Action Bronson : « Je suis accessible parce que je suis un gars normal »

C’est dans le hall de l’hôtel Cinq Codet qu’Action Bronson nous fait attendre. Arrivé la veille à Paris, il a rejoint Shane Smith et Spike Jonze, respectivement fondateur et directeur de Viceland, pour le lancement de la chaîne en France, désormais disponible sur le bouquet Canal+. Après avoir gentiment diverti un parterre de journalistes lors de la conférence de presse, il a retourné le YOYO en quelques titres pour la soirée de lancement. Quand on le rejoint finalement dans son penthouse, à la fin d’une série d’interviews, il adoucit l’irritation de l’attente et discute avec nous de son émission « Fuck That’s Delicious » autour d’un Ispahan de Pierre Hermé.

Photos : @Booxsfilm

 

 

Tu sais, on est en retard.
En retard ? Toi ou moi ?

 

Toi.
Non.

 

Tu as fait quoi toute la journée ?
J’ai déjeuné. Et ça a pris trop de temps…

 

C’est ce que j’avais imaginé.
Et il y avait des embouteillages.

 


Je déconne.

 

Je sais… Donc tu es là pour le lancement de ton émission « Fuck That’s Delicious », sur la chaîne Viceland, lancée hier en France. Comment tu te sens ?
Très bien. Je suis content qu’on puisse s’ouvrir à d’autres zones. Au départ, sur Internet, tout le monde pouvait le regarder. Et on a décidé de passer à la télévision et certains ne pouvaient plus le voir. Maintenant je suis heureux qu’un plus grand nombre de personnes y ait accès, chez eux tu vois, à l’aise.

 

Et comment tu vis le fais que ton show soit diffusé en France ?
J’adore ça. J’aime la France. J’aime Paris. À chaque fois que je viens ici, c’est que de l’amour.

 

Je me souviens, il y a cinq ans, je regardais « Action in the Kitchen » sur YouTube. Tu es passé de cette webserie à un vrai show télé.
Tu te souviens de ça ? J’ai l’impression d’avoir parcouru du chemin. Les choses ont fini par changer.

 

Donc tu as d’abord été cuisinier. Ensuite, j’ai lu partout que tu t’étais cassé la jambe avant de te mettre sérieusement à la musique. Bizarrement, je ne sais toujours pas comment tu t’y es pris…
J’ai juste glissé.

 

Dans une cuisine ?
Ouais. Je faisais à manger, je portais des baskets de merde, un genre de New Balance. Des ordures.

 

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On lit aussi que le fait de cuisiner a une place importante dans ta famille.
La cuisine en général. Ma grand-mère est la meilleure cuisinière de tout les temps. Je sais que tout le monde dis ça de sa grand-mère. Ma mère est bonne cuisinière et mon père est un assez bon cuisinier lui aussi. Tout le monde dans la famille est bon, donc j’ai ça dans le sang. Et puis, je ne sais pas…

 

C’est aussi un bon moyen de découvrir une ville.
Oh ! Absolument. Découvrir sa culture, découvrir son histoire. Et découvrir ce qu’elle est devenue. Parce qu’il y a tellement de populations différentes qui s’y sont installées. On n’y retrouve plus seulement un seul type de personne. Il y a tellement de gens, originaires de partout dans le monde, que c’est devenu un grand melting pot et un endroit incroyable où manger, voyager, élever des enfants.

 

Tu viens du Queens.
Je viens du Queens.

 

C’est une grande ville multiculturelle.
Extrêmement multiculturelle.

 

Donc dès le départ tu as pu apprendre pas mal de choses sur d’autres cultures.
En fait, je suis américain de première génération. Mon père vient du Kosovo et de la Macédoine, Yougoslavie. Et mes grands-parents viennent de Manchester en Angleterre d’un côté, de l’autre ils viennent de Hongrie. Ils sont arrivés à Ellis Island et ont commencé une toute nouvelle vie.

 

Avant que tu ne commences à voyager avec l’émission, et à partir de ton expérience dans le Queens, c’était quoi ton type de nourriture préféré ?
J’aime la cuisine jamaïcaine. C’est comme de la soul food, de la cuisine faite-maison. Avec les parfums les plus intenses et les goûts les plus incroyables. J’aime le goût de la cuisine Caribéenne.

 

Oui, j’ai vu l’épisode en Jamaïque, tout avait l’air hyper sain.
Des choses incroyables. Mais c’était aussi une grande expérience. C’est le genre d’endroit où tu peux aller et vraiment être témoin de cette culture. Tu sais, je traînais avec ce rastaman qui vit dans la montagne. Et il fait de la musique. Il n’a aucun moyen de la faire sortir de là. Il trimballait partout un magazine avec sa photo, qui date d’il y a dix ans. Et il le montre à tout le monde, genre, « C’est moi ! Regardez ! ». Mais maintenant, il peut leur dire, « Allez voir à la télé, allez voir mon son avec Action ». C’est ce qui me rend heureux.

 


Ils me respectent pour ce que j’ai fait et ce que je fais dans la musique et dans la cuisine, et ce sont des gens que j’admire, la raison pour laquelle je fais ce que je fais.


 

Tu parles de musique. Aujourd’hui tu personnifies en quelques sortes le lien qui peut exister entre elle et la cuisine. Un lien qui semble pour toi être assez naturel. Comment ça se fait ?
Tout le monde mange. Et tout le monde aime parler de la nourriture qu’il mange. Et tout spécialement les musiciens tu sais. Tout le monde aime la nourriture. Il y a seulement quelques personnes qui n’aiment pas ça, ou plutôt qui se foutent de savoir ce qu’ils mangent. Mais pour la plus grande part, en ce moment, pas mal d’artistes sont vraiment attentifs à ce qu’ils mangent, au restaurant où ils sont vus, ou le genre de nourriture qu’ils vont manger. Je pense qu’à travers moi, pas mal de mes contemporains, des gens qui ont évolué avec moi, sont un peu plus aventureux, ils essaient de nouvelles choses parce qu’ils m’ont vu le faire. J’ai rendu ça acceptable. C’est comme si je vous facilitais les choses.

 

À travers l’émission, il y a pas mal d’endroits qu’on est amené à découvrir. En plus de ça, comme tu l’as dis, l’intérêts pour la cuisine est grandissant, mais il n’est pas nouveau. Est-ce qu’il y a des chefs que tu appréciais plus jeunes et que tu as pu rencontrer à travers l’émission ?
Il y a tellement de shows avec lesquels j’ai grandi…. Tu sais c’est marrant, parce que j’ai deux héros, de l’époque où je regardais des chefs à la télé. Emeril Lagasse, qui était le tout premier à avoir un show de cuisine live, il vient de la Nouvelle Orléans, il fait de la cuisine dans le style Cajun. Et puis Mario Batali. Et j’ai rencontré ces deux personnes et maintenant je suis très amis avec Mario Bartali et Emeril.. C’est fou, ce sont des gens que j’avais l’habitude de regarder à la télévision, comme Rachael Ray… Maintenant on a comme un respect mutuel. Ils me respectent pour ce que j’ai fait et ce que je fais dans la musique et dans la cuisine, et ce sont des gens que j’admire, la raison pour laquelle je fais ce que je fais. C’est quelque chose d’affectif. C’est vraiment cool.

 

Comment tu les a rencontré ? Seulement avec le show ?
Bien. Mario Batali, je l’ai rencontré à cause de « Fuck That’s Delicious ». Il a vraiment aimé le show et ses enfants sont fans de ma musique. Donc il a voulu me rencontrer et il m’a invité à dîner dans son restaurant et on est devenu les meilleurs amis pour la vie. [rires, ndlr]

 

Vous cuisinez ensemble…
Tu sais, je suis un peu une version de lui plus jeune et il est juste…

 

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Vous vous ressemblez un peu…
Presque, presque… J’ai juste à prendre ça [il désigne sa barbe] et à le mettre ici [il montre l’arrière de sa tête]. Mais oui, c’est un putain de bon gars. Il m’a présenté et connecté dans des choses assez incroyables, avec des gens que je n’aurais jamais imaginé rencontrer. Il m’a invité à dîner avec Bono de U2, il m’a invité à dîner avec des gens de tous les milieux. Des acteurs, des musiciens, des producteurs… Tout le monde. Il mélange tout ça et m’introduit un peu comme son fils, comme sa doublure. Genre, c’est mon gars. Et il me met dans des situations qui auraient pu ne jamais se produire. Il créé ces tables rondes de gens…

 

Juste pour toi ?
Non, pas seulement pour moi, mais tu sais, c’est vraiment génial ce qu’il fait. Il m’a en quelques sortes pris sous son aile. C’est un gars génial.

 

Je voulais te parler encore de musique. Parce qu’une chose est assez frappante quand on regarde ton émission, c’est le fait que tu sembles être né pour ça ; pour parler de nourriture, avec une éloquence qui peut être lié au fait que tu sois rappeur finalement. Comment ça se fait que tu parles si bien ? Désolée, la question sonne un peu comme une insulte…
Je ne sais pas [rires] Parfois tu ne sais pas ce que tu as avant d’essayer. Quand j’étais plus jeune, j’étais toujours timide. Enfin pas timide, mais à l’école quand il fallait jouer une pièce, jouer un rôle, ou danser, je le faisais, mais j’étais toujours embarrassé. Maintenant, je ne sais pas. Je m’en fous. J’ai vieilli et j’ai plus confiance en moi, je sais qui je suis. C’est tout ce que j’ai remarqué.

 

Autre chose à propos du langage. Comment ça se fait que celui de ceux qui travaillent en cuisine soit aussi dur et vulgaire ?
C’est toujours comme ça. C’est la nature de la bête. Spécialement à New York. J’ai travaillé avec beaucoup de mexicain et ce sont les plus fous.

 

Pourquoi ?
Parce que ! D’abord ils ont une grande gueule. Ils te parlent salement.

 


Dans 10 ans ? Je serai propriétaire de Viceland.


 

Même hors de la cuisine ?
Absolument. Et ensuite, ils adorent jouer à se toucher un peu, tu vois ce que je veux dire. Genre, quelqu’un va se pencher pour ramasser de la laitue ou peu importe, et un gars vient derrière lui et lui met une main au cul. C’est fou. Mais c’est le genre de jeu auquel ils jouent dans les cuisines et tout le monde rigole. Mais c’est un truc de malade non ? C’est bizarre, juste de hommes adultes, forts, qui se font ça les uns aux autres. C’est vraiment ridicule. Il faut être solide dans une cuisine, c’est un travail sous pression. Donc il y a pas mal d’insultes et on utilise un mauvais langage.

 

Oui c’est un travail difficile. Il faut rester debout toute la journée, se lever tôt pour faire le marché, la cuisine est chaude. Est-ce que tu es content d’être rappeur aujourd’hui et de ne pas avoir à faire toutes ces choses ?
Je suis heureux avec tout. Je veux en faire le plus possible. Musique, restaurant, télé… Tout ce que je peux faire.

 

Tu n’as pas encore de restaurant ?
Non.

 

Comment est-ce que tu l’imagines ?
Je ne le fais pas, je n’imagine pas de restaurant. Parce que je ne veux pas faire de restauration fine. J’aimerais bien avoir un stand de sandwichs ou d’autre chose. Genre, un endroit pour les sandwichs et un autre où je ferais chaque jour ce que je voudrais. Et si tu ne veux pas manger tu dégages. Compris ?

 

Compris ! Etant donné tous ce que tu as fais jusque là, où est-ce que tu te vois dans 10 ans ?
10 ans ? Je serai propriétaire de Viceland.

 

[rires] Bon plan, ça devient de plus en plus gros.
Et je prévois de rester longtemps.

 

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Comment ça s’est passé d’ailleurs ?
J’étais sur le point de signer avec un label. C’était, je pense début 2013 ou fin 2012 je ne sais plus. Il y avait quatre labels qui me voulaient, des gros labels. Et Vice a ce label musical sur lequel ils sont partenaire avec Warner Bros. Je savais que peu importe ce qui se passerait, je pourrais toujours sortir ma musique, je n’étais pas inquiet, je m’en foutais. Certains m’ont proposé plus d’argent que Vice, mais c’est avec eux que j’ai signé, parce que je savais que ça pourrait devenir quelque chose de plus. Je savais que ce ne serait pas seulement de la musique, mais que je pourrais faire ce que je voulais. Tout ce que je voulais… Comme cette performance dans une maison de retraite à Londres. C’est l’une des mes vidéos préférées. Juste faire des trucs cools. Et je savais que ce serait une union idéale.

 

Et comment est-ce que ça fonctionne ? Tu viens avec une idée et ils t’aident sans discussion ?
Non. Ils exécutent c’est tout. Je viens avec une idée et ils exécutent.

 

Autre chose à propos de l’émission : tu sembles toujours très enthousiaste face à tout ce que tu rencontres. Comment ça se fait ?
Je ne sais pas… Je suis juste sincèrement heureux. J’aime sincèrement les choses. J’aime la vie. Ça peut être une jolie fleur ou rester debout sous la pluie. Tu vois, des choses simples. Je sais m’arrêter et apprécier les choses parfois. Il faut parfois se recueillir et apprécier le moment.

 

Je prend note. Tu paraît aussi très accessible. Les gens qui te rencontrent ont l’impression de déjà te connaître, alors qu’en y réfléchissant un peu, on ne sait pas grand chose de toi, de ta vie personnelle… et c’est très bien.
C’est une bonne chose. Ça veut dire que je suis un bon garçon. Tu n’entendras jamais dire que je me suis mis dans la merde, ou dans des histoires stupides. Parce que je ne fais pas ce genre de choses. J’ai deux enfants que j’emmène à l’école tous les jours. C’est une bonne chose qu’on n’entende pas parler de ma vie personnelle. Et qu’est-ce que les gens voudraient savoir ?

 

Pas grand chose de plus.
Exactement ! Je donne tout ce que j’ai. Et je suis accessible parce que je suis un gars normal. Ce n’est pas comme si j’étais un putain de type, monté sur ses grands chevaux parce qu’il fait de la musique ou parce qu’il passe à la télé. C’est ridicule de même penser ça. C’est un art. Il ne faut pas me mettre sur un piédestal parce que je fais ça. J’apprécie ceux qui le font, qui aiment ce que je fais, mais je suis juste un gars normal. Je suis une personne comme une autre. Et je sais ce que ça fait de rencontrer quelqu’un qu’on admire et qu’on estime et qui finalement est un connard avec vous. Je ne voudrais jamais faire ça.

 


Quand je cuisine pour quelqu’un chez moi, ou quand je cuisine pour ma femme, pour mes enfants, c’est un sentiment différent. Je le fais avec mon coeur.


 

Il y a encore des gens que tu admires ?
Bien sûr ! Je n’oublierais jamais ça. Si quelqu’un te traitais mal, alors que tu es une grande fan, que tu écoutes sa musique chez toi, et que quand tu les rencontre ils agissent comme des merdes, ça ruinerais tout pour toi, non ? Je ne faisais jamais ça à un fan ou un n’importe qui, point barre.

 

Le fait que tu sois aussi terre à terre nous ramène encore une fois à la cuisine. Parce que c’est quand même l’une des choses les plus élémentaires dans la vie.
Bien sûr.

 

Ça a aussi beaucoup de sens de cuisiner pour quelqu’un.
Ça veut dire que ça t’importe. Ça veut dire que tu as des sentiments profonds. Tu as raison. Quand je cuisine pour quelqu’un chez moi, ou quand je cuisine pour ma femme, pour mes enfants, c’est un sentiment différent. Je le fais avec mon coeur.

 

Pour terminer, je voudrais te donner le nom de trois de tes morceaux pour savoir à quel plat il pouvait te faire penser. Je ne sais pas si habituellement tu visualises un plat quand tu fais de la musique….
Non, je ne le fais pas [rires] Mais je peux essayer !

 


J’aurais terminé l’album à la fin de l’année. Prêt à sortir pour le début de l’année.


 

D’abord « Actin Crazy ». C’est mon préféré, donc il faut qu’il y ait du sucre.

Ok, donc peut-être… Actin Crazy, je vois un gâteau au chocolat comme ça, jusque là, avec autant de couches et quelques framboises et quelques fruits. Et puis tu prends une grande part comme ça.

 

Comme dans Mathilda ?
Exactement, mais je ne forcerais personne à manger le gâteau. C’est ce que je vois. Un très très gros gâteau.

 

Le suivant, « Easy Rider ».
Un plat que j’ai mangé à Modène en Italie chez Massimo Bottura. C’est le veau psychédélique. Mais ce n’est pas du veau.

 

Comment ça ?
Je ne sais pas. C’est autre chose. C’est fou. C’est un truc incroyable.

 

C’était quoi si ce n’était pas du veau ?
Je ne sais pas, c’était un autre morceau de viande. Je n’ai pas compris les explications, mais c’était génial. Et aussi, tu sais habituellement, il y a de la purée, des épinards, peu importe… Mais là au lieu de ça, il en a fait de la sauce de purée de pomme de terre, de la sauce d’épinards, tout était une sauce et avait le goût de… Tu vois ? Tellement bon… Donc tu prends un morceau de viande et tu le fais tourner dans l’assiette et tu as un plat entier. C’est très très psychédélique. Modène, Italie, premier restaurant au monde.

 

 

Le dernier, « Durag vs. Headband ».
Je ne sais pas, je vois des nouilles asiatiques. Je vois un homme qui fait des nouilles. Tu sais quand il s’assoie sur une longue planche et qu’il saute…

 

J’ai jamais vu ça.
Oh ! C’est fou ! Il saute sur la planche pour aplatir la pâte. Et il continue de sauter sur la planche, un asiatique de 100 kg. C’est incroyable ! Un bon produit.

 

Hey, et à propos du nouvel album ?
Il arrive, j’y travaille.

 

Il est terminé ?
Pas encore. C’est presque fini. Je continue d’y travailler. Je l’aurais terminé à la fin de l’année. Prêt à sortir pour le début de l’année.

 

C’est bientôt.
Très bientôt.

 

F*CK THAT’S DELICIOUS – À partir du 28 novembre à 21h00 et 21h30 sur Viceland

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