In the Office with Colette
Après Tealer, YARD vous propose aujourd’hui le second numéro de la rubrique « In the office with… », Guillaume (le représentant presse de la marque) nous fait pénétrer dans l’intimité du magasin. Même si cette fois nous n’entrerons pas épier les bureaux de l’enseigne, Guillaume nous expose l’état d’esprit de l’un des endroits les plus incontournables de la capitale.
Peux-tu nous dire qui est derrière colette, et de qui se compose l’équipe, parce que ça reste flou de l’extérieur ?
C’est normal, mais en même temps, il n’y a rien de secret. C’est difficile de parler d’organigramme et de structure même s’il y en a forcément une pour que cela puisse avancer, mais il y a à peu près 110 salariés. Tu as le magasin, avec différents managers, chacun dans leur pôle : le manager du waterbar et après dans les bureaux tu as le pôle internet, le pôle musique, les commandes, la comptabilité… Tu as Sarah, notre acheteuse et directrice artistique, qui sélectionne, achète, décide et choisit ce que l’on propose dans le magasin, et son assistant. Colette est la présidente directrice générale du magasin. Elles travaillent main dans la main, mais Colette fait en sorte que tout fonctionne in situ. Mais c’est vraiment si on doit résumer.
Et dans le magasin vous êtes combien ?
Dans le magasin on est une bonne soixantaine, je ne pourrais pas donner un chiffre précis, il faudrait que je compte ce que je n’ai absolument pas envie de le faire… Mais oui, je dirais une soixantaine, après tu as un stock aussi avec un responsable de stock et des gens qui font la liaison entre le stock et le magasin. C’est une équipe très bien rôdée.
Comment est Colette au quotidien avec ses employés ?
Tant que chacun fait ce qu’il doit faire, c’est la personne la plus adorable du monde. C’est une femme très généreuse, très chaleureuse, très humaine, très sincère. Donc on peut être chaleureux, sincère, humain, on peut rigoler, on peut sourire mais d’abord, il faut travailler.
Colette donne l’impression de fortement cadrer sa communication, et ne laisse pas filtrer n’importe quoi. Par exemple aujourd’hui on ne peut pas shooter dans vos bureaux, même dans une rubrique qui s’appelle « in the office with» ?
Oui. Si tu veux on a la chance d’avoir le magasin et à l’inverse des gens qui ne travaillent que dans les bureaux et qui n’ont que leur matière grise, ce que l’on fait dans le magasin est la concrétisation de ce que l’on fait dans les bureaux. On préfère se servir de la boutique car elle représente l’essence même de colette : dévoiler, proposer des créateurs, des artistes, des designers. Leur travail est bien plus important que de montrer nos pots à crayons, nos ordis, ou nos agendas qui trainent.
J’ai l’impression que l’entité colette ne veut montrer que le côté clinquant, que le résultat final et pas le « making-of ». Est ce que quand on est colette, il faut toujours en envoyer plein les yeux ?
Colette est un puzzle. Il y a plein de pièces pour que le puzzle se constitue, je préfère montrer le puzzle final plutôt que les pièces une à une. Parce que ça n’a pas forcément un grand intérêt, ça peut ne pas être joli. Mais quand tu allies toutes les pièces du puzzle ça donne le magasin et c’est ce qu’on veut mettre en avant au final.
Colette et Sarah communiquent que très rarement dans la presse. Pourquoi ce choix de prise de parole hiérarchisée chez Colette ? Pourquoi on n’entend pas un vendeur ou un cuisinier ?
Tout à l’heure je parlais de puzzle et de pièces. Moi c’est vrai que je vais avoir un regard global, je ne vais pas uniquement être fermé sur l’univers du magasin. On va toujours essayer de porter l’entité globale plutôt qu’une section ou un point par ci par là. Sarah est la seule acheteuse par exemple. Si un média souhaite faire un papier sans photos sur comment Sarah achète sa sélection mode, c’est quelque chose que l’on peut organiser par exemple. Et elle intervient d’ailleurs de plus en plus, alors que Colette, elle, reste délibérément discrète. On veut faire en sorte que le discours soit associé à l’entité globale du magasin mais on n’est pas non plus dans une dictature… Loin de là d’ailleurs.
Ton histoire personnelle dans le magasin est atypique. Comment on passe de vendeur à mi-temps à attaché de presse ?
Et bien j’ai eu la chance que Colette croit en moi tout simplement. J’étais vendeur à mi-temps, j’essayais de faire des études de lettres à côté, je faisais aussi des stages dans la pub en tant que concepteur/rédacteur mais ça me tentait moyennement. Elle a dû voir que je m’exprimais pas trop mal, que j’avais un bon relationnel et à l’époque l’attaché presse montait son bureau en extérieur. Colette souhaitait quelqu’un en interne pour faire le lien, je me suis proposé et j’ai eu la chance qu’elle accepte.
