Iggy Azalea, une féministe aristo-chatte ?
Le nouveau classique, nom de baptême arrogant qui sonne comme l’intronisation autoproclamée d’un album au panthéon du rap. Une logique qui suggère que le premier opus d’Iggy Azalea côtoiera Reasonable Doubt, Illmatic ou encore Straight Outta Compton parmi les œuvres qui ont marqué le hip-hop et la musique plus largement. Une arrogance qui semble caractériser la rappeuse dès ses premiers pas. C’est par cette facette qu’elle est apparue avec doigté pour taper à la porte du monde par le clip « Pussy » explorant les limites de la provocation avec une véritable attitude.
Arrivées au même moment que Kreayshawn, elles ont installé toutes les deux cette nouvelle figure dans le rap féminin : la white trash. Dans ce type de phénomène, il est difficile de distinguer l’éphémère de ce qui passera l’épreuve du temps. Iggy Azalea semble maintenant avoir bravé les vices du buzz pour présenter sa démarche artistique. Un parti pris qui s’installe dans un genre dont elle ne maîtrise ni les tenants ni les aboutissants et où il est encore difficile de savoir ce qui va rester de la rappeuse dans le futur.
Chatte de gouttière du hip-hop
Même s’il tend progressivement à casser les carcans de virilité qui ont posé ses bases, le hip-hop peine encore à trouver l’équilibre paritaire d’un genre qui reste encore écrasé par la masculinité. Les Salt N Peppa avaient pourtant rapidement posée la pierre fondatrice du rap féminin dès la fin des années 1980 mais depuis ces figures importantes se comptent sur les doigts d’une main. Au tournant des années 2000, Foxy Brown mais surtout Lil Kim poussent la vulgarité à un niveau jamais atteint et deviennent les deux véritables mères contemporaines des « female rappers ». Un sillon amplifié par Missy Eliott pendant plus de 10 ans qui a popularisé, démocratisé et étendu le genre. Missy a rayonné à l’international comme aucune autre avant elle. Bien sûr, il y en a eu d’autres des rappeuses mais dans d’autres styles, celles citées précédemment ont permis de faire exister un autre rapport à la féminité mais surtout d’élever la conscience sexuelle des femmes dans un milieu artistique écrasé par le machisme.
Mais au-delà des circonstances culturelles et sociologiques actuelles, elles s’intègrent dans un contexte de réhabilitation du corps de la femme noire longtemps perçue comme une curiosité sexuelle au temps de l’esclavage et du mouvement des droits civiques. Symbolisé au XIXème siècle par le traitement réservé en France et en Angleterre à la Vénus hottentote perçue comme une véritable bête de foire notamment à cause de la taille de son postérieur. Un postérieur qui devient le canon de beauté des années 2010 symbolisé notamment par Nicki Minaj qui se caractérise entre autre par l’opulence d’un fessier crée de toute pièce par la rappeuse. La boucle est bouclée.
Une particularité incarnée aussi par Iggy Azalea qui fera parler d’elle dans un environnement où le « fat ass » est roi comme le rappe Big Sean dans « Dance (Ass) » : « You deserve a crown bitch ». Alors Iggy joue de cet atout en l’affichant sous toutes ses coutures dans ses différents clips ce qui attire inévitablement la lumière sur elle. Mais peut-elle récupérer les codes d’un des combats majeurs afro-américains simplement pour le divertissement musical ?
Les bases de la polémique sont jetées et à celles-ci s’ajoute l’usage par l’australienne de l’accent pratiqué dans certains ghettos américains dans son rap, ce que Complex appelle le « speaking black » lors de son entretien avec l’artiste. Les reproches fusent, Iggy Azalea n’a aucune légitimité pour se représenter comme une rappeuse afro-américaine d’Harlem. Une accusation à laquelle la rappeuse répond sereinement : « Si t’es énervé à ce propos et que t’es Noir, commence une carrière de rappeur et fais en un succès. Ou peut-être que tu es Noir et que tu veux commencer à chanter comme un chanteur de country dans ce cas deviens un Blanc ».
Peu importe, c’est cette ambivalence qui soulève la controverse ainsi que la maladresse de l’artiste. « Tire marks, tire marks, finish line with the fire marks / When the relay starts I’m a runaway slave-master », c’est en détournant la punchline d’origine de Kendrick Lamar en faisant du « runaway slave » un « runaway slave-master » sur « D.R.U.G.S. » qu’Iggy crée frontalement la polémique. Son éternelle rivale, Azealia Banks saute sur l’occasion et dès qu’Iggy Azalea est confirmée dans la liste XXL Freshmen 2012, elle l’attaque sur Twitter : « Comment pouvez-vous soutenir une femme blanche qui s’appelle elle-même maître des esclaves en fuite ? » puis enchaîne par « Je ne suis pas contre les filles blanches mais je ne suis pas ici pour que quelqu’un d’extérieur à ma culture essaie de banaliser des aspects très sérieux de celle-ci » et conclut par un cinglant « Désolé les gars mais je suis une pro-black ». Azealia Banks représente une partie des contestations qui entourent la rappeuse, l’idée conductrice : Iggy est une blanche dans un univers crée, construit et démocratisé par des Afro-Américains.
