Fivio Foreign. Poussant l’expérience à son paroxysme, il freestyle, remix certains de ses titres avec ses deux musiciens et va jusqu’à offrir une exclu, « Temperature Rising », à ses fans pour clôturer le live. Live qui sera visionné par plus d’un 1 million de personnes au total.
« The next move is goin’ fully independent »
Savourant ses performances et cette indépendance nouvelle, le Canadien semble prêt à monter au créneau avec son propre label. Il est pour le moment incarné par sa structure One Umbrella Records (dont les initiales forment « OUR », soit « notre » en anglais), qui compte le rappeur Davo, le crooner Mansa et la chanteuse Melii… Le choix du parapluie pour illustrer sa maison de disque n’est pas anodin. Un parapluie est constitué d’un mât central et de tiges articulées permettant de déployer la toile protectrice qui fait son utilité. Aux yeux de Tory Lanez, chacun des artistes d’OUR – lui y compris – constitue une tige, représentant un business indépendant. L’addition de ces business, s’ils sont fructueux, garantie la solidité de la structure globale. Gardant en tête ses expériences passées, il ambitionne ainsi de corriger le tir en adoptant une posture équitable, compréhensive, qui voudrait que ses protégés ne soient pas « ses employés » mais « des partenaires » qu’il peut aider grâce à son expérience d’artiste et de businessman.
Dans cette aventure, Lanez sera épaulé par ses acolytes Sascha Stone Guttfrend, Philip Payne ou encore Troy Dubrowsky, avec lesquels il avait mis sur pied sa première tournée en indé. Sur trois dates à Los Angeles, New York et Toronto, le « Tory Lanez & Friends Tour » avait réussi à engranger 600 000$ de recettes pour 15 000 participants. En mesure de discuter d’égal à égal avec les majors, il semble évident que l’artiste souhaitera conserver les droits sur ses futures tournées ainsi que sur son « nouveau » catalogue musical. D’autant plus qu’il aurait encore ses meilleurs titres sous le coude. Ses fans trépignent d’impatience.