Colette a cette particularité d’être à la fois détesté, parfois pour de mauvaises raisons, mais en même temps adulé par certaines personnes. Comment tu vois cette opposition de l’intérieur ?
J’en ai surtout conscience en France, c’est quelque chose de très Français et Parisien mais moins à l’étranger. C’est comme cela pour beaucoup de lieux qui marchent. L’avantage c’est que nous ne sommes pas un monopole d’État donc si les personnes n’aiment pas venir, ils ne sont pas obligés de le faire. Pourquoi se rendre la vie compliquée ? Après je le regrette parce qu’évidemment on aime toujours être aimé mais personne ne fait jamais l’unanimité, malgré, je me répète, une grande humanité.
Comment arrives-tu à apprécier cette identification de votre public qu’elle soit positive ou négative ?
Je vais vous répondre comme nous aimons répondre. C’est-à-dire que nous, on peut ne pas nous croire, mais on travaille, on fait ce qu’on aime, on aime choisir les artistes que l’on aime, les produits que l’on aime, les designers que l’on aime. On essaie de faire un lieu humain où à partir de 1 euro tu peux vivre l’expérience colette. Il n’y a pas de snobisme. À part des gens qui, malheureusement, sont en situation d’urgence, n’importe qui peut entrer dans le magasin et ne pas se sentir rejeté. Après je pense que c’est une question personnelle mais tu peux vivre l’expérience, tu peux acheter un produit tu peux te sentir satisfait de ton achat. Tu peux entrer voir une expo et boire un café à 2 euros en salle. On existe depuis 18 ans, on a la majorité le 21 mars, et depuis quasiment l’ouverture il y a des gens qui nous aiment, des gens qui nous détestent, des gens qui nous ont aimé, des gens qui sont partis, des gens qui reviennent. Mais pour nous c’est assez simple, on fait notre chemin, on fait ce que l’on a à faire puis les choses que l’on aime faire et on porte peu d’attention si tu veux aux « qu’en dira t’on » positifs, même si c’est toujours agréable, ou négatifs. On continue de proposer, on continue d’exister.
Ne penses-tu pas qu’il y a un aussi un problème de perception des différents publics ? C’est-à-dire que les personnes imprégnées de culture street vont se dire « c’est pas street, il y a du luxe » et ceux qui viennent du luxe vont dire « c’est pas du luxe, il y a du street ».
Oui certainement, c’est dommage mais c’est la raison que je vois. Encore une fois, je parlais de puzzle, cette notion est vraiment importante, car il faut nous lire dans un ensemble. Au début quand on a ouvert on avait aussi ce débat pour l’art contemporain : « Mais comment ça de l’art contemporain ? On est dans un espace commercial, c’est honteux…» Au final si je regarde les expositions que l’on a faites depuis 18 ans, c’est très impressionnant.
Vous, toi et d’autres personnes, vous aimez plein de choses complètement différentes et ça forme votre personnalité. Colette c’est pareil, c’est fait c’est la concrétisation des goûts et de la curiosité de Sarah et Colette.
La tenue vestimentaire et le style doivent être des éléments très importants chez colette. Est-ce un élément primordial et déterminant?
Colette croit beaucoup en la liberté individuelle, et ça commence souvent par les vêtements, c’est pour cela qu’il n’ y a pas d’uniforme. Chacun vient comme il veut, si la personne est bien dans ses baskets elle sera bien dans sa tête. Tu as des modeux, certains que’on qualifie d’hipsters, tu as des rockeurs, tu as des old timers, tu as des gens lambda, des artys, des plus street… Il faut de tout pour faire un monde.
Les vendeurs font partie de l’image du magasin. Comment vous les recrutez ?
C’est assez simple, la personne a rendez-vous avec Colette, si elle est satisfaite de l’entretien tu peux commencer à travailler dès le lendemain si tu es disponible.
Je connais pas mal de gens dans mon entourage ou autre qui m’ont dit : « J’ai envie de bosser chez colette. » Le magasin suscite pas mal d’envie. Qu’est-ce qu’il faut pour être embauché chez colette ?