Elle ajoute à ce constat une bonne dose de provocation qui a fait d’elle un buzz avant d’être une artiste. Maintenant mère de plusieurs mixtapes et d’un album, au service de quel message la rappeuse met-elle à profit son personnage ?
Un minou parmi les maine coons
Loin des problématiques communautaires, le combat d’Iggy Azalea est d’abord universaliste et coïncide en tout point à la philosophie d’illustres artistes comme Lorie : « On a le droit d’échouer, pas de ne pas essayer / Et pas d’horizon trop grand à qui veut vraiment ». Sauf que la rappeuse apparaît plus crédible que l’ancienne concurrente de Danse avec les stars, elle doit cette authenticité à un histoire singulière qu’elle revendique fièrement, c’est sa street credibility. Elle la rappe dans ce premier album notamment dans « Work » lorsqu’à 16 ans elle décide de quitter sa province de Mullumbimby en Australie et débarque à Miami pour mener sa carrière artistique aux États-Unis. Son mantra : « Sixteen in the middle of Miami ».
Mais si sa musique a pour vocation de toucher à l’universel, un autre de ces combats est quant à lui clairement communautaire et ressemble étrangement à celui de Salt N Peppa et consorts : le féminisme. Logiquement, il ne peut pas être dédié exclusivement à la communauté noire ou Afro-américaine et concerne toutes les femmes. Le cœur du message réside dans l’opposition face à la société occidentale patriarcale, la femme doit se réapproprier son corps et sa sexualité. Elle peut le montrer, l’exhiber ou le cacher si elle le souhaite.
À la tête de cette lutte dans le champ de l’ « entertainment », la reine Beyoncé chante (« Flawless », « Partition »…), danse (« Run The World ») et met en scène (seule des musiciennes l’accompagnent sur scènes) ce combat. Ce qui fait d’Iggy Azalea un simple soldat dans cette guerre mais un soldat plein de vaillance et de bravoure. Dans ces morceaux l’Australienne n’hésite pas à être le plus crue possible pour parler de sexualité, c’est de cette manière qu’elle s’était introduite au monde : « Iggy Iggy, pussy illy. Wetter than the Amazon taste this kitty / Iggy Iggy, la meilleure des chattes / Plus humide que l’Amazone goûte ce minou » tiré du bien nommé « Pussy ». Dans ses clips, elle dévoile l’opulence de son fessier lors d’un lap dance dans « Work », elle apparaît seins nus et se fait prendre sur un capot de voiture dans « Change Your Life ». Des représentations qu’elle n’hésite pas elle-même à qualifier de vulgaire mais une vulgarité qu’elle estime nécessaire : « C’est une façon de parler de notre société. J’aime provoquer des réactions. Quand c’est tiède ça ne m’intéresse pas […] J’aime le sexe parce que je suis une femme et en voyageant, je vois que certaines femmes sont enfermées dans des clichés sexuels et ça ne me plaît pas… ». Iggy met la main sur sa sexualité et sur son corps qu’elle n’exhibe que lorsque cela s’intègre dans une démarche artistique qu’elle a définie.
Cette dernière est globale, on la retrouve dans ses visuels et chacun de ses clips font référence à des films qui ont marqué la rappeuse : l’ambiance désertique de « Work » vient de Prescillia, Queen of the Desert, dans « Change Your Life » toute l’imagerie du music-hall est tirée de Showgirls et enfin c’est Clueless qu’inspire l’esprit du dernier clip de la rappeuse « Fancy ». La force de son message associée à un packaging attrayant et malin, c’est cette base qui a construit le personnage d’Iggy Azalea.
Une question se pose : Iggy est-elle légitime pour incarner ce mouvement féministe artistique et populaire ou cela est-il seulement un habile positionnement marketing ? Même si elle en a l’odeur et les gestes, difficile de savoir si elle en a vraiment l’étoffe. Beyoncé et Nicki Minaj, chefs de cette « pussy army » incarnent des figures fortes dont la puissance insuffle le respect dans un premier temps puis l’admiration ensuite. Cette posture elles la doivent notamment à l’impression de domination face aux hommes, un sexe fort avec qui elles jouent et qu’elles maltraitent. En jouant de leur puissance sexuelle, elles ont su opérer un intelligent glissement de la femme objet à l’homme objet. Une attitude qui ne colle pas à Iggy dont les déboires amoureux se trouvent en Une des journaux people, on se rappelle de ce tatouage barré affichant le diminutif de son ex-copain : A$AP Rocky. Celle qui s’était présentée au monde avec « Pussy » a récemment déclaré qu’elle allait arrêter de se jeter dans la foule parce qu’elle ne supporte plus que son public essaie de doigter sa « pussy » justement. La boucle est bouclée, le minou s’est fait châtrer.