Affaire Zyed et Bouna. Et à la fin, c’est (encore) la police qui gagne

Cela est désormais bien connu. Que celui qui fait appel à la justice s’arme allègrement de patience tant l’attente du verdict peut paraître interminable. Voilà dix ans maintenant que Zyed Benna et Bouna Traoré, sont morts électrocutés respectivement à l’âge de 17 et 15 ans, un jour d’automne, dans un transformateur EDF de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), après avoir voulu fuir un contrôle policier. Nous étions alors le 27 octobre 2005 et ce drame allait irrémédiablement embraser les banlieues françaises, déversant leur fiel sur la police – le plus proche représentant de l’État dans ces zones reflétant douloureusement le passé colonial tricolore – et criant leur sentiment d’injustice (d’une manière parfois contestable) au visage de cette France qui ne leur paraît pas si douce. Les deux policiers – Stéphanie Klein et Sébastien Gaillemin – qui ont été mis en cause pour « non-assistance à personne en danger » dans le décès des deux adolescents, ont été relaxés le lundi 18 mai par le tribunal correctionnel de Rennes (Ille-et- Vilaine). Selon la justice, les deux fonctionnaires n’avaient pas « la connaissance claire d’un péril imminent et grave » lorsque les jeunes se trouvaient à l’intérieur du site. Le tribunal a également précisé que le policier n’avait pas aperçu Zyed et Bouna dans le poste, en dépit « des vérifications raisonnables » avant d’indiquer que les deux agents « n’auraient pas manqué de réagir » s’ils avaient eu conscience d’un danger.

 

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Si le soulagement était perceptible sur le visage des prévenus et de leurs proches, le verdict a inévitablement laissé un goût rance dans la bouche de la famille des victimes, dénonçant « l’impunité des policiers ». « Nous allons faire appel […] et s’il le faut, nous irons jusque devant la chambre criminelle de la Cour de cassation », a indiqué M. Jean-Pierre Mignard, l’un des deux avocats des familles. À la sortie de la salle, Adel Benna, le frère de Zyed, a quant à lui lâché une réflexion qui, pour beaucoup, sonne comme une vérité : « Les policiers sont intouchables, ils ne sont jamais condamnés ». À regarder de plus près les affaires policières qui ont précédé celle de Clichy-sous-Bois, il serait presque tentant de se laisser bercer par cette idée (véridique ?) voulant que la justice se montre d’une agréable clémence envers les membres appartenant à la force publique. En 2008, Hakim Ajimi meurt à Grasse (Alpes-Maritime) lors d’une interpellation violente menée par deux policiers de la brigade anticriminalité et condamnés – seulement, a-t-on presque envie de dire – à dix-huit et vingt-quatre mois de prison avec sursis. Huit ans plus tôt (2007), l’agent qui avait renversé une minimoto provoquant ainsi la mort de deux jeunes à Villiers-le-Bel (Val-d’Oise), avait été condamné à six mois, là encore, avec sursis. La liste de ces bavures est généreusement fournie.

Dans une époque où notre pays baigne dans une atmosphère pesante, ponctuée par les crises identitaires et celles du chômage, il est avant tout déplorable que deux adolescents au casier judiciaire vierge préfèrent courir droit vers leur mort plutôt que de se soumettre aux policiers ; sans doute parce que leurs méthodes de contrôle ne sont pas systématiquement irréprochables. Il est dommageable qu’en France, la police soit davantage associée à la répression qu’à la protection. Mais il est surtout dangereux que le sentiment d’une justice injuste grandisse dans le cœur d’une partie de ceux que l’on aime ranger dans la case stigmatisante de la « France des immigrés ».

Il incombe désormais aux responsables politiques d’agir rapidement et avec efficacité afin d’effacer cette suspicion régnante autour de l’impunité dont semble jouir le corporatisme policier. Car à force d’indignation et sans vouloir endosser le costume de l’alarmiste, il n’est peut-être pas si inconcevable de revivre une nouvelle vague d’émeutes des banlieues. Les récents troubles nés dans la ville de Baltimore (États-Unis) – après les funérailles d’un jeune Afro-américain, décédé à l’issue d’une interpellation par la police – fait office d’un signal fort.

 

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