Les malheurs de Dominique

Toutes les deux semaines, Agathe reviendra sur l’actualité pour nous en délivrer sa vision et son interprétation. Truculente et décalée, sa plume revisite ce qui sature nos journaux télévisés, nos sites Internet et nos journaux ; « Les Chroniques d’Aujourd’hui » sont un véritable Ice Bucket Challenge au vitriol sur notre monde médiatique

L’information est monomane, obnubilée par le prisme simplifié que réverbèrent les grandes agences de presse. Ce qui intéresse est basique : le crime, les mœurs déviantes et le pouvoir. Ce qu’ont ressassé tous nos JT chauvins pendant trois semaines : le procès de Dominique Strauss-Kahn et de son proxénète vedette du Carlton lillois. Parce que nos vies sont pourries, les frasques des autres nous passionnent.

Cette histoire, tout le monde la connaît et elle en a saoulé plus d’un. Alors que Dominique vivait sa libido tranquillement aux yeux et à la barbe des cercles privilégiés de la nation, Dominique a voulu prendre la tête de l’État et Dominique s’est fait balancer. Coupé dans son ascension, Dominique, le gentil papa de la gauche caviar dans sa bagnole de compet’, s’est métamorphosé en un atroce détraqué sexuel ventripotent chef de cartel. MC Domi brasse des putes et des billets, MC Domi me fait rêver.

Mais, le fatras juridique dans lequel DSK se trouve, ressemble à s’y méprendre à un navet de série B. Le casting n’a pas de sens et les acteurs jouent très mal. Musso n’aurait pas pu chier mieux, du moins, ça n’aurait peut-être pas déplu à la ménagère en quête d’évasion.

Sur fond de sodomie mal lubrifiée, les journalistes s’emballent et s’épanchent sur l’intimité d’une figure politique, alors que le problème intrinsèque transpire mal. Dérangeant. Ici, il s’agit surtout de faire de cette incartade morale un exemple de répréhension judiciaire, un coup d’éclat de bons sentiments. Peut-être pas la jurisprudence de l’année, mais, en tout cas, l’un des meilleurs coups de com’ 2015.

Périple en trois actes, retraçons le tumulte, entre pulsions haletantes, conflits d’intérêts et théorie du complot.

 

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Plusieurs jours avant le début du procès, les médias préparaient déjà le terrain. TF1 en aurait presque hésité à rediffuser l’épisode de New York Unité Spéciale avec Nafissatou super star. Une mise en condition forcée avant un martelage millimétré de toutes sortes de déclarations incongrues sorties de leur contexte. Grande mascarade médiatique à laquelle 300 journalistes ont eu l’extrême honneur d’être accrédités.

Sous le feu des projecteurs, 14 prévenus en comparution pour proxénétisme aggravé en réunion. Jusqu’ici, rien de bien golri. En tête d’affiche – hormis notre ancien directeur du Fond Monétaire International chéri – l’ex-commissaire Jean-Christophe Lagarde depuis banni du Nord-Pas-de-Calais ; Les Thénardier, Béatrice Legrain et Dominique Alderweireld A.K.A Dodo la Saumure, proprios d’une chaine de bordels en Belgique ; Emmanuel Riglaire, ténor du barreau responsable RH pour jeunes femmes désœuvrées à ses heures perdues ; David Roquet, ancien padre d’une filiale nordique d’Eiffage, bon copain intéressé de DSK ; Fabrice Paszkowski et son ex-compagne, Virginie Dufour, entrepreneurs et logisticiens de mérite ; Francis Henrion et Hervé Franchois, hôteliers de renoms spécialisés dans le B&B sexuel ; René Kojfer, responsable RP et livreur de colis ; Et enfin, Mounia et Jade, la viande civile. Une liste de noms alors jusqu’ici inconnus du commun des mortels mais qui, pour certains, risquaient jusqu’à dix ans de réclusion. Thug life. Des bandits en col blanc comme on en fait des milliers. C’est ainsi que le bal des accusés a démarré en ce lundi 2 février dernier.

 

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Le président du tribunal correctionnel de Lille, Bernard Lemaire, le concédait lui-même, par la simple présence de DSK le dossier s’est embrasé. Mais pas seulement. Le dossier s’est également complexifié à cause de la bande de mythomanes pathologique qu’il confronte. Une défense rodée, une pléthore d’avocats et une minimisation des faits maximisée. Observer ce procès placé sous l’égide de la défense, du respect et des droits, c’était presque aussi palpitant que de voir l’adaptation cinématographique de Fifty Shades of Grey se faire dézinguer sur le web.

D’abord, Dodo la Saumure, avec son blaze de mercenaire sous qualifié, a vu la fatale destinée s’abattre sur lui. Il ne sait pas, ne comprend pas et a peur pour sa réputation ainsi que pour la santé de son bizz. Criant à la machination, lui, comme les autres, dénient toute prise de position dans une organisation qui paraît pourtant bien planifiée. Strauss-Kahn, aussi, nie, dès ses premiers mots, avoir eu connaissance du statut professionnel de la partie civile. Mounia et Jade ne se seraient alors adonnées qu’à un hobby fiduciaire. Pourtant, le discours de ces dernières détonne grandement avec cette peinture euphémique. N’y allant pas de main morte avec les détails scabreux d’ébats fort musclés, dont mon imaginaire se détourne, la première semaine de ce procès naviguait entre deux courants. Difficile de distinguer les véritables victimes.

Après cette première semaine d’auditions incohérentes, c’était au tour de Dominique Strauss-Kahn de donner de la voix. La deuxième semaine s’ouvrait alors en fracas par une démonstration Femen, le 10 février aux aurores. Je les aime bien ces meufs qui n’ont rien d’autre à faire de leur vie que de s’exhiber à moitié à poil, scandant des slogans dénués de sens. Elles me font marrer ces grandes optimistes. Comme si se jeter sur une gove, le torse peinturluré, pouvait changer le monde. On n’est pas en Ukraine, je salue tout de même le geste.

 

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Une chose me dérange alors à ce stade de l’affaire. Les médias, prêts à tout pour sortir l’info qui fera tilt, n’ont fait que conglomérer un ensemble d’amalgames vomissant de bêtises. Ce qui revenait le plus souvent, c’est que certaines pratiques sexuelles ne pouvaient être exécutées que par des prostituées. Merci les mecs, j’ai beaucoup de copines épanouïes qui ne font pas le trottoir et dont l’intimité ressemble pourtant à s’y méprendre à ce qui est techniquement désigné.

Il y avait, aussi, le mépris. Le mépris des prévenus, le mépris de l’opinion publique. La peur de dire les choses telles qu’elles sont par rapport au problème de fond. Il y a, certes, une distinction à émettre entre une sans papiers séquestrée, mutilée puis réduite à néant, et une escort frustrée par des cachets plus maigres que ses espérances. S’il y a eu rapport, c’est certain. Et même s’il n’est pas possible de juger du degré de dignité de chacun, la vanité des uns et des autres a grossi le trait et enflé l’esquive. Le traumatisme de ces femmes, sûrement dépassées par les évènements, n’est pas à déplorer. Elles n’ont pas la gouaille de politiciens dressés aux pirouettes, manquent franchement de subtilité et se sont quelque part perdues dans un épanchement vain, mais elles ont fait front. Peu importe la déception finale, elles ont essayé de tacler Goliath. Mes respects.

Tout le monde a brandi un souci religieux d’exprimer une vérité cristalline. Peu de preuves en réalité mais beaucoup de blablas. C’est enfin, après deux semaines de témoignages, que les véritables méchants se sont esquissés : René Kojfer, David Roquet, Fabrice Paszkowski et Dominique Alderweireld. Du moins, ces derniers ont moins bien su jouer les incrédules que les autres. Puis, sans crier garde, ultime coup de théâtre dans cette tragi-comédie mal ficelée. Plusieurs parties civiles ont abandonné leurs poursuites contre DSK le lundi 16 février de cette ultime semaine de procès. On se doutait tous qu’une relaxe serait requise pour, mais sûrement pas que certains partiraient en courant. À quelques jours de la fin, c’est d’une ironie sans saveur. Pour les autres, c’est loin d’être terminé, mais au final, on s’en tape. Le verdict final terminera de les enfoncer le 12 juin prochain.

 

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Il est bien évident que je condamne la prostitution et toute forme de violence primaire envers la gente féminine. Cependant, bon nombre sont les individus ne se refusant pas à un billet pour quelques étirements et qui, pour autant, ne cheminent pas vers le pénal. Au terme de ces 3 semaines de procès, se sont clos 3 ans de telenovelas offerts au voyeurisme d’une France déçue, nourris par une violation flagrante du secret d’instruction. Certains condamnent maintenant l’investigation, d’autres mettent le doigt sur des questions sociétales. Dominique Strauss-Kahn, politicien déchu embringué dans un débat, comme à sa française habitude, mal placé.

De manière générale, le traitement médiatique associé aux faits divers sera toujours remis en cause, peu importe l’affaire. Ce sans quoi, nos existences n’en seraient que plus insipides. Je ne dénoncerai alors pas le nivellement par le bas auquel je participe moi-même avec le plus grand des plaisirs. Simplement, je constate ici le grand écart pénible qui s’exerce entre ce qui a de l’importance et ce qui divertit. Le procès de Nuremberg n’est pas si loin, celui de Nabilla et Thomas Vergara non plus. Comme Dominique, soyez frivoles mais faites gaffe quand même.

 

Crédit illustration : ELISABETH DE POURQUERY / FRANCETV INFO

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