Faut pas se faire tout un monde. Déjà, il faut qu’une place soit libre. ça paraît tout bête mais mine de rien c’est important. Colette essaye de mettre les gens dans la bonne case, si tu aimes la mode depuis l’âge de 8 ans, que tu étudies la mode, on ne va pas te mettre en cuisine. On essaiera de te mettre dans l’étage homme/femme. Si tu aimes la musique, que tu n’as fait que de la musique, que tu es un ancien DJ, un ancien disquaire ça paraît plus logique de te mettre au coin musique qu’au coin street. Si en revanche les baskets c’est ta passion depuis toujours… Mais ce sont des choses qui se font de manière très naturelle, de manière instinctive. Après effectivement il faut être poli, courtois, il faut savoir s’exprimer, parler anglais. Tu es dans un univers où tu vois autre chose où tu te nourris différemment. Si tu es curieux, tu vas apprendre et découvrir. Là encore, petit à petit j’ai vu des gens changer radicalement de style, moi le premier d’ailleurs, parce que tu es nourri par autre chose, par une incroyable force de créativité, de nouveauté, de qualité. C’est vraiment impressionnant tout ce qui arrive à toi quotidiennement, c’est une incroyable chance.
En ce sens, colette représente un lieu d’apprentissage et un lieu de notoriété pour des personnalités comme toi qui sont là depuis longtemps. Quand on arrive chez colette on devient quelqu’un personnellement ? Cela va à l’encontre de votre communication basée sur le groupe plutôt que sur les individualités.
Je vois ce que tu veux dire mais au final en tant qu’employé du magasin on travaille pour le magasin, notre image doit passer après. Ensuite colette est un lieu qui a un rayonnement. On existe, on communique donc par la force des choses on est présent, on existe. Tout ça sans la boutique n’existerait jamais. Ce n’est ni une bonne, ni une mauvaise chose, c’est ainsi. J’en ai connu beaucoup qui sont partis, beaucoup aussi qui sont revenus, ou qu’on n’a plus jamais revus. Il faut faire très attention au rayonnement dans les microcosmes. La notoriété individuelle n’est pas forcément toujours bonne et peut amener à une mauvais interprétation de soi.
Êtes-vous attentifs à ce que les employés n’en fassent pas trop sur leurs réseaux sociaux par rapport à colette?
Attentif non. Ce n’est pas une mission on a tous autre chose à faire mais on travaille pour un lieu, donc par la force des choses, tu y es assimilé et forcément si tu as un comportement déplaisant à l’extérieur, cela peut desservir le magasin. On souhaite avoir des gens qui soient polis, bosseurs, courtois, gentils. Après je pense que Colette essaie de faire attention à ça au moment du recrutement. Parfois tu peux avoir une mauvaise surprise ou bonne. Ensuite la notion de vie personnelle et de liberté individuelle reste fondamentale.
Il y a eu des dates heureuses et d’autres moins heureuses dans l’histoire de colette. Je pense au 22 mars 2014 et le cambriolage du magasin. Qu’est-ce qui a changé depuis le braquage ?
Sincèrement très peu de choses. On a un esprit de corps avec le lieu et avec Colette et Sarah, donc ça nous a beaucoup touché, beaucoup attristé, mais ça arrive. Le quartier dans lequel on vit a été énormément visé à cette période-là. Après ça, la vie continue, tu te prends un coup sur la tête, tu te relèves. Je parle beaucoup de Colette et Sarah parce que sans elles le lieu n’existerait pas et les deux sont vraiment nos locomotives.
Et est ce qu’il y a eu un speech de remise au travail après cet événement de reconditionnement ?
« On continue. » Le magasin a ré-ouvert 2h après. On continue, la vie est faite de coups, tu te prends un coup, tu continues. C’est propre à tout le monde. À une société, a une personne. Pour moi c’est un peu particulier, j’étais en weekend à l’étranger. J’ai reçu l’information via Instagram. Je m’étais levé tôt, j’avais posté une jolie vue et j’ai eu un commentaire disant : « Profite bien, tu viens de te faire braquer. » Donc là, j’ai rallumé mes téléphones et j’ai compris qu’il s’était passé quelque chose. Ensuite j’ai eu un message très gentil de Sarah qui me disait « ne gâche pas ton weekend, tout va bien il n’y a pas eu de blessés ».
C’était une façon de minimiser ?
Le plus important c’est qu’il n’y ait pas eu de blessés, s’il y avait eu des blessés on l’aurait certainement vécu différemment et ça aurait certainement été tout autre. Après ce qui est important et que j’ai envie de signaler, on parlait des gens qui nous aiment et qui nous détestaient ; il y a eu beaucoup d’humour qui a été fait. C’était un braquage, donc il y a eu des armes, des gens qui ont été pointés, qui ont été mis au sol. Je trouve un peu dommage toutes ces choses qui ont été dites, un peu malvenues, mais c’est un peu à l’image de l’état actuel du monde.
Une de vos marques de fabrique est quand même la visite de stars au sein de la boutique…
Ce n’est pas une marque de fabrique. On va distinguer deux choses il y a les personnalités avec lesquelles on fait un événement, une opération promotionnelle parce qu’ils ont fait un produit, une collection… On aime le produit, on aime le livre et on se dit : « Faisons quelque chose ensemble ». Après ça fonctionne ou pas, et encore une fois ça résulte de notre goût, de notre sélection.
En revanche, il y a des personnalités qui viennent parce qu’elles aiment le magasin, parce qu’elles s’y sentent bien, qu’elles sont de passage à Paris et viennent y faire leurs courses. Ce n’est pas quelque chose qu’on cultive dans le sens où on n’a pas de salon VIP, on n’ouvre pas avant l’ouverture ou après la fermeture, on n’a pas d’accueil privilégié. Je ne suis pas prévenu quand une star passe, je le découvre après coup parce qu’il va y avoir une photo sur Instagram. Même pour Zlatan (Guillaume est fan du PSG, ndlr), personne ne me prévient;
Mais je pense qu’elles reviennent parce qu’on les laisse tranquille justement. On apprécie parce qu’on aime que les gens aiment la boutique et qu’un client soit content de notre sélection. S’il a une renommé en plus c’est bien, mais on ne le cultive pas dans la mesure où on ne va pas essayer de savoir qui est à Paris et qui ne l’est pas.
En amont vous ne le cultivez pas mais en aval par le biais des réseaux sociaux et des photos vous en profitez ? Notamment avec Drake…
Comme on le fait avec d’autres artistes, d’autres photographes, d’autres types de personnalités. Il y a un eu un avant Instagram et un après Instagram. Avant Instagram, les photos étaient interdites dans le magasin, pas de photos de personnalités, on ne dit rien, on les laisse tranquille. Après Instagram, il y a 2 ans, on a décidé d’arrêté de se battre contre les Smartphones, car c’est impossible. On s’est dit, plutôt que d’avoir les gens qui shootent si une personnalité vient, autant le faire nous-même, si la personne est d’accord pour être photographiée sur le compte officiel du magasin.
Qu’est-ce qui te plait le plus au quotidien dans ton boulot chez colette ?
Le relationnel. Pouvoir évoluer dans tous ces milieux, c’est fondamental : mode, street, food, sport, beauté, design, art… Je trouve que c’est une chance formidable. Pour l’autodidacte que je suis c’est extraordinaire.
Question a deux balles. Comment tu vois colette dans 5 ans?
Je vais te faire une réponse equivalente. Le même mais en mieux avec plus de produits, d’autres artistes, d’autres designers, des projets à la pelle. Il n’y a pas de volonté de vouloir ouvrir d’autres magasins dans le futur. Peut-être que les murs seront peints en noir, mais il y aura d’autres surprises, d’autres créateurs, d’autres designers, d’autres découvertes, d’autres marques. Il y a aura peut-être dans 5 ans un phénomène digital grand public qui aura pris le pas. Difficile de répondre, on vit beaucoup dans l’instant, dans le feeling, le coup de cœur, il n’y a pas vraiment de position sur 5 ans. L’avenir sera ici mais en mieux, toujours mieux.
Comment évalues-tu l’évolution de la culture urbaine et l’impact de colette dans cette mutation là ?
Je pense qu’il faut arrêter de voir la culture street comme un segment ultra-fermé et réservé à une élite de la rue. La culture street c’est hyper international. Toute personne qui a entre 7 ans et 40/45 ans, a grandi avec la culture street, la culture basket, avec les marques de sport. C’est une tranche de la population hyper large. On a certainement contribué à ce que des personnes qui n’étaient pas familières avec cette ambiance le deviennent peut-être, à force de venir pour acheter du prêt-à-porter, des marques de beauté, des livres, des baskets, hoodies, des t-shirts, des bonnets et autres. Mais je reste fondamentalement persuadé que tout résulte de cet agrandissement générationnel.
Vous ne vous voyez pas comme précurseur de ce changement ?
Oui, non, je ne sais pas, difficile de l’affirmer, mais force est de constater que l’on a présenté beaucoup de modèles en avant-première, en séries limitées. Peut-être qu’on a ouvert le regard d’autres personnes sur cette culture mais c’est difficile de se dire « je suis précurseur de», c’est un peu présomptueux. Je préfère que ce soit toi qui le dise. Nos collaborations et nos exclusivités, pas que dans la culture street, sont très importantes pour nous. C’est fondamental de se distinguer d’autres magasins, pas uniquement à Paris d’ailleurs.
Dans une époque où tout le monde se sent trendsetter, chez folette il y a très peu d’égo finalement. C’est un joli contrepied.
Pour durer il faut travailler. Donc c’est bien de le démontrer, avant de le crier. On est à très bonne école, il n’y a rien qui se fait sans travail et sans abnégation. Tu peux faire un coup d’éclat mais il vaut mieux être conçu pour durer. Non